LORS DE LA JOURNÉE mondiale sans tabac, l’Organisation mondiale de la santé a dévoilé sa nouvelle stratégie de prévention contre le tabagisme : utiliser des images « choc » sur les paquets de cigarettes, une mesure déjà appliquée dans 18 pays et que la France s’apprête à adopter d’ici la fin de l’année (« le Quotidien » du 29 mai). Mais apposer l’image d’un malade sous assistance respiratoire ou celle de poumons ravagés par le tabac favorise-t-il vraiment le message préventif ? Autrement dit le « marketing de la peur » a-t-il vraiment un impact en matière de santé publique ? C’est une des questions qu’ont abordées les spécialistes lors de la Journée d’études organisée par le Centre d’analyse stratégique.
« Aujourd’hui, les neurosciences cognitives sont un moteur du marketing et de la communication des industriels dans le secteur privé. Il est temps aujourd’hui de considérer le recours à cette discipline dans les stratégies de prévention en santé », a affirmé Olivier Oullier, conseiller scientifique, coauteur avec Sarah Sauneron d’une note de veille sur le sujet. Si elles ne constituent pas de « recettes miracles », les données scientifiques et vérifiées permettent désormais de mieux appréhender le comportement des consommateurs et le rôle des émotions dans les processus d’attention, de mémorisation et de prise de décision.
« Dénormaliser » le tabac.
C’est en prenant le parti pris de la peur que les campagnes de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) ont depuis 2002, tenté de « dénormaliser » le tabac. La première campagne, « Révélation », avait marqué les esprits. Le film prenait la forme d’une alerte sanitaire avertissant les consommateurs du danger d’un produit de consommation courante contenant les traces de composants toxiques ; un numéro vert était indiqué. « Le soir même, nous avons reçu plus d’un million d’appels », souligne Aurélie Martzel (INPES). Le mystère n’a été levé que le lendemain : le produit incriminé était le tabac. À l’issue de cette première campagne, 17 % des fumeurs qui ne voulaient pas arrêter la cigarette ont déclaré en avoir envie.
Les campagnes suivantes ont joué sur le même mécanisme autour de plusieurs axes : risque du tabagisme actif, risque du tabagisme passif ou dénonciation de l’industrie du tabac. Avec les images « choc » de l’OMS, une étape supplémentaire est franchie. Plusieurs études ont démontré l’efficacité de telles illustrations, qui favoriseraient la prise de conscience du risque encouru. L’aspect brutal des photos permettrait en outre de lutter contre l’esthétisation des paquets de cigarettes à laquelle les jeunes seraient particulièrement sensibles.
Pourtant, plusieurs experts sont plus réservés quant aux résultats de telles initiatives en raison des réactions défensives contre-productives qu’elles pourraient entraîner. Une étude menée par Gemma Calvert, directrice du Centre de neuroimagerie appliquée de l’Université de Warwick (Royaume-Uni), qui visait à mesurer les réactions du cerveau face à cinq types de stimulations : des paquets de cigarettes avec et sans messages antitabac, des affiches publicitaires, des objets promotionnels pour les cigarettes ou la vision de la marque à travers le sponsoring d’événements. « Les résultats ont été surprenants, explique la chercheuse. Les paquets de cigarettes avec un avertissement antitabac stimulèrent plus les aires du cerveau associées à l’envie de fumer que les paquets qui n’en étaient pas pourvus. De plus, l’activité cérébrale semble d’autant plus élevée que le message est culpabilisant. »
Informer sans trop choquer.
Ces résultats semblent être confirmés par ceux de la chercheuse en marketing social de l’Université de Rennes, Karine Gallopel-Morvan, auteur d’un article cité dans la note de veille du Centre d’analyse stratégique, « L’utilisation de la peur dans un contexte de marketing social : état de l’art, limites et voies de recherche ». Selon elle, « l’effet d’un avertissement visuel a encore plus d’impact quand le paquet est neutre », ce qui tendrait à montrer qu’une des stratégies possibles consisterait à imposer des paquets génériques sans logos ou autres designs attractifs.
De plus, il semblerait que plus la valeur des ressentis d’un message préventif est élevée, plus les aires cérébrales participant à l’attention visuelle sont actives et moins ils sont élevés, plus l’activité des aires participant au processus de mémorisation est importante. « Choquer le fumeur va éveiller son attention mais l’informer sans trop le choquer pourrait faire en sorte qu’il retienne mieux le message », expliquent les chercheurs.
Un combat inégal.
Sarah Sauneron (INPES) souligne pour sa part que, face à la charge émotionnelle des images, « il est important que les personnes concernées ne se sentent pas démunies et qu’une solution lui soit proposée sous la forme d’un numéro Vert (Tabac Info Service, 39.89) ou en l’incitant à consulter son médecin ».
Cette journée d’étude aura aussi permis d’éclairer les conflits entre logique sanitaire et logique mercatique, notamment à travers l’esthétisation des produits d’hygiène domestique et cosmétique qui ressemblent de plus en plus à des produits alimentaires, ce qui est une source de confusion et augmente le risque d’ingestion accidentelle. Mais le combat reste inégal : « La publicité de l’industrie agroalimentaire atteint les 4 milliards d’euros, le budget de l’INPES n’est que de 5 millions », résume Valérie Boyer, auteure d’un rapport parlementaire d'information sur la prévention de l'obésité.
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