Par dévouement, par passion ou juste pour donner un coup de main, bien des généralistes passent une partie de leurs week-ends au bord des terrains de foot ou à l’arrivée des courses afin de sécuriser les compétitions. Zoom sur des sportifs du dimanche pas comme les autres.
Il y a le généraliste engagé dans sa commune qui, à la demande du maire, aide la ville à monter son 10 km annuel de course à pied. Il y a le médecin passionné de triathlon qui, par abnégation, renonce parfois à concourir pour passer du côté de l’organisation. Il y a aussi le vieux routier de la médecine événementielle, qui écume les terrains de sport comme les foires, concerts et autres festivals. Loin de leurs cabinets et hors de leurs longues journées de consultation, ces praticiens goûtent, le temps d’une compétition, à une autre médecine.
Bien souvent, les choses se passent de manière presque informelle, même si ce n’est pas forcément le plus souhaitable : pour de petits événements impliquant un nombre restreint de participants et disposant de moyens limités, bien des organisateurs préfèrent s’en tenir à un accord de gré à gré avec un médecin de leur connaissance. « Notre course ne rassemble pas beaucoup de monde et la préfecture ne nous oblige donc pas à avoir une grosse équipe médicale », explique ainsi Unnatishil Bravo, responsable des 50 et 100 km Sri Chinmoy du bois de Vincennes. Cette épreuve de course à pied a lieu tous les ans au mois de juin dans le poumon vert du 12e arrondissement de Paris, et attire entre une cinquantaine et une centaine de concurrents quand le Covid-19 ne s’en mêle pas. Le parcours est plat, les hôpitaux ne sont pas loin… L’organisateur indique donc faire « au minimum », avec un médecin et deux infirmiers qui font partie de son association.
Mais il est parfois nécessaire de prévoir une assistance médicale plus musclée. « Il y a des événements pour lesquels on n’a pas besoin de beaucoup de monde, et d’autres pour lesquels on ne lésine pas », détaille Clément Rémond, co-président de la FSGT 93, une fédération sportive qui organise en Seine-Saint-Denis des événements dans de multiples disciplines. Celui-ci explique que si sa structure faisait appel à des médecins pour chaque compétition, « ils s’ennuieraient beaucoup et cela nous coûterait très cher ». En revanche, lors de la course en eau libre Nage ton canal, organisée fin août à Pantin, la FSGT 93 avait eu recours à une équipe de huit personnes de la Fédération française de sauvetage et de secourisme, équipées d’un bateau.
Tous les profils sont bienvenus
En réalité, la médicalisation des événements n’est pas entièrement à la main des organisateurs. Pour des compétitions de taille importante ou quand les activités sont particulièrement risquées, la réglementation impose la présence d’équipes spécialisées, par exemple celles de la Croix-Rouge française. « Nos équipes sont constituées en majorité de secouristes, mais pour certaines disciplines, les fédérations imposent la présence d’un médecin, qui assure notamment la coordination et le lien avec le centre 15 », explique Florian Vallée, délégué national au secourisme au sein de l’association.
Dans ce cas, les praticiens peuvent provenir de diverses spécialités. « Tous les profils sont les bienvenus », assure Florian Vallée, qui invite les médecins intéressés à se rapprocher de la délégation territoriale de la Croix-Rouge française la plus proche.
Le témoignage du Dr Sylvain Charreyre, généraliste à Pierre-Bénite
J’aime garder un pied dans la médecine d’urgence
À l’aéroport Lyon-Saint-Exupéry, où il a la responsabilité du cabinet médical, le Dr Sylvain Charreyre est épanoui, mais il lui manque un petit quelque chose. Alors pour pimenter son exercice, il agrémente son temps libre de missions ponctuelles sur des événements sportifs : des courses à pied comme la mythique SaintéLyon, des courses à obstacle type Mud Day, des matches de foot professionnels en Ligue 1… Pour ce généraliste, qui a aussi la qualification d’urgentiste, l’intérêt est avant tout professionnel. « Cela me permet de garder un pied dans la médecine d’urgence, notamment en traumatologie, explique-t-il. C’est une activité variée dans un contexte festif. » Selon lui, la médicalisation de tels événements est accessible aux généralistes, « même si c’est plus facile pour un généraliste qui a une compétence en urgence, par exemple un diplôme en traumatologie non vitale ». Son conseil : ne pas se lancer dans une telle activité sans une préparation minutieuse. « Sur une course, par exemple, il faut vérifier tous les accès aux parcours, savoir quels véhicules de secours peuvent passer, avoir le matériel nécessaire…, énumère-t-il. Tout se passe bien à condition d’avoir beaucoup travaillé en amont. »
Les professionnels de la profession
En dehors des associations à but non lucratif, les médecins peuvent aussi participer à la sécurisation de compétitions via des sociétés spécialisées dans la médicalisation événementielle. « Nous avons un répertoire de plus de 3 500 médecins, explique le Dr Patrick Basset, directeur médical de Dokever, l’une des plus importantes entreprises du marché français dans ce domaine, qui assure par exemple la médicalisation du marathon de Paris. Nous avons par ailleurs une base de données couvrant l’ensemble de nos interventions passées, ce qui nous permet de savoir combien de médecins, d’infirmiers ou de secouristes il nous faut pour tel ou tel événement. »
Le métier de Dokever est de coordonner le dispositif, en s’occupant notamment des contrats avec l’ensemble des acteurs impliqués, y compris les associations agréées de sécurité civile comme la Croix-Rouge. Mais Dokever peut aussi faire directement appel à des professionnels. La rémunération est alors, indique Patrick Basset, fonction des contrats. « Les professionnels viennent parfois bénévolement, précise-t-il. Si la structure organisatrice en a les moyens, on peut les rémunérer. » La grande question, bien sûr, est alors : combien ? « La rémunération est fonction des grilles habituelles pour ce genre d’événement », calquée sur la grille tarifaire des médecins de la fonction publique, répond Patrick Basset.
De la petite traumato à l’arrêt cardiaque
Selon les événements concernés, les médecins peuvent être confrontés à divers pépins de santé. Cela va de la petite traumatologie à la fracture ouverte, en passant par des problèmes d’hypothermie, de déshydratation, voire des arrêts cardiaques. D’où la question de la préparation nécessaire pour intervenir. Une question d’autant plus cruciale pour les généralistes qui, pour la plupart, ne sont pas tous les jours amenés à effectuer des gestes d’urgence. « L’important est de bien connaître le sport concerné et d’avoir une vision claire de ce que peuvent faire les secouristes, et de ce qu’ils ne peuvent pas faire », indique Florian Vallée, de la Croix-Rouge française, selon lequel il n’est pas nécessaire d’avoir une formation spécifique (DU ou autre) pour s’impliquer.
Patrick Basset, de Dokever, tient cependant à avertir les généralistes : la médicalisation d’événements sportifs n’est pas sans risques… y compris pour eux. « Il faut que les médecins sachent que leur assurance en responsabilité civile professionnelle les couvre pour une activité au cabinet, mais pas pour une activité outdoor, prévient-il. Si un concurrent décède et que la famille cherche à savoir qui est responsable, on peut se retrouver très démuni. »
Ce n’est pas, selon lui, une raison pour réserver les interventions dans les compétitions aux seuls urgentistes ou anesthésistes-réanimateurs. « Nous travaillons avec des généralistes, indique-t-il, et c’est d’ailleurs très agréable car ils connaissent généralement leurs limites, et demandent à être encadrés. Sur un événement à risque, un généraliste travaillera donc avec un infirmier anesthésiste ou un urgentiste, pour ne jamais se retrouver seul. Et nous allons veiller à ce qu’il soit formé pour dépister les situations graves et appeler les personnes compétentes en renfort. » La bonne personne au bon endroit, en quelque sorte.
Le témoignage du Dr Amel Zerouati, généraliste à La Défense
J’ai goûté à la douleur, j’ai du respect pour les coureurs
« Je sais ce que les coureurs endurent, j’ai déjà goûté à cette douleur, j’ai du respect pour eux. » Le Dr Amel Zerouati éprouve de l’empathie pour les participants aux courses qu’elle médicalise. Et pour cause : cette généraliste et urgentiste installée comme médecin du sport à La Défense, dans les Hauts-de-Seine, court aussi, et compte à son actif plusieurs ultra-trails. Ce qui ne l’empêche pas, quand elle a sa casquette de médecin, d’être totalement concentrée sur l’aspect médical des compétitions. « Sur un ultra-trail du mont Blanc, on va avoir de l’hypothermie, des ampoules, et j’ai même déjà été confrontée à un pic hypertensif », détaille la praticienne. Elle note que l’activité en France diffère largement de la médicalisation de courses dans des milieux hostiles, qu’elle a aussi pratiqués. « Dans le désert, on travaille sans filet. Une entorse, on la gère tout seul. » Pour Amel Zerouati, cette activité est indissociable de sa passion pour le sport. « On est bénévoles, c’est super intéressant, mais on investit beaucoup de temps, détaille-t-elle. Quand on ferme son cabinet une semaine pour une course, on n’a pas de sous ! »
Trilogie santé, membre du Groupe profession santé (GPS), organise le jeudi 8 octobre, au stade Jean-Bouin, à Paris, une journée de formation consacrée à l’activité physique. À cette occasion, les professionnels de santé pourront suivre une action de DPC pour savoir quand prescrire l’activité physique adaptée, comment orienter le patient, réaliser l’entretien motivationnel et identifier les outils d’aide à la prescription. Informations et inscription sur trilogie-sante.com.