Comment se préparer aux futures pandémies ? Si les mesures prises ont eu un effet majeur sur la dynamique de circulation virale, des centaines de milliers d’hospitalisations et de décès auraient pu être évités avec un confinement initial plus précoce et un rythme de vaccination plus musclé. Telles sont les conclusions des travaux des chercheurs de l’université et du CHU de Bordeaux, de l’Inserm et de l’Inria, publiées dans la revue Epidemics, en collaboration avec l’université de McGill. Les auteurs ont travaillé à partir d’un modèle mathématique et des données publiques de chaque département français entre mars 2020 et octobre 2021.
En janvier 2023, la même équipe avait communiqué une première description d'un modèle dynamique quantifiant, sur une période d'un an, les taux de transmission dans différentes régions françaises. Toutes les mesures non pharmacologiques prises avaient eu un effet significatif et indépendant sur le taux de transmission. Et les chercheurs avaient également constaté un effet des conditions météorologiques, ce que confirme la nouvelle publication de 2024 avec +10 % de transmissions en hiver et -20 % en été. Les raisons de cette saisonnalité sont autant d'ordre sociologique (en hiver, les personnes restent plus souvent groupées à l'intérieur des bâtiments) que virologique (le virus se transmet mieux quand l'air est froid et sec).
À chaque pays sa propre logique
La majorité des études sur le sujet simulaient les scénarios de sortie des mesures de distanciation sociale et de confinement et « les résultats obtenus dans un pays ne sont pas transposables dans un autre », préviennent les auteurs. « Compte tenu de leur coût économique, social et psychologique, il est crucial de connaître ce genre d'information », martèlent les auteurs.
La nouvelle étude dans Epidemics se base sur un modèle mathématique « très classique et utilisé dès le début de l'épidémie par des chercheurs chinois », précise au Quotidien le Pr Rodolphe Thiébaut, qui dirige l'équipe SISTM (statistiques dans la biologie des systèmes et la médecine translationnelle) à l'origine de cette publication. « Mais la chance que nous avons en France est que, sur la période étudiée, nous disposons de données de transmission, d'hospitalisation et de décès très précises fournies par Santé publique France », poursuit-il.
Nos chiffres montrent que, s'il faut confiner, autant le faire le plus vite possible
Pr Rodolphe Thiébaut
Le modèle employé est dit « compartimental », ce qui signifie qu'il est possible de manipuler les différents paramètres indépendamment les uns des autres pour en évaluer l'impact, et ainsi faire des simulations contrefactuelles qui explorent des scénarios alternatifs. « Nous avons restreint la période analysée à 2020 et 2021, car après cette date, la survenue de nouveaux variants a changé la physiologie de l'épidémie », raconte le Pr Thiébaut.
Des confinements de moins en moins efficaces
Selon les résultats, les mesures les plus restrictives telles que le confinement et le couvre-feu ont eu un effet important sur la réduction de transmission du virus, mais cet effet s'est étiolé avec le temps. Le premier confinement a réduit la transmission virale de 84 %, le deuxième de 73,8 % et le troisième de 11,2 %. L'heure du couvre-feu est également à prendre en compte, puisqu'un couvre-feu commençant entre 18 et 19 heures réduit la transmission de 67,9 %, contre 47,5 % pour un couvre-feu débutant entre 20 et 21 heures. Les fermetures d’écoles, quant à elles, ont eu un effet plus limité, de l'ordre de 15 %.
Comment expliquer une telle différence entre les trois périodes de confinement ? « C'est une chose de décider un confinement, c'en est une autre de le respecter, répond le spécialiste de la santé des populations. Au fil du temps, la population a été moins observante des règles de confinement et des mesures barrières. » Ces données brutes fournies par les chercheurs de Bordeaux pourraient être croisées avec des études sociologiques sur l'évolution des comportements pour mieux comprendre les ressorts des baisses observées. « Nous pourrions exploiter les travaux de la chercheuse Vittoria Colizza sur la mobilité pendant la pandémie », cite en exemple le Pr Thiébaut.
Les auteurs ont évalué les effets d’un confinement décidé deux semaines plus tôt qu'en réalité. La durée serait restée la même, mais 20 000 décès auraient ainsi pu être épargnés. « Nos chiffres montrent que, s'il faut confiner, autant le faire le plus vite possible », commente le Pr Thiébaut.
Impact majeur de la vaccination
En ce qui concerne l'effet de la vaccination, les auteurs n'ont pris en compte que le pourcentage de la population immunisée lors de la première campagne, compte tenu de la faible participation aux suivantes. Il ressort un effet protecteur qui a tendance à atteindre un plateau à partir de l'apparition du variant Delta, avec environ 25 % de transmission en moins. Mais avec la hausse de la couverture vaccinale à la fin de la période étudiée, cet effet protecteur a culminé à 87,5 % contre les transmissions, et à 98 % contre les hospitalisations.
Dans les scénarios alternatifs, les scientifiques ont estimé que, sans vaccin, il y aurait eu 159 000 décès en plus (soit un doublement des chiffres relevés par l'Insee) et 1,5 million d'hospitalisations supplémentaires au cours de la période qui va jusqu’en octobre 2021. Un vaccin disponible au bout de 100 jours, comme cela était affiché dans les plans de la Coalition pour les innovations et la préparation aux épidémies, aurait pu épargner 71 000 décès et 384 000 hospitalisations, soit près de 80 % des décès et trois quarts des hospitalisations. Un rythme de vaccination accéléré (1 % de la population chaque jour au lieu de 0,3 à 0,8 %) aurait évité 20 000 décès et 140 000 hospitalisations. « Un taux de 1 % de population vaccinée par jour n'est pas inatteignable, mais il faut une organisation importante, juge le Pr Thiébaut. Un des enseignements de cette étude est qu'il faut mettre les moyens pour vacciner la population le plus vite possible. »
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