À l’échelle de l’histoire de l’humanité, la domestication animale est un phénomène très récent, essentiellement centré sur la période Holocène. On peut penser que la relative stabilité climatique a constitué un cadre favorable pour le développement des sociétés qui ont pratiqué ces domestications ou pour le développement du nouveau mode de vie néolithique lui-même.
Le loup fut le premier animal domestiqué par l’homme, et ce dès le Tardiglaciaire, entre 16 000 et 10 000 avant Jésus-Christ en Sibérie, en Europe centrale et de l’ouest ; c’est-à-dire bien avant la période holocène. Toutefois, la domestication du loup ne semble pas avoir changé fondamentalement les modes de vie des hommes de l’époque. Il en va tout autrement de la domestication du porc, de la chèvre, du mouton et du buf, intervenue plus tardivement (durant le IXe millénaire av. J.-C.) et qui a participé à une mutation de l’histoire de l’humanité, la néolithisation.
A DIFFÉRENTS POINTS DU GLOBE
Comme pour le loup, la domestication de ces animaux est intervenue à différents points du globe, de façon indépendante, semble-t-il. La néolithisation fut un processus long, qui a début à la fin du Tardiglaciaire et s’est achevé cinq mille ans plus tard, à l’orée du VIIe millénaire. Les communautés se sont adaptées à un nouveau mode de vie en gérant des réserves importantes et en exploitant de façon raisonnée, par la cueillette, la collecte, la pêche, le piégeage et la chasse, une grande partie des ressources utilisables de leur environnement proche. Elles puisent leur aliment d’origine animale dans le piégeage, la chasse et la pêche, mais ne pratiquent pas encore l’élevage.
Ce n’est qu’au cours du PPNB ancien (pre-pottery neolithic B), qui débute à 8 700 av. JC au Levant nord et à 8 200 au Levant sud, qu’apparaissent les premiers indices d’élevage. Encore faut-il préciser que l’apparition de l’élevage est elle-même un processus lent, qui s’étend sur plus d’un millénaire, entre le moment des premières appropriations animales du PPNB ancien, celui des premières acclimations en dehors de l’aire de répartition des ancêtres sauvages au tout début du PPNB moyen, celui de l’extension au Levant sud à partir du VIIIe millénaire et celui où l’élevage l’emporte enfin sur la chasse dans l’approvisionnement carné, à la fin du PPNB et de la première moitié du VIIIe millénaire.
Ce n’est qu’au PPNB récent qu’apparaissent les premières grandes modifications morphologiques des animaux, preuves indubitables que les sociétés villageoises levantines influaient volontairement sur les croisements à l’intérieur de leurs troupeaux. Ainsi, contrairement aux gazelles, dont la taille ne varie pas du PPNB ancien au PPNB récent, la stature des mouflons et des chèvres aegagres diminue très sensiblement et très brutalement peu avant la fin de la première moitié du IXe millénaire. En effet, la mise en captivité des animaux engendre une situation de stress, responsable de modifications physiologiques et ontogéniques, dont la diminution de taille des bêtes.
TOUT AU LONG DE L’HOLOCÈNE
La grande diversité des situations environnementales et socioculturelles dans lesquelles se sont produites les domestications animales tout au long de l’Holocène suggère un déterminisme multifactoriel qui se prête mal à la généralisation. Mais elle résulte toujours d’une relation à bénéfice réciproque entre un groupe humain et une sous-population animale, le premier contrôlant au moins en partie la reproduction du second. Toutefois, chaque domestication est un événement particulier, résultat, à un moment donné, d’un équilibre complexe des relations qui lient une population donnée d’une espèce animale donnée à une société humaine donnée.
Des travaux archéologiques récents attestent que l’utilisation du lait des bovidés était répandue durant les IVe et IIIe millénaires en Europe occidentale. Par ailleurs, l’analyse des ossements animaux fournit des informations complémentaires à celle des résidus organiques. Elle rend compte de l’âge d’abattage des animaux et des changements de leur régime alimentaire au fil de leur vie. Dès 5 500-5 000 av. JC dans le Midi de la France des indices d’exploitation laitière des chèvres ont été retrouvés ; alors que les moutons n’étaient encore utilisés que pour leur viande, leur exploitation laitière étant plus tardive.
ET LES BOVINS ?
Qu’en est-il des bovins, dont le rendement laitier est bien supérieur à celui de la chèvre ou du mouton ? On dispose de peu de données claires à ce sujet. En effet, alors que chez les caprinés l’exploitation laitière est marquée par l’abattage d’animaux très jeunes, chez les bovins, la tétée du petit étant nécessaire à la persistance de la lactation, l’âge d’abattage des animaux n’est pas un bon indicateur de l’exploitation laitière. Cependant, des travaux récents ont montré un pic d’abattage des veaux à 6 ou 9 mois, à la fin du 7e et au début du 6e millénaire, probablement liée à la fin de la lactation.
Ces observations amènent de plus en plus de chercheurs à considérer que l’exploitation de ce que l’on a longtemps à tort qualifié de productions secondaires (traction, poil et lait) a débuté avec les premières appropriations d’espèces de rente, il y a plus de 10 000 ans au Proche Orient. On commence même à évoquer l’hypothèse que la recherche de lait ait pu jouer un rôle parmi les multiples motifs qui ont fait le succès de la domestication de certains ongulés à cette époque.
L’un des enjeux du projet européen LeCHE (Lactase Persistence and the Cultural History of Europe) est d’identifier, de localiser et de dater les différents événements de domestication pour chacune des espèces, de comparer les conditions de ces domestications multiples et d’éclaircir les éventuels liens qu’elles ont pu avoir entre elles. Il s’agit aussi de comprendre le lien entre la naissance de l’élevage laitier en Europe et au Proche-Orient et la capacité de l’homme à digérer le lait à l’âge adulte.
LE GÈNE DE LA LACTASE
En effet, si tous les bébés ou presque sont capables de digérer le lait grâce à une enzyme la lactase, celle-ci perd souvent de son activité à l’âge adulte. Or, la persistance de l’activité de la lactase à l’âge adulte varie selon les populations. Proche de 100 % dans les pays nordiques, elle est inférieure à 50 % dans les régions méditerranéennes. On s’est aperçu que la persistance de ce gène codant la lactase se retrouve particulièrement chez les populations qui ont une tradition très ancienne d’élevage. Paradoxalement, pas au Moyen-Orient, région d’origine de la vache laitière (aux alentours de – 8500 av. J.-C.), mais en Europe, entre la Hongrie et l’Allemagne, où la vache domestique a été introduite 2000 ans plus tard. On a en outre découvert, que dans ces populations, la mutation génétique qui permet au gène qui code la lactase d’être transcrit et donc, qui permet de digérer le lait, s’est développée à un rythme particulièrement élevé durant les derniers millénaires, preuve qu’elle représentait un avantage adaptatif pour les individus qui la portaient, et qu’elle a joué un rôle considérable dans l’évolution économique et sanitaires des sociétés concernées.
Où, comment et dans quelles conditions ce gène, qui permet de digérer le lait, est-il apparu et s’est-il développé ? Quel rôle a-t-il réellement joué dans le développement récent des sociétés agropastorales et comment ces dernières ont-elles mis à profit cette capacité nouvelle acquise par l’espèce humaine ? Le projet européen LeCHE a pour objectif de répondre à ces questions.
D’après une conférence organisée au Muséum national d’Histoire naturelle et présentant le projet de recherche LeCHE, avec la participation de Jean-Denis Vigne (archéozoologue, CNRS et Muséum national d’Histoire naturelle), du Pr Philippe Marteau (pathologie digestive Lariboisière), Anne Tresset (archéozoologue, CNRS et Muséum national d’Histoire naturelle), Martine Pegert (Chimiste CNRS) et Eva-Maria Geigle (paléogénéticienne CNRS).
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