« Avec l’inflation, chauffer la salle d’attente, payer la secrétaire… tout en se dégageant un salaire était de plus en plus difficile sans augmentation des honoraires. Je ne voulais pas travailler plus de 70 heures par semaine. J’ai dit stop ! » raconte le Dr Arnaud Lerouge, médecin généraliste à Cambrai dans les Hauts-de-France.
Dans cette ville de 32 501 habitants - faisant partie des déserts médicaux -, le cabinet du Dr Arnaud Lerouge se retrouve au bord de la faillite en 2022-2023, explique-t-il. Il se retrouve contraint d’investir 10 000 euros pour ne pas fermer son cabinet. Cette décision, il la prend afin de ne « pas abandonner sa patientèle qu’il suit depuis 14 ans ».
À cette situation s’ajoutent des raisons déontologiques et philosophiques. Il reconnaît qu’il avait du mal avec la Sécurité sociale et l’ingérence qu’elle s’octroie « sans en avoir vraiment la légitimité tout en stimulant certaines prescriptions, et en en empêchant d’autres grâce à la rémunération sur objectif de santé publique (Rosp) ». Il résume cette situation : « Avec ses préconisations, la Sécu par le biais de la Rosp, finissait par tenir le stylo du médecin. »
Le Dr Lerouge avait déjà décidé de ne pas rentrer dans ce dispositif. Pour lui, pas de possibilité de rester en secteur 1, et de voir plus de patients, sans dégrader la qualité des soins. La situation se résumait à « voir plus de patients, toujours plus de patients, et donc de faire des horaires monstrueux ». Il finit par poser sur un tableau Excel les conséquences de son passage en secteur 3 et prend « les décisions entrepreneuriales nécessaires : le déconventionnement tout simplement ».
Prendre le temps de soigner ses patients
Depuis, le Dr Lerouge facture 53 euros les 20 minutes au lieu de 25 euros le quart d’heure, et pratique des tarifs un petit peu plus élevés pour les consultations de dernière minute. « Je vois moins de personnes dans la journée mais ma patientèle n’a pas diminué avec 1 050 patients au total », témoigne le généraliste. Les 300 patients qui étaient partis dans un premier temps sont finalement revenus, souligne le praticien. Rappelons que pour les médecins en secteur 3, l’Assurance-maladie prend en charge 60 centimes du prix de la consultation (contre 16,55 euros pour une consultation d’un généraliste en secteur 1 avec le tarif actuel de 26,50 euros).
Le temps de travail du généraliste reste, lui, inchangé : « Je fais toujours une quarantaine d’heures de consultation et trente heures de gestion d’entreprise (gestion des courriers, vérification des analyses… ). » Quant à son salaire, il n’a pas bougé : le chiffre d’affaires a augmenté, mais les charges plus élevées en secteur 3 ne lui permettent pas de gagner plus. En revanche ce médecin « court beaucoup moins, et comme il voit moins de monde, il a moins de paperasse ».
Jamais il ne reviendra sur cette décision qui fut d’abord difficile à prendre.
Au nombre des acquis procurés par ce changement de secteur figure la qualité des soins prodigués, selon le Dr Lerouge. Il estime en effet qu’avant par manque de temps avec le patient, il avait tendance à prescrire un check-up complet afin d’être sûr de ne passer à côté d’aucune pathologie. Le temps dégagé lui permet maintenant d’éliminer les pistes en consultation. « Je surprescrivais, se rappelle Arnaud Lerouge. Je devais analyser tous les examens, j’étais assommé de bilans. »
Autre avantage : une qualité de vie retrouvée. « Je suis beaucoup moins stressé, et je peux garder mon petit dernier le mercredi après-midi. »
Pour le Docteur Lerouge, une chose est sûre : jamais il ne reviendra sur cette décision qui fut d’abord difficile à prendre. Il reconnaît avoir aussi culpabilisé au début pour ses patients en CMU, et supputait les voir abandonner les soins. Ce qui ne s’est finalement pas produit. Ses patients CMU ont fait le choix de rester malgré le coût des consultations. Après moult réflexions, le Dr Lerouge estime que ce n’est pas lui qui refuse de les rembourser, mais la Sécu.
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