Les personnels navigants dans les avions sont exposés à un risque accru de cancers de la peau (épidermoïdes et mélanomes) et de leucémies, selon un avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), rendu public ce 25 octobre. L'agence n'a en revanche pas pu conclure en ce qui concerne l’augmentation du risque de cancers de la prostate et du sein. Elle pointe globalement un manque d'études et de données pour établir clairement l'ensemble des pathologies auxquelles sont exposés ces travailleurs du ciel.
Cet avis a nécessité 4 ans et demi d'analyse des données par un groupe de travail ad hoc, et fait suite à une saisine de différents acteurs* alertant sur les symptômes rapportés par les personnels.
En 2020, on estime que près de 33 000 personnes travaillaient en tant que personnel navigant en France. Cette population est exposée à de nombreux facteurs de risque environnementaux : conditions inhabituelles de température, d'humidité et de pression, bruits, fluctuation du niveau d’oxygène, rayonnement cosmique, vibrations, durée de travail, travail posté, décalage horaire, etc.
Outre une revue exhaustive de la littérature, les experts de l'Anses ont consulté plusieurs sources de données**. Ils ont aussi auditionné des représentants de l'agence européenne de la sécurité aérienne, de l'association du transport aérien international, de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), de l'institut national américain de la sécurité professionnelle, de la sécurité et de la santé (NIOSH), de la Direction de la Sécurité de l’Aviation Civile (DSAC) et de l’Organisme pour la Sécurité de l'Aviation Civile (OSAC) ainsi que divers experts et médecins du travail.
Une incidence forte des cancers
L’analyse de la littérature complétée par les résultats des monographies du centre international de recherche sur le cancer (CIRC) indique une augmentation de l’incidence de certains cancers, tels que les cancers de la peau (épidermoïdes et mélanomes) et les leucémies chez les personnels navigants. Le suspect numéro un : les rayonnements solaire et cosmique, plus importants en altitude, possiblement aggravés par d'autres facteurs tel que le travail de nuit et le travail posté.
L'Anses pointe cependant le manque d’études disponibles et le fait que les facteurs de confusion potentiels n'y sont souvent pas pris en compte.
Peu concluant sur les maladies non cancéreuses
En ce qui concerne les maladies non cancéreuses, la littérature scientifique identifie un surrisque de maladies cardiovasculaires, d'effets respiratoires, d’effets sur la reproduction féminine, de troubles musculosquelettiques et de troubles psychosociaux.
Il n’est cependant « pas possible de conclure sur une association entre la profession de personnel navigant et le risque de survenue de ces maladies du fait de données insuffisantes se limitant à des données descriptives par comparaison à la population générale », conclut l'Anses qui a toutefois identifié de multiples sources de pollution de l'air dans la cabine, en lien avec les matériaux de construction, les matériaux constitutifs du mobilier, la préparation des repas, des défaillances électriques, la présence humaine, etc.
Les experts ont aussi identifié 101 pathologies en relation avec le travail de ces personnels pour lesquelles il était possible d'établir une imputabilité a minima faible. Sur ces 101 pathologies, vingt pourraient être liées à un air de qualité dégradée. Selon la base de données des centres antipoison, 66 évènements, impliquant 112 personnes entre 2000 et 2021, dont 108 membres d’équipage, mentionnent la présence d’une odeur inhabituelle : odeur de « chaussettes mouillées », de kérosène ou encore d’« huile moteur ».
Dans l'écrasante majorité des cas, les symptômes étaient de faible gravité et d’évolution favorable. Les symptômes les plus fréquents étaient neurologiques (céphalées, vertiges, paresthésie), suivis par des troubles digestifs (nausées, diarrhée, irritation buccale) et respiratoires (douleurs oropharyngées, irritation des voies aériennes supérieures, toux).
« Syndrome aérotoxique »
Ces symptômes, très variés et aspécifiques, ont été mentionnés dans plusieurs études et regroupés par certains auteurs sous le terme de « syndrome aérotoxique ». L'air qui circule en cabine est en partie prélevé au niveau des compresseurs des moteurs. Aussi, il est possible que ces odeurs inhabituelles ou fumées soient liées à des polluants provenant des moteurs.
À ce titre, l'agence se montre très critique envers les travaux de Balouet et Winter, deux auteurs américains à l'origine du terme « syndrome aérotoxique » à la fin des années 90. Ces deux chercheurs « ont publié des études courtes, souvent avec des méthodologies peu détaillées, dans des revues sans comité de lecture, et dont les résultats n’ont pas été reproduits par d’autres équipes de recherche », est-il écrit. Le « syndrome aérotoxique » ne doit donc pas être considéré comme une « entité nosologique consensuelle dans la mesure où les symptômes rapportés sont divers et non spécifiques », conclut l'agence.
Des épisodes d’odeurs, fumées ou brouillards accidentels à l'intérieur d'un avion sont tout de même documentés, généralement attribués à une contamination du « bleed air » (ou air prélevé dans les turbines) par des huiles de moteur. Des études visant à provoquer des épisodes de contamination de bleed air lors de vols expérimentaux ont mis en évidence une augmentation de la concentration de certains polluants (aldéhydes, acides organiques et trichlorophénols). Les autres sources de contamination n’ont pas fait l’objet d’investigation, hormis de rares études anciennes simulant des opérations de désinsectisation.
L'Anses souligne « l’importance de poursuivre les travaux de recherche sur la profession de personnel navigant et en particulier d’étudier les facteurs de risque tels que l’exposition aux rayonnements solaires et cosmiques qui seraient à l’origine de l’incidence accrue de cancers et des leucémies ».
*Confédération française démocratique du travail (CFDT), Association des victimes du syndrome aérotoxique (AVSA), Syndicat des pilotes de ligne (SPL) et Syndicat national du personnel navigant (SNPNC-FO).
**Les données de santé du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) et du Système d’information des Centres antipoison (SICAP).
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