Il se prénomme Marc, et il est le tout premier patient dont les défauts de la marche provoqués par la maladie de Parkinson ont été presque entièrement gommés par une neuroprothèse d'électrostimulation greffée dans la moelle épinière. Ce dispositif mis au point par une collaboration de chercheurs Inserm et CNRS de l’université de Bordeaux, et des chercheurs et neurochirurgiens suisses (École polytechnique fédérale de Lausanne/Chuv/Unil), stimule électriquement environ cinq centimètres de moelle épinière pour harmoniser la démarche du patient.
Le prototype est le même que celui utilisé par Grégoire Courtine de l'École polytechnique de Lausanne (EPFL) et la neurochirurgienne Jocelyne Bloch du centre hospitalier universitaire vaudois (Chuv) pour leurs importantes et très médiatisées avancées dans le domaine du rétablissement de la marche des patients médullolésés.
Une problématique plus facile à traiter
« Historiquement, Grégoire Courtine est spécialisé dans les paraplégies causées par une lésion de la moelle épinière alors que ma spécialité, ce sont les maladies neurodégénératives », explique Erwan Bézard, directeur de recherche Inserm à l'Institut des maladies neurodégénératives (CNRS/université de Bordeaux). Il a donc fallu attendre la rencontre de ces deux chercheurs pour que naisse le projet d'adapter la technologie à la maladie de Parkinson. « Il est plus facile d'utiliser ce dispositif chez un patient parkinsonien, poursuit Erwan Bézard. Contrairement à un patient médullolésé, il marche déjà et n'a pas un énorme besoin en physiothérapie et de se remuscler. À peine la prothèse installée, la démarche s'améliore et le risque de chute diminue. »
Dans le cas des paralytiques, leur accident a interrompu le contact entre le cerveau et une partie de la moelle épinière. Pour les patients atteints de Parkinson, ce contact existe toujours mais c'est le cerveau lui-même qui fonctionne mal à cause de la disparition progressive des neurones dopaminergiques.
Pour fonctionner, le système de la Pr Bloch et de Grégoire Courtine ne doit donc pas se contenter d'envoyer des stimulations électriques. Il doit pouvoir assumer le rôle du cerveau en générant ces stimulations au bon moment pour que le mouvement corresponde aux intentions du patient.
« On va mesurer les mouvements résiduels, donc l’intention de la marche, avec des petits capteurs qui sont localisés sur les jambes, a expliqué Grégoire Courtine à l'AFP. Grâce à ça, on sait si la personne veut faire une phase d'oscillation ou s'arrêter, et on va donc ajuster la stimulation en fonction. »
Un « patient typique »
Dans leur étude publiée (1) dans Nature Medicine, les auteurs décrivent les premières étapes d'évaluation chez le primate non humain et les résultats de l'implantation chez Marc, le premier patient sélectionné. Ce dernier, âgé de 62 ans, est « un patient typique », commente Erwan Bézard : diagnostiqué à 36 ans, appareillé pour la stimulation profonde en 2006. Les troubles de la marche surviennent en moyenne huit ans après le diagnostic. Après 30 ans d'évolution de la maladie, il ne parvenait à marcher qu'avec de grandes difficultés.
Au bout d'un an, le nombre de chutes est passé de deux à cinq par jour à une ou deux chutes par semaine. Quant au « freezing », cette incapacité à décoller les pieds du sol, elle a complètement disparu. Les chercheurs ont mené une étude de cinématique, chez les primates comme chez le patient humain, utilisant des caméras de « motion capture » avec 120 variables, allant de la mesure de l'angle du genou, de la hanche et de la cheville, à la rigidité des bras ou la hauteur du pas. Ces analyses démontrent que le patient a largement retrouvé l'usage normal de la marche, même si cela l'oblige à une grande concentration. « On peut aussi imaginer des impacts sur le long terme en termes de qualité de vie du patient et de l’entourage », estime le chercheur.
Prise en charge au stade avancé
Pour Erwan Bézard, ce nouveau dispositif pourrait constituer, à l'avenir, la troisième étape de la prise en charge des patients parkinsoniens avancés, après la lévodopa (dès les premiers stades de la pathologie) puis la stimulation cérébrale profonde. « Les troubles de la marche interviennent chez 80 % des patients, en moyenne après huit ans d'évolution, explique le chercheur. Ce n'est pas un traitement qui se substitue aux deux autres, mais qui s'y ajoute. Chez l'animal, on voit bien qu'il y a un intérêt à maintenir la stimulation cérébrale profonde en plus des électrodes de stimulation de la moelle épinière. »
L'évolution de la maladie pourrait-elle diminuer l'efficacité du dispositif ? Erwan Bézard estime que non en ce qui concerne la marche. Mais quant aux autres types de symptômes qui peuvent survenir, tels que des problèmes cognitifs, ils ne sont pas du ressort de ce dispositif.
L'équipe de la Pr Bloch et de Grégoire Courtine va poursuivre l'expérience sur un groupe de six malades atteints de Parkinson. Il reste aussi à savoir si une telle innovation, au coût probablement très élevé, pourra bénéficier au plus grand nombre, alors que les deux scientifiques ont lancé une start-up - Onward - pour travailler à sa commercialisation. Pour justifier d'un remboursement public, l'avancée thérapeutique devra se confirmer comme majeure.
Mais le cas de Marc constitue d'ores et déjà un « tour de force » qui démontre la « faisabilité » d'une telle approche, selon d'autres neurologues qui ont commenté l'étude dans un point de vue (2) du même numéro de Nature Medicine.
Des résultats spectaculaires chez les médullolésés
Le dispositif d'électrostimulation mis au point depuis 14 ans par la neurochirurgienne Jocelyne Bloch et le chercheur Grégoire Courtine a enregistré de beaux succès chez les patients paralysés à la suite d'une lésion sévère de la moelle épinière. En février 2022, après de nombreuses publications sur le rat, trois patients parvenaient à faire 300 pas sur un tapis roulant moins de 24 heures après l'implantation (1). En juin 2023 (2), les chercheurs de Lausanne passent une nouvelle étape avec un dispositif, non plus activé par une commande manuelle, mais via des instructions transmises par deux implants de part et d'autre du crâne, et dotés de 54 électrodes posées à la surface du cortex et capables de « lire » les intentions du patient.
(1) T. Milekovic et al, Nat Med, nov 2023. doi.org/10.1038/s41591-023-02584-1
(2) A. Mizrahi-Kliger et al, Nat Med, nov 2023. doi.org/10.1038/s41591-023-02604-0
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?