Les violences, au sens large, sont un sujet bien connu de la Dr Émeline Pasdeloup. La généraliste de Gien (Loiret), enseignante et chef de clinique à la faculté de Tours y a très tôt été sensibilisée, notamment lors d’un stage d’études en centre de santé et de planification familiale, où elle a croisé de nombreuses femmes victimes de violence.
C’est à cette occasion qu’elle a pris conscience du manque de formation des médecins et de l’absence d’outils à leur disposition pour assurer une bonne prise en charge des victimes. Nourrie par cette expérience, et par son travail de thèse*, la jeune généraliste de 30 ans a contribué à la création d’un groupe de travail sur les violences au sein du Collège de la médecine générale (CMG). C’est dans ce cadre qu’elle a participé, avec la Dr Lucie Bosmean, au développement d’un kit de prévention et d’accompagnement des situations de violences. Ce guide, distribué aux médecins depuis le 18 octobre (disponible en ligne), comprend des fiches thématiques pour mieux prévenir ces situations et accompagner les patients (voir encadré ci-dessous).
La peur d'aborder la question de la violence avec les patients
« La question du repérage est centrale. La difficulté réside dans la gestion d’une réponse positive à la question : “Êtes-vous victime de violence ?” », explique la généraliste.
En effet, ouvrir la boîte de Pandore n’est pas une mince affaire. « C’est une révélation lourde avec une grosse charge émotionnelle. Accueillir la parole de la personne, l’accompagner émotionnellement demande beaucoup de compétences communicationnelles », explique-t-elle. L’un des freins rencontrés chez de nombreux médecins est la peur de poser la question aux victimes, de crainte d'être impuissant après coup. « Quand un patient vous dit subir des violences, il faut pouvoir donner une suite », précise la généraliste.
Pourtant ce travail de repérage est essentiel. Cela a permis à la Dr Émeline Pasdeloup d’aider à plusieurs reprises des patientes à sortir de l'emprise de leur agresseur et des violences, souvent psychologiques. Elle se souvient notamment d'un rendez-vous de premier contact où elle a posé la question habituelle : « Subissez-vous des violences conjugales ? » La patiente lui répond que son mari la rabaisse, la traite de « merde », mais qu’elle ne considère pas cela comme de la violence. « À ce moment-là, je lui ai donné un document que j’avais constitué avec des informations pratiques et les numéros de téléphone des différents réseaux d’aide. Au rendez-vous suivant, elle avait enclenché la procédure de divorce », se souvient la généraliste.
Leur faire prendre conscience qu’ils sont des victimes
Un autre cas l’a marquée : « C’était encore plus horrible, avec des violences incestueuses de la part du père d’une patiente. Son premier mari était violent, elle n’avait connu que la violence. Son seuil de tolérance était donc beaucoup plus élevé que la moyenne. J'ai travaillé avec elle pour inverser le processus de culpabilisation ». Toutes ces démarches ont permis à la jeune femme de se reconstruire, d’amorcer le divorce.
Pour la Dr Pasdeloup, un autre élément central est le respect de la temporalité des patients. « Il faut leur faire prendre conscience qu’ils sont victimes, sans pour autant les brusquer. Cela doit venir d’elles. Sauf en cas de danger immédiat, je n’ai jamais dit à une patiente qu’elle devait quitter son mari. J’attends qu’elle en prenne conscience elle-même. »
Pour de nombreux généralistes, un autre élément bloquant, selon Émeline Pasdeloup, réside dans la rédaction du certificat médical initial, acte très important dans le cadre d'une procédure judiciaire. « À mes débuts, à chaque fois que je devais en rédiger un, j'allais sur Google pour chercher des modèles. On en trouve sur le site du Conseil de l’Ordre. Mais je commettais souvent de petites erreurs. Par exemple, j’oubliais d’écrire la date en toutes lettres. Grâce aux logiciels médicaux, il est désormais possible de créer des modèles avec toutes les informations bien rédigées. Il ne reste plus qu’à ajouter le contenu. »
Ce certificat peut en effet être lourd de conséquences s’il est mal rédigé car il peut faire l’objet d’une plainte pour certificat de complaisance ou tendancieux. Parmi les points importants énoncés dans l’une des fiches du kit, figure la rédaction au conditionnel. Il est par exemple exclu d’écrire que le patient a subi un coup de poing ou un coup de couteau. Le médecin doit se limiter à une description factuelle comme : « Je constate un hématome ». Ce travail descriptif permet ensuite au médecin légiste de compléter son évaluation avec le récit de la victime et les constats réalisés. Le but de ce certificat n’est pas de remplacer le médecin légiste, mais de faire un travail de description précis avant qu'une éventuelle démarche médico-légale soit entreprise.
La praticienne se réjouit que cette question interpelle de plus en plus de médecins : « Une véritable prise de conscience existe parmi les professionnels de santé. Il y a de nombreuses recherches sur ce sujet. Lors des conférences, la salle est toujours pleine. C’est un sujet qui touche les gens, et ils veulent agir. Les internes posent des questions, viennent à nos cours pour approfondir. »
* Thèse sur l'exploration de l'emprise sur les femmes victime de violence conjugale de l'installation à la prise de conscience.
Ce que contient le kit de prévention
Le Collège de Médecine Générale, soutenu par Santé Publique France, a développé un kit de prévention et d’accompagnement mis à la disposition des médecins généralistes depuis le vendredi 18 octobre 2024.
Ce kit permet de structurer les actions et les accompagnements possibles par les médecins généralistes auprès des personnes concernées.
Le kit composé de plusieurs fiches aborde cinq thématiques :
– Certificat médical initial. Par qui et pourquoi peut-on délivrer un certificat médical
– Construire son réseau local. Quelles sont les ressources locales autour du médecin généraliste ?
– Que faire en cas de danger ? Les actes à réaliser en tant que médecin généraliste face à une situation de violence subite par le ou la patient(e)
– Ressources complémentaires. Des outils d’information complémentaires sur les violences
- Un sujet médical. Pourquoi s’y intéresser ? Quelles conséquences ? Le dépistage systématique ; Les stratégies de l’agresseur et du professionnel de santé.
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