En évoquant le football américain qu'il avait pratiqué dans sa jeunesse, Jim Harrison, le célèbre écrivain du Michigan, n'hésitait pas à formuler de virulentes critiques à l'encontre de ce sport. Il le qualifiait « d'affrontement imbécile et brutal ». À l’évidence, le rugby n'est pas aussi violent que le football américain mais par bien des aspects il s'en rapproche de plus en plus. Après avoir argumenté l'acte d'accusation, je suggérerai quelques-uns des moyens qui me paraissent nécessaires pour transformer le rugby actuel et en revenir à la conception initiale d'un jeu « agonal » (le terme agon a été proposé par l'anthropologue Roger Caillois) dans lequel il est seulement question de prendre le dessus sur l'adversaire en marquant plus de points que lui.
Lacunes du rugby professionnel d'aujourd'hui.
Monotonie. Le jeu actuel est trop souvent insipide parce que stéréotypé et prévisible : l'objectif premier paraît consister à gagner du terrain grâce à des percussions effectuées ballon sous le bras et tête en avant (le pick and go). C'est du rentre-dedans systématique, du tamponnement à répétition et sans imagination.
Dangerosité. Les contacts appuyés engendrent trop souvent des blessures : lésions banales (entorses, luxations, fractures) à l'origine des indisponibilités temporaires, de quelques semaines ou de quelques mois, mais aussi des commotions cérébrales (KO) nécessitant une mise au repos et pouvant laisser des séquelles neurologiques (encéphalopathies chroniques post-traumatiques) ; et, à la limite, des accidents mortels (4 décès en 2018).
Deux Réformes à promouvoir
Le recrutement. Il faut ralentir la course aux gabarits herculéens car les conseils de modération des experts n'ont en rien refroidi le culte du rugbyman mastodonte. C'est si vrai qu'à l'occasion du dernier France-Angleterre, le staff tricolore a cru nécessaire d'aligner un pack de 960 kg (120 kg de moyenne !). Le record en la matière a été battu mais pour quel résultat ?
Il conviendrait aussi d'encourager les clubs à former leurs futurs joueurs en développant les écoles de rugby et la formation à tous niveaux.
L'entraînement. On devrait éviter la surdose dans le travail de musculation : on croit à tort qu'on n'en fait jamais assez dans l'augmentation des charges et l'allongement des séries d'efforts. On en arrive ainsi à façonner des joueurs qui ont le cou aussi large que la tête ! Cette façon de procéder aboutit au formatage de joueurs solides et résistants dans les chocs mais au détriment des qualités de vitesse et d'agilité.
Sans négliger le travail spécifique des mêlées et des touches dans les séances de préparation, il faudrait développer la culture du jeu de mouvement fait de transmissions, d'évitements, de débordements. Un jeu qui privilégie la vitesse de transmission et la vitesse de déplacement, l'adresse manuelle. Un jeu à la manière de celui que nous donne à voir le Stade Toulousain ces temps derniers !
Le règlement relatif aux contacts. Pour le défenseur, il faut sanctionner plus sévèrement qu'aujourd'hui les placages dits dangereux (placage haut, placage de l'épaule, placage « cathédrale ») et poursuivre la recherche de modalités d'arrêt moins violentes : placage aux jambes, placage limité au un contre un.
Pour l'attaquant, il faut bien sûr maintenir le droit à la percussion face à l'adversaire, mais lors du pick and go, il faut sans doute limiter le nombre de fois où une équipe peut mettre en œuvre cette technique (par exemple 3 fois).
Les règles relatives à la mêlée ordonnée et à la touche me semblent convenir ; par contre, il faudrait revoir celles qui concernent le ruck : les entrées en mêlée spontanée sont souvent à la limite du jeu dangereux et on plaque des joueurs sans ballon.
Conclusion
Je suis conscient du caractère idéaliste d'un certain nombre de mesures proposées : faut pas rêver… surtout lorsqu'on connaît la force de certaines traditions qui habitent le monde du rugby. Ce sport n'est pas, dit-on, un « jeu de fillettes » et on ajoute que les « mauviettes » n'ont pas à entrer sur le terrain. Le rugby, c'est un jeu « viril » dit-on encore (même si sa pratique a été ouverte aux féminines depuis 1970 !). Certes, le rugby doit rester un sport d'opposition et de combat mais jamais on ne me fera admettre que des joueurs affrontent les adversaires « le couteau entre les dents » (sic), ni qu'ils doivent se comporter en « tueurs » (re-sic). C'est une entorse à la dignité !
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