Il existe une théorie de l'évolution selon laquelle la reproduction se fait au détriment des facultés de réparation de l’ADN et au prix d'un vieillissement biologique accéléré. Si cela s'est confirmé dans des modèles végétaux et animaux, qu'en est-il de l'homme ? Un travail mené par des chercheurs américains, canadiens et philippins apporte de premiers éléments de réponse : les grossesses accélèrent le vieillissement biologique, en particulier chez les jeunes femmes.
En se fondant sur les données historiques issues de l'histoire de l’aristocratie anglaise et de l'évolution de son espérance de vie entre le VIIIe et le XIXe siècle, des historiens avaient déjà constaté que les femmes qui avaient des enfants au cours de leur vie avaient une espérance de vie post-partum diminuée comparé aux nullipares, du moins pour celles qui ne mourraient pas en couche. Des résultats similaires avaient été obtenus à partir d'anciens registres québécois et du sud-est des États-Unis. Au fil du temps, une amélioration de l'alimentation et des soins médicaux ont atténué le « coût de la reproduction », mais avoir un grand nombre d’enfants semble toujours associé à une morbidité élevée et à une augmentation de la mortalité toutes causes, y compris dans les pays industrialisés.
La preuve par la méthylation de l’ADN
Pour autant, parvenir à prouver un impact sur l'espérance de vie de la reproduction pour un animal à durée de vie aussi longue que l’être humain reste un challenge. Dans leurs travaux, publiés dans les PNAS, les chercheurs tentent de le relever en mesurant le niveau de méthylation de l'ADN (mieux connu sous le nom d' « horloge biologique »), un critère qui minimise l'impact cumulatif des effets confondants tels que l'environnement ou les facteurs socio-économiques comme l'habitat urbain ou le tabagisme.
En l'occurrence, ils ont utilisé six tests différents (Horvath, Hannum, PhenoAge, GrimAge, DunedinPACE et DNAmTL) de mesure de l'horloge biologique dans un échantillon de 1 735 jeunes adultes des Philippines, issus de la cohorte longitudinale Cebu, du nom de la ville où ces participants sont recrutés depuis 1983. En tout 925 échantillons sanguins ont été prélevés en 2005, et 331 autres entre 2009 et 2014.
Sur les 825 femmes de l’échantillon, 314 ont eu au moins un enfant, et 140 en ont eu au moins deux. En moyenne, les femmes parturientes ont eu 1,61 enfant au cours de la période de suivi et 210 des 910 hommes de l'étude ont eu au moins un enfant. Quel que soit le test utilisé, les femmes ayant eu au moins un enfant étaient biologiquement plus âgées que les femmes qui n'ont jamais eu d'enfant.
Les chercheurs ont réalisé une première étude transversale (tous les prélèvements ont été faits en même temps), dans laquelle le fait d'avoir eu au moins un enfant était associé à l'équivalent de 4 à 14,2 mois d'âge biologique supplémentaire selon les tests employés, les tests de nouvelle génération ayant tendance à majorer les résultats. La méthylation de l'ADN peut être influencée par la composition leucocytaire (cellules NK, lymphocyte B, monocytes, granulocytes…) au moment du prélèvement sanguin. Cette dernière a donc été prise en compte dans ce travail. Globalement, la grossesse serait associée à une augmentation de la mortalité toute cause comprise entre 0,5 et 0,8 % par grossesse.
Les auteurs se sont également intéressés à l’influence du nombre de grossesses. Quel que soit le test employé, les femmes avec le plus de grossesses étaient celles chez qui le vieillissement mesuré grâce à la méthylation de l'ADN était le plus marqué avec une augmentation du vieillissement de 2 à 5,2 mois par grossesse supplémentaire.
Un effet plus important chez les jeunes mamans
Les chercheurs ont ensuite réalisé une étude longitudinale (avec plusieurs points de comparaison dans le temps). Les parturientes se révélaient être alors plus âgées de 2,4 à 2,8 mois comparé aux femmes nullipares. La différence entre ce résultat et celui de l’étude transversale s'expliquerait par le fait qu'au moment de cette dernière, les femmes de la cohorte étaient plus jeunes. Or, le coût d'une grossesse en termes de vieillissement biologique serait plus important lorsqu'elle intervient tôt dans la vie.
Ces données « entrent en contradiction avec une récente étude menée sur des jeunes finnoises, selon laquelle il n'y a pas de relation forte entre les grossesses et l'âge épigénétique, notent les auteurs. Les femmes de notre étude viennent de milieu défavorisé ou de la classe moyenne et ont un accès limité à l'aide sociale et à des établissements de soins de haute qualité. » Ils en déduisent que le lien entre âge biologique et naissance est plus fort dans un pays comme les Philippines où les ressources sont plus limitées.
Un vieillissement réversible
Cette augmentation de l’âge biologique lié à la grossesse ne serait toutefois pas irréversible, comme semble l’indiquer une lettre publiée le 22 mars dernier, dans Cell Metabolism. Les chercheurs de l’École de médecine de Yale et de l’université de Californie à Irvine ont mesuré les niveaux de méthylation de l’ADN dans un échantillon de 119 femmes, deux fois au cours de leur grossesse, puis juste après leur accouchement et enfin trois mois après la naissance de leur enfant. L’augmentation de l’âge biologique entre le début et le milieu de la grossesse était entre 0,7 et 2,52 ans, mais après l’accouchement, l’âge recule, en particulier chez les femmes qui ont un IMC normal et/ou qui allaitent. L’âge biologique des femmes ayant un IMC de 30 (obésité modérée) était 0,7 à 1,4 an biologiquement plus âgé celles dont l’IMC est égal à 23.
« Il y a beaucoup de recouvrements entre les changements métaboliques, physiologiques et immunologiques qui surviennent lors de la grossesse, et ceux associés au vieillissement », expliquent les auteurs de l’étude des PNAS. À ce stade, il ne leur est pas possible de faire le lien entre ce vieillissement biologique objectivé par la méthylation de l'ADN et une augmentation de la morbimortalité. Un tel lien a toutefois déjà été établi par le passé dans d'autres études menées sur des personnes âgées menées aux États-Unis et en Europe. De là à dire que les parents se font des cheveux blancs…
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