À l'occasion du deuxième sommet national de l'épilepsie qui s'est tenu le 25 novembre au ministère de la Santé, le premier livre blanc de cette pathologie hétérogène et complexe a été dévoilé. Porté par l'association Épilepsie France, il propose plusieurs mesures « pour faire bouger les lignes ». Le Pr Fabrice Bartolomei, chef du service Épileptologie et rythmologie cérébrale à l'hôpital de la Timone, à Marseille, en détaille les principaux enjeux.
LE QUOTIDIEN : Quelle est la vocation de ce livre blanc ?
Pr FABRICE BARTOLOMEI : Le livre blanc a été élaboré à l'initiative d'Épilepsie France et va être distribué dans les cabinets ministériels, au niveau de la Caisse nationale de l'Assurance-maladie, de la Haute Autorité de santé (HAS), etc.
L'objectif est d'impacter les décideurs pour améliorer globalement la prise en charge des maladies épileptiques, au niveau des réseaux de soins notamment, mais aussi en prenant en compte les aspects liés au travail, à la mobilité, au handicap associé… Tous ces domaines pour lesquels les patients épileptiques sont souvent mal orientés, mal reconnus et mal pris en charge.
L'idée globale est aussi de progresser dans la connaissance et la reconnaissance des maladies épileptiques, à la fois auprès du grand public mais aussi au niveau gouvernemental et médiatique. L'épilepsie est un ensemble hétérogène de maladies complexes, qui touche toutes les populations, de l'enfant au sujet âgé. Une crise épileptique correspond à une interruption transitoire du fonctionnement du système nerveux central qui va entraîner des symptômes très variés selon les régions cérébrales touchées. Or, l'épilepsie souffre de beaucoup de préjugés, sources de stigmatisation supplémentaire : les crises d'épilepsie, ce ne sont pas seulement les convulsions, la majorité des patients ne convulsent pas.
Cette complexité de la symptomatologie fait que ce sont des maladies mal comprises et de fait assez ignorées globalement, même en médecine.
À travers ce livre blanc, une stratégie nationale est souhaitée. Qu'en attendre ?
Les maladies épileptiques nécessitent une prise en charge spécifique et structurée, avec des réseaux de soins bien définis. Une stratégie nationale doit ainsi permettre de donner des instructions claires aux agences régionales de santé (ARS) pour mettre des moyens supplémentaires afin de développer de meilleurs réseaux de soins, via la création de postes d'infirmiers en pratique avancée (IPA) et en faisant en sorte que l'épileptologie soit mieux représentée dans tous les services de neurologie. La pratique de l'électroencéphalographie (EEG) doit être reconnue comme étant nécessaire dans tous les CHU et CHG qui reçoivent des urgences, alors que la maladie épileptique est la 7e cause d'adressage aux urgences.
Il faut augmenter le nombre de médecins formés à l'EEG et à l'épileptologie. En France, il y a plus de 7 000 cardiologues, mais seulement 2 500 neurologues. Et seul un quart d'entre eux environ est formé à l'EEG et à l'épileptologie. L'enseignement de l'épileptologie doit être plus consistant dans les facultés de médecine. À Marseille, où j'enseigne l'épileptologie aux étudiants en 3e et 4e année de médecine, le total des cours ne dépasse pas trois heures.
Des recommandations de la HAS sur le maillage territorial sont attendues. Le premier niveau de prise en charge concerne les urgentistes et les médecins généralistes qui sont confrontés aux premières crises des patients mais ne sont pas assez formés. Le deuxième, ce sont les neurologues libéraux ou les neurologues travaillant au sein de structures hospitalières non spécialisées, à qui l'on adresse les patients pour faire le diagnostic et amorcer les premiers traitements. Le troisième niveau correspond à la prise en charge des patients les plus compliqués, qui exigent des soins de recours plus spécialisés.
Des progrès ont été faits, avec la mise en place de huit centres de référence pour les épilepsies rares et complexes en France. Mais il existe une disparité géographique puisqu’il n'y a aucun centre de référence sur la côte ouest. Nous espérons que cela sera réparé avec la prochaine labellisation. Au moins deux ou trois centres supplémentaires devraient être créés. Il existe aussi des centres de compétence attachés à ces centres de référence. Mais en dehors de ces centres, il y a encore beaucoup de manques, avec des départements qui comptent très peu de neurologues.
Une des revendications du livre blanc est de mettre l'épilepsie au même rang que les autres maladies neurologiques. En quoi est-elle à part ?
Dans certains pays, l'épileptologie et la neurologie sont deux spécialités différentes. Et historiquement en France, l'épileptologie a souvent été mise en dehors de la neurologie. Les neurologues qui s'occupaient de l'épilepsie et de la neurophysiologie clinique travaillaient souvent dans des structures à part, en particulier à Paris et à Marseille. Beaucoup de services de neurologie n'ont fait que de façon très marginale de l'épileptologie. Cette organisation est restée un peu dans les esprits. La plupart des services de neurologie n'ont pas d'orientation épileptologie.
C'est une spécialité difficile, car très hétérogène et très dépendante de l'analyse de l'électrophysiologie cérébrale, qui requiert des structures spécifiques pour faire de l'EEG, enregistrer les patients, etc.
Diagnostic et parcours de soins, scolarité, emploi, mobilité, activité physique et sportive, isolement et liens sociaux, telles sont les six thématiques abordées dans ce premier livre blanc de l'épilepsie élaboré par les bénévoles d’Épilepsie France et des experts professionnels issus de la santé et du médico-social. Pour chacune des thématiques, un état des lieux de la situation et des solutions existantes est détaillé ainsi qu'une série de mesures visant à faire bouger les lignes. Intégrer les patients-experts dans le parcours de soins, sensibiliser à l’épilepsie tous les acteurs de la communauté scolaire et éducative, obtenir la prise en charge par l’Assurance-maladie du sport sur ordonnance ou encore soutenir le rôle des associations de patients, les mesures proposées concernent tous les pans de la vie des patients.
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