Les médecins du travail ont dû accorder leur exercice à de nombreux rebonds juridiques depuis le début de la pandémie. Le dernier en date ? Le décret du 10 novembre qui a redéfini les critères des salariés vulnérables. Si le salarié signale des conditions de travail qui ne respectent pas les mesures de protection renforcées, le médecin du travail doit rendre son avis et peut à nouveau faire un certificat d’isolement le plaçant en activité partielle. Autre nouveauté : une mise à jour du protocole national, datée du 29 octobre, autorise les entreprises à organiser des tests antigéniques pour les salariés volontaires.
Le Dr Gérald Magallon, médecin coordinateur du service de santé au travail interentreprises (SSTI) GEST 05, basé à Gap dans les Hautes-Alpes, décrypte : « Le médecin du travail pourra dorénavant trancher. Quant aux tests, ils ne sont pas notre mission prioritaire mais pourraient être intéressants pour certains secteurs. Ils nécessitent de s’organiser, s’équiper et de former les équipes.»
Pour comprendre et agir face aux multiples réglementations et recommandations, beaucoup d’entreprises sollicitent leur service de santé au travail. Lors du premier confinement, les équipes de GEST 05 ont réalisé plus de 1000 actions en entreprise, soit le tiers du volume annuel. De mars à octobre, le nombre de visites à la demande a augmenté de 26% par rapport à l’an passé. « Nous digérons les informations pour les employeurs et avons dû nous coordonner pour avoir les messages les plus cohérents possibles. Paradoxalement, ces échanges ont renforcé les liens entre les équipes alors même que nous travaillons à distance », souligne le Dr. Magallon.
Télémédecine et habilitations inédites
Car l’association gapençaise utilise encore le plus possible la télémédecine, par souci d’exemplarité. « Grâce aux outils développés lors du premier confinement, nous avons gagné en réactivité. Certes, tout ne peut pas se faire à distance, comme l’élaboration des plans de continuité d’activité ou les visites de travailleurs itinérants », détaille Sylvain Gallerini, directeur général de GEST 05. En plus de garantir les visites individuelles, les outils de visioconférence ont permis aux équipes d’informer les employeurs et les salariés grâce à des webinaires. « Ces webinaires, plus faciles à organiser et à partager, sont devenus un service essentiel. La prévention en est renforcée et les échanges d’expériences construisent une relation de confiance avec les entreprises. Ils ont servi de rappel et d’éclairage sur nos compétences en matière d’hygiène et de santé », se réjouit le directeur.
La télémédecine, adaptée massivement et en urgence au printemps par les services de santé au travail demande un certain investissement en temps et en argent. La médecine du travail avait commencé à s’y aventurer il y a un an et demi. L’association Médisis, dans l’Oise, testait alors, et a adopté depuis, des chariots de télémédecine. Le salarié est accueilli par une infirmière et le médecin peut faire en direct et à distance des examens complémentaires. Encadrant l’expérience, la Dr. Muriel Legent raconte comment elle exerce pendant l’épidémie : « Nous avons une station installée directement dans une grande entreprise isolée, elle fonctionne bien. Il est très important de ne pas négliger la protection des données médicales, même dans l’urgence. Pendant le premier confinement, nous avons utilisé des téléphones portables cryptés. Aujourd’hui, je fais plus de présentiel.» La médecin coordinateur souligne le caractère exceptionnel des derniers mois où les médecins du travail ont été habilités à élargir leur périmetre d'intervention : faire des arrêts de travail, des certificats d’isolement et bientôt des tests : « C’est du jamais vu. »
« Mieux connus, mieux reconnus »
Pourtant, d’après les témoignages recueillis, peu de médecins semblent avoir utilisé ces prérogatives de crise. Le Dr Olivier Palmieri, médecin coordinateur de l’ASMT installé à Lourdes, explique ce faible recours : « Sans compte Amelipro, nous ne pouvions pas dématérialiser les arrêts de travail. Le certificat d’isolement dans le cadre du dernier décret correspond plus à notre rôle, celui d’arbitre en cas de litige, toujours dans la posture du conseil et de l’accompagnement », estime-t-il.
Dans ce cadre, beaucoup de services sont allés au-devant des entreprises. L’ASMT des Hautes-Pyrénées a demandé par mail à ses 5000 adhérents s’ils avaient besoin d’aide à deux reprises. Suite à une enquête de satisfaction, ils ont reçu 90% de retours positifs. « Nous sommes les seuls à avoir à la fois des connaissances sur la santé des salariés et sur leur milieu du travail. Sur notre territoire, les petites entreprises nous voient comme parmi les premiers interlocuteurs de terrain », constate le Dr Olivier Palmieri.
Dans les métropoles et au niveau national, il est d'ordinaire plus compliqué de faire connaître et entendre la médecine du travail. Du fait de la crise, le Dr Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du syndicat SNSPT exerçant à Saint-Denis, en région parisienne, a observé une mise en avant et en réseau de la discipline : « Nous avons été présents dès le premier jour. Nous avons rappelé aux employeurs leurs obligations et les avons conseillés au mieux pour rompre la transmission du virus mais aussi maintenir le plus grand nombre de personnes dans l’emploi. Je n’ai jamais reçu autant de mails de la part des employeurs. De nouveaux liens ont été mis en place et une meilleure reconnaissance de la médecine du travail se dessine. Peut-être que cela nous facilitera plus tard notre travail de prévention. Oui, j’espère qu’on est mieux connus, mieux reconnus. »
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