L'écoute ne concerne pas que l'oreille interne, « mais aussi un ensemble de niveaux neuronaux ! ». Comme l’indique Christian Hugonnet, président fondateur de la semaine du son et ingénieur acousticien, la musique mobilise un grand nombre de structures cérébrales, à tel point que certains préfèrent l’expression « cerveau musical » à celle d’« oreille musicale ».
Dans le domaine du soin, les effets neuropsychologiques et cérébraux induits par la musique font l’objet de nombreuses évaluations. C’est notamment le cas à l’université de Caen, où l’enseignante-chercheuse en psychologie et neuropsychologie Mathilde Groussard en a fait sa spécialité au sein de l’unité Inserm Neuropsychologie et Imagerie de la mémoire humaine (NIMH). « Nous avions observé des modifications de la structure du cerveau des musiciens, et l'on a imaginé qu'il pourrait exister des effets similaires chez les personnes âgées qui pratiquent la musique », se souvient-elle.
La pratique d'activités musicales mobilise une grande variété de structures : motrices, auditives, mais aussi des structures liées au fonctionnement exécutif et à la mémoire. « Ces structures, notamment les régions frontales et de l'hippocampe, sont utilisées pour de nombreuses taches autres que la pratique musicale, poursuit Mathilde Groussard. Des études montrent un effet de la pratique sur l’amélioration et le maintien de fonctions cognitives fragilisées par le vieillissement : fonctionnement exécutif, vitesse de traitement, habilités visiospatiales, contrôle cognitif… ».
La musique implique une variété de structures cérébrales
En 2021, une équipe dirigée par Mathilde Groussard et Hervé Platel avait démontré que, contrairement à ce que l'on croyait, les patients atteints de formes avancées de la maladie d'Alzheimer sont en mesure de retenir de la musique (1). À l'occasion d'ateliers organisés dans un Ehpad près de Caen, « les résidents à un stade avancé de la pathologie parvenaient à réapprendre des chansons très anciennes et même à en apprendre de nouvelles », explique la chercheuse.
Les résidents à un stade avancé d’Alzheimer parvenaient à réapprendre des chansons très anciennes et même à en apprendre de nouvelles
Mathilde Groussard, chercheuse Inserm
La raison : la variété des structures cérébrales impliquées. Des régions bilatérales sont mises à contribution avec la musique, alors que c'est essentiellement l’hémisphère gauche qui est sollicité pour l'apprentissage verbal. Or, ces structures bilatérales sont plus tardivement compromises par la maladie d’Alzheimer (2). La mémoire sémantique musicale semble relativement bien conservée, même aux stades sévères de la maladie (3). De plus, « le plaisir ressenti par un individu est important à considérer, il augmente sa motivation favorisant sa capacité à retenir un air musical », ajoute Mathilde Groussard.
Favoriser le développement des prématurés
La musique peut favoriser le développement des enfants prématurés et rétablir le lien parent-enfant sectionné par la paroi de la couveuse. Cette notion avait déjà été énoncée par le Pr Pierre Kuhn (chef du service de néonatalogie, hôpitaux universitaires de Strasbourg), qui rappelle dans ses ouvrages que l’émergence de la fonction auditive est un phénomène tardif, qui débute vers 18 à 20 semaines d'âge gestationnel (2). Il convient donc d’assurer au prématuré un environnement sonore qui favorise la fin de cette maturité.
Au CHU de Dijon, depuis 2016, des spécialistes de la petite enfance ont d’ailleurs fait le constat de l’effet délétère d’un environnement trop bruyant pour un enfant prématuré, mais aussi d’un environnement trop silencieux. « Nous avons remarqué qu'un bébé vivait mieux les soins quand sa maman lui chantait régulièrement une comptine, explique l’infirmière puéricultrice Solène Pichon. On voit aussi des effets bénéfiques sur le rythme cardiaque ».
À l’occasion d’un nouveau partenariat entre le CHU et l’opéra de Dijon, Solène Pichon a organisé avec une chanteuse lyrique des soirées berceuses auprès des prématurés. Les chants sont nécessairement doux, car tout son supérieur à 77 dB, l'équivalent d'une conversation bruyante, est vécu comme une agression. Dans la mesure où les sons graves sont plus physiologiques que les sons aigus pour ces enfants (les sons aigus sont filtrés lors de la vie in utero), les pères sont particulièrement mis à contribution.
Une nouvelle étude en cours
L’expérience est un succès, mais ne fait pas l’objet d’une évaluation scientifique. Les membres du service de réanimation néonatale du CHU de Dijon ont lancé en 2019 un protocole expérimental sur l'effet de la voix chantée comme facteur facilitant les interactions précoces parents-enfant, auprès des prématurés nés entre 24 et 32 semaines d’aménorrhée. Vingt triades enfant-parents seront comparées à 20 autres qui bénéficieront d'une initiation des parents à la voix chantée avec le soutien d’une musicothérapeute. Tout au long du séjour, le ou les parents chantent entre 2 à 10 minutes par session, au maximum six fois par jour et au minimum trois jours par semaine.
Le fait d'entendre la voix chantée développe le réflexe de succion, l'autonomie alimentaire et, à plus long terme, l’acquisition du langage
Solène Pichon, puéricultrice
« On sait que le fait d'entendre la voix chantée rappelle à l'enfant des sensations archaïques, précise Solène Pichon. Et cela développe le réflexe de succion, l'autonomie alimentaire et à plus long terme l’acquisition du langage. » Pour les équipes aussi, un effet bénéfique se fait sentir : « En huit ans, les trois quarts des membres se sont approprié la pratique du chant », se réjouit Solène Pichon.
Un effet calmant
Des études suisses ont montré une efficacité de l'exposition à des chants enregistrés diffusés via des casques adaptés à l'enfant prématuré. L'IRM montrait un développement cérébral proche de celui d'un enfant né à terme. En France, le casque Music Care (dispositif médical de classe 1) prétend diminuer de plus de 50 % les consommations médicamenteuses des patients douloureux chroniques en agissant sur l'anxiété et les symptômes dépressifs.
L'effet calmant de la musique a aussi été particulièrement exploré par des chercheurs comme Séverine Sanson, du laboratoire de psychologie Psitec, à l'université de Lille. « Parmi les découvertes récentes, explique-t-elle, on a appris que la musique peut avoir un effet anesthésiant. » Une méta-analyse publiée en 2021 (3) a en effet apporté la démonstration d'une diminution de l'anxiété chez les patients lors d'un passage chez le dentiste. « L'écoute d'une musique qu'on apprécie provoque une activation du circuit de la récompense, une augmentation de l'activité électrodermale et même des effets métaboliques », complète Séverine Sanson.
« La musique peut aussi aider les personnes atteintes de bégaiement, puisqu'elle masque leur propre production de parole, ajoute enfin la neurobiologiste Anne-Lise Giraud, spécialiste de la parole et du langage. De plus, ces patients ne bégaient pas quand ils chantent. Et par un phénomène de plasticité cérébrale, moins on bégaie, moins on est susceptible de bégayer par la suite. »
Pour comprendre les mécanismes sous-jacents, des chercheurs d'une équipe de Montréal et de Barcelone ont recruté des volontaires et leur ont demandé de venir au laboratoire avec leur musique préférée. « Les méthodes comportementales et d'imagerie cérébrale qu'ils ont employées ont révélé que la dopamine était libérée dans le striatum, de la même manière que cela intervient quand on prend de la nourriture, qu'on regarde des images héroïques ou quand on joue avec des jeux d'argent, résume Séverine Sanson. C'est très étonnant car la musique reste abstraite. »
(1) R. Copalle et al, Journal of Alzheimer’s Disease, n° 76, 1567–1579, mai 2020
(2) P. Kuhn. Étude de la sensibilité auditive du nouveau-né grand prématuré aux stimulations sonores issues de son environnement, Université de Strasbourg, 2012
(3) F. N. van der Weijden et al, Psychology of music, mars 2021. doi.org/10.1177/030573562199843
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