Ça mouv’en corps : des activités physiques sur mesure pour les patients atteints de fibromyalgie

Publié le 06/03/2024
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Crédit photo : Yannique Bourglan

« C’était un corps de douleur et c’est devenu un corps de plaisir et de liberté après une improvisation », témoigne l’une des patientes atteintes de fibromyalgie lors d’une présentation fin février du programme « Ça mouv’en corps ». Dans l’amphithéâtre de la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille, une centaine de personnes sont venues écouter les retours sur ce projet mis en place fin 2022 par le Centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD) de l’hôpital La Timone (AP-HM).

En France, jusqu’à 5 % de la population serait affecté par la fibromyalgie, soit près de 2 millions de personnes, dont 80 % de femmes. Cette pathologie se caractérise, entre autres signes dysautonomiques, par des douleurs diffuses, un sommeil non réparateur, une fatigue et des troubles cognitifs. Depuis octobre 2022, les patients du CETD du CHU Timone bénéficient d’activité physique adaptée (APA) dans le cadre du programme « Ça Mouv’en Corps ». Ce projet leur permet de participer à 3 séances par semaine d’APA encadrées par des enseignants spécialisés (EAPA). Cette intervention non médicamenteuse (INM) est issue de la recherche-action « FibromyActiv » menée à l’AP-HM auprès de 80 patients, pour laquelle une cinquantaine d’EAPA, kinésithérapeutes et ergothérapeutes ont été formés.

La fibromyalgie, une douleur nociplastique étendue

« La douleur nociplastique n’est plus un symptôme mais une “douleur maladie”, qui peut être régionale comme le syndrome de l’intestin irritable, l’algodystrophie, la lombalgie chronique, ou étendue comme la fibromyalgie. Il s’agit d’une altération de la nociception, le système de perception et d’intégration des douleurs. Cette douleur n’est pas uniquement expliquée par un excès de nociception ou une cause neuropathique », rappelle la Dr Stéphanie Ranque Garnier, à l’origine du projet.

Les principaux critères cliniques de cette atteinte sont une durée de plus de 3 mois, des douleurs qui dépassent dans leurs caractéristiques les causes neuropathiques ou nociceptives, avec la présence d’une hypersensibilité neurologique (allodynie mécanique statique et dynamique, au chaud/froid ou rémanence douloureuse locale). En plus de la douleur, les symptômes permettant de diagnostiquer une probable douleur nociplastique sont : hypersensibilité (son, lumière ou odeurs), sommeil non réparateur, asthénie et troubles cognitifs, poursuit la Dr Ranque Garnier.

Face à la fibromyalgie, en l’absence de traitement pharmacologique disponible (pas d’AMM en France), la première recommandation est celle d’un « reconditionnement physique ». C’est dans ce contexte que la recherche Fibromyactiv a été lancée dès 2016 par le CETD du CHU Timone, en partenariat avec l’association Sporthérapie. Dans le cadre de cette étude randomisée, prévoyant un an de suivi par participant, 80 patients ont bénéficié pendant 6 mois d’une prise en charge classique complétée pour la moitié d’entre eux d’une APA encadrée 3 fois par semaine : aquagym, équithérapie, danses, yoga, marche nordique ou encore jeux de balles et ballons… Ce qui compte n’étant pas tant la nature de la pratique, que son intensité, sa durée et sa fréquence, selon les goûts, besoins et la condition du jour des patients. « Les résultats ont montré une amélioration de la qualité de vie spécifique dès 3 mois, une baisse de la douleur et de la fatigue, une amélioration du sommeil et de l’humeur, avec une tendance à la réduction de la consommation médicamenteuse et à la reprise professionnelle, parallèlement à l’affichage d’au moins 4 500 pas par jour sur leur podomètre », développe la médecin.

Un bilan préparatoire pour personnaliser l’activité

Grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, des mécanismes cérébraux de la douleur sont présentés dès 2013 par l’Académie nationale de médecine : « L’insula postérieure de patients atteints de fibromyalgie (cortex primaire de la nociception) est en connectivité accrue avec le thalamus et en déficit de contrôle par les régions orbitofrontales et cingulaires périgénuales, expliquait alors le Pr Bernard Laurent. C’est dans ces régions de contrôle de la douleur que l’on observe les réductions de volume cortical les plus nettes chez les fibromyalgiques au prorata de la durée de maladie, mais aussi des syndromes dépressifs qui affectent également ce système mésolimbique. » « Ces éléments, bien qu’ils ne soient pas pathognomoniques de la nociplastie étendue, sont essentiels pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre et les moyens d’action, souligne la Dr Ranque Garnier. La recherche-action Fibromyactiv a montré l’évolution du métabolisme cérébral de certaines zones. »

Par conséquent, les EAPA doivent adapter les règles habituelles de leur sport aux patients. « Aussi les bilans et entretiens préparatoires sont-ils primordiaux, avec une attention portée au fractionnement, à l’équilibre, la coordination et la faible intensité, précise Stéphanie Ranque Garnier. L’aide apportée par des outils simples comme un livret de réveil corporel, l’application Activ’dos, un podomètre ou un chien, permet l’autonomisation des patients. » Prochaines étapes : de nouveaux résultats devraient permettre d’identifier des facteurs prédictifs d’amélioration à l’aide d’une IA et de « machine learning ». L’enjeu sera aussi de diffuser ces pratiques dans d’autres réseaux de soins, tandis qu’un comité de pilotage « sport santé » est prévu en mars au sein de l’AP-HM.

Neijma Lechevallier

Source : lequotidiendumedecin.fr