Les troubles du sommeil sont fréquents dans les maladies chroniques, et en particulier chez les personnes vivant avec le VIH, au moins deux tiers rapportant ne pas bien dormir. Un premier consensus sur le dépistage et la prise en charge a été établi à l'initiative de médecins français.
« La Dr Clotilde Allavena, première autrice de l’étude (1) et moi-même, nous sommes lancés dans ces recherches car nous avions tous les deux mené des investigations pour essayer de déterminer la prévalence des troubles du sommeil chez les personnes vivant avec le VIH, explique le Pr Jade Ghosn, infectiologue à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (AP-HP). Nous avions effectivement constaté une prévalence élevée des troubles du sommeil chez ces personnes, avec plusieurs facteurs potentiellement associés. »
Parmi ces facteurs, il y a bien sûr la maladie en elle-même. Le stade de la pathologie peut aussi être corrélé à un sommeil de mauvaise qualité, en particulier chez les patients très immunodéprimés. « Il y a un ensemble de facteurs liés à l’anxiété, à la dépression qui peuvent être déclenchés par la maladie mais qui sont eux aussi associés à des troubles du sommeil, poursuit le Pr Ghosn. Et enfin, nous savons que les médicaments antirétroviraux ont une toxicité neurosensorielle, notamment sur la qualité du sommeil. »
Consensus par la méthode Delphi
Dans le suivi d’une personne atteinte du VIH, certains éléments comme les anomalies lipidiques, les problèmes cardiaques, le cancer du col de l’utérus chez la femme ou encore le cancer du canal anal chez l’homme homosexuel sont dépistés régulièrement. « Il n’y avait pas, à ce jour, de recommandations spécifiques pour le dépistage des troubles du sommeil, rappelle le spécialiste. C’est dans ce contexte que nous avons voulu identifier ce qui paraissait pertinent pour des collègues prenant en charge des personnes vivant avec le VIH. »
Ainsi, un panel de médecins et de paramédicaux a été interrogés à travers toute la France, sur la base de la méthode Delphi. Cette dernière a consisté à envoyer à ce panel d’experts une série d’affirmations élaborée par les chercheurs. Les votes ont été collectés électroniquement, de manière indépendante et anonyme. Deux tours de scrutin ont réuni deux types de professionnels, 42 médecins et 32 paramédicaux (infirmiers ou psychologues).
Poser la question au moins une fois par an
Dans le cas présent, un consensus a été trouvé pour 24 affirmations sur les 27 élaborées au départ. À noter qu’un consensus est atteint pour une affirmation si cette dernière recueille 75 % des voix. « Dans les points forts mis en avant par l’étude, est ressorti le fait de poser au moins une fois par an la question de la qualité du sommeil aux patients, souligne Jade Ghosn. Et ne pas considérer que s’ils ne disent rien, tout va bien. Ceci afin de permettre de libérer la parole sur ce sujet même si cela ne vient pas spontanément. » Dans les affirmations, avait aussi été proposé l’ajout d’une méthode reproductible et validée pour mesurer la qualité du sommeil.
« En première intention, il faut essayer de modifier l’hygiène de vie du patient à travers des conseils assez classiques tels que ne pas regarder la télévision juste avant de dormir, se coucher et se lever toujours aux mêmes heures, ne pas manger trop lourd le soir, etc. » , rapporte l'infectiologue. Si cela ne fonctionne pas, il a été admis qu'en deuxième intention, le médecin qui suit le patient peut prescrire des hypnotiques pour une courte durée. Ceci en tenant compte d’éventuelles interactions médicamenteuses entre les somnifères et le traitement antirétroviral. « Si les troubles persistent malgré tout, il faut adresser le patient à un spécialiste », ajoute le Pr Ghosn. En cas de syndrome des jambes sans repos, il est recommandé de mesurer le taux de ferritine plasmatique et de le corriger s’il est trop bas.
Effets indésirables d'antirétroviraux
Autre consensus : certains antirétroviraux – à savoir les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse et les inhibiteurs de l'intégrase – sont davantage associés à des troubles du sommeil. Le mieux est alors de les prescrire le matin si le patient avait pour habitude de les prendre le soir. En cas d’échec, il est possible de changer pour un autre antirétroviral de la même famille, considéré comme moins pourvoyeur de troubles du sommeil. Si cela persiste tout de même, le patient doit être orienté vers un centre du sommeil.
« Les recommandations sur le suivi des patients vivant avec le VIH devraient paraître en 2024. À ce jour, je ne sais pas si la question du sommeil y figurera. En tout cas, nous avons réalisé un travail qui permet de constater que c’est un point important. Les spécialistes partagent l’avis qu’il s’agit d’un trouble qui mériterait d’être dépisté dans le cadre du suivi de nos patients », conclut le Pr Ghosn.
(1) C. Allavena et al, Journal of Sleep Research, nov 2023. Doi.org/10.1111/jsr.14070
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