Grossesses à l'adolescence en Guyane : un dispositif d'accompagnement reconduit et renforcé

Par
Publié le 28/11/2023
En Guyane, le pourcentage d'accouchements prématurés atteint 17% chez les femmes de moins de 20 ans et même 24% chez les mineures multipares. - Image d'illustration

En Guyane, le pourcentage d'accouchements prématurés atteint 17% chez les femmes de moins de 20 ans et même 24% chez les mineures multipares. - Image d'illustration
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

« Comment devient-on mère quand on a subi des violences, qu’on est très isolée sur le territoire, sans aucun moyen ne serait-ce que vêtir son enfant le jour de sa naissance », questionne Stéphanie Bernard. Sage-femme en Guyane depuis 20 ans, la coordinatrice du réseau périnatalité dresse un tableau très sombre d'une situation particulièrement préoccupante dans ce département ultramarin : les grossesses adolescentes chez les jeunes femmes isolées, précaires ou en grande difficulté.

Alors que le nombre de naissances chez des mères âgées de moins de 20 ans a été divisé par près de cinq en France métropolitaine ces quarante dernières années, il continue de stagner en Guyane. Ce département français d'Amérique du Sud compte en 2018 une proportion d’enfants nés de mères âgées de moins de 20 ans de 12,3 %, bien supérieure à celle de l’Hexagone (1,2 %).

Face à ce constat, a vu le jour une expérimentation de trois ans visant à accompagner les adolescentes enceintes et dans une situation complexe. « Il n’y a pas eu besoin de définir la complexité, qui est ressentie soit par la jeune fille soit par les professionnels présents à l’annonce de la grossesse », indique la coordinatrice. Ce projet, soutenu par l’agence régionale de santé Guyane, l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire et le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, a accompagné 480 jeunes femmes, âgées entre 11 et 20 ans, de mars 2020 à juillet 2023. Stéphanie Bernard décrit le profil de ces adolescentes et les situations « très préoccupantes » qu'elles traversent.

Des violences sexuelles particulièrement présentes sur le territoire

Stéphanie Bernard se rappelle une adolescente en particulier. « Le père est venu en centre de santé pour déclarer l’accouchement. Il avait 42 ans, elle en avait 14 et ne parlait pas un mot de français, lui ne comprenait pas son dialecte. Certaines jeunes filles, surtout venant de pays frontaliers tels que le Suriname, le Brésil ou Haïti, se retrouvent sous l'emprise d’hommes beaucoup plus âgés qu’elles », raconte-t-elle avec émotion.

Elle décrit également la proportion importante de femmes ayant subi des violences. Au moment de leur admission dans le dispositif, 109 déclaraient avoir subi des violences physiques et verbales, 95 (majoritairement des adolescentes de moins de 15 ans) déclaraient avoir subi des violences sexuelles et 25 grossesses étaient issues d'un viol.

Des conséquences sanitaires et psychologiques

L'objectif du dispositif est de proposer un parcours personnalisé à ces jeunes femmes, en identifiant les difficultés qu'elles rencontrent et en « les aidant à ouvrir leurs droits, à régler leurs problèmes de logement, à prendre des rendez-vous médicaux, à mettre en place un parcours judiciaire lorsqu'il y a des violences ». Les grossesses adolescentes sont associées à un risque augmenté de prématurité et d'hypertrophie. « Ce qui est souvent lié à un mauvais suivi de grossesse. Sur les 480 jeunes femmes suivies, 346 n’avaient pas encore débuté leur suivi au moment de leur déclaration, pourtant 46 % étaient déjà au deuxième trimestre et 23 % au troisième », note la coordinatrice du réseau qui précise les difficultés qu'ont ses adolescentes à prendre conscience de leur état.

Mais aussi, 215 d'entre elles n'avaient pas de couverture sociale. « 54 % des femmes suivies sont nées à l'étranger, ce qui explique les difficultés rencontrées pour ouvrir leurs droits. De plus, certaines vivent sans domicile stable ou dans des logements insalubres, sans eau ni électricité. » Elle observe également un décrochage scolaire fréquent ; 47 % des jeunes femmes suivies de moins de 17 ans n'étaient pas scolarisées. « Les grossesses adolescentes représentent une inégalité de genre importante, les filles deviennent mères ; les garçons vont à l'école », soupire Stéphanie Bernard.

Un accès plus difficile à la contraception

Selon elle, pour faire diminuer ces chiffres dramatiques, il faut travailler sur de multiples facteurs. Seulement 40 % des femmes utilisent une contraception en Guyane. Tandis qu'en France, selon le dernier Baromètre santé, 92 % des femmes en âge de procréer qui ne désirent pas de grossesse en utilisent une.

Stéphanie Bernard développe : « Il y a un accès difficile à la contraception ; certaines communes n’ont pas de pharmacie, par exemple. » De plus, l'âge des premiers rapports sexuels est en moyenne à 15,6 ans en Guyane contre 17,5 ans dans l'Hexagone, selon l'ARS.

Des sages-femmes au sein des établissements scolaires

« En parallèle, nous travaillons sur un volet de prévention pour éviter les grossesses non désirées chez les adolescentes, nuance-t-elle. Dans le dispositif, 80 % d'entre elles déclarent que la grossesse était imprévue et/ou non désirée ». En partenariat avec le rectorat, en complément des séances d'éducation sexuelle et affective obligatoires dans les établissements scolaires, un dispositif novateur a été mis en place depuis 2018. Il s'agit de permanences de sages-femmes en milieu scolaire, en renforcement du travail déjà effectué par les infirmières scolaires.

« Il est compliqué pour certaines adolescentes et adolescents d’avoir accès à la contraception par faute de moyens de transport mais aussi de freins culturels, sociaux ou familiaux, nous avons donc décidé d'aller vers les jeunes. Les sages-femmes proposent un accompagnement individuel, qui va jusqu’à la prescription d’une première contraception. »

Un guide pratique d'accompagnement en cours de finalisation

Après une période d'expérimentation, le dispositif d’accompagnement des grossesses complexes chez les adolescentes de Guyane a été reconduit et renforcé par deux nouveaux recrutements, se réjouit Stéphanie Bernard. Il sera désormais possible de le poursuivre jusqu’aux 3 ans de l’enfant, pour les jeunes femmes qui en ont besoin, « pour accompagner en particulier le retour à la scolarité et l’établissement du lien mère-enfant ».

« Durant l’expérimentation, on ne les suivait que trois à six mois après la naissance », précise-t-elle. D'autre part, le réseau périnat Guyane publiera prochainement un guide pratique d’accompagnement pluriprofessionnel des adolescentes enceintes, inspiré par un ouvrage édité en Seine-Saint-Denis, département touché également par une forte proportion de jeunes adolescentes enceintes, en partenariat avec Santé publique France. « Il y a un turn-over très important des professionnels sur le territoire, ce guide les informera de la situation en Guyane et des dispositifs existants, afin qu’ils puissent accompagner du mieux possible les jeunes femmes qui n’entrent pas dans notre dispositif. »


Source : lequotidiendumedecin.fr