« Ces vingt dernières années, le métabolisme et le rôle des acides gras polyinsaturés (AGPI) essentiels – l’acide alpha-linolénique (ALA), un oméga 3, et l’acide linoléique (AL), un oméga 6 – ont fait l’objet de nombreux travaux en nutrition pédiatrique. En effet, les AGPI à longue chaîne (AGPI-LC) dérivés de ces deux AGPI se sont révélés des molécules indispensables à la croissance et au développement », résume le Pr Alexandre Lapillonne, du service de néonatalogie de l’hôpital Necker - Enfants malades (Paris). C’est le cas de l’acide docosahexaénoïque (DHA), constituant central des membranes des cellules cérébrales et des cellules à bâtonnets et cônes de la rétine, mais aussi des acides eicosapentaénoïque (EPA) et arachidonique (ARA). Pourquoi ? Parce qu’ils sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes, l’inflammation, l’immunité et le risque de maladie cardiovasculaire et de diabète. Or, « la synthèse de ces AGPI-LC issus naturellement des AGPI essentiels est insuffisante lors des besoins très importants liés à la croissance. Elle est, en outre, sensible à tout déséquilibre entre les apports en ALA et AL, et ce durant toute la vie, souligne le Pr Lapillonne. C’est pourquoi il faut porter attention aux apports en ALA, en AL, au ratio AL/ALA mais aussi aux apports en DHA, EPA et ARA chez la femme enceinte ou allaitante et chez le nouveau-né. Des carences comme des excès lors de ces phases clés du développement peuvent en effet avoir un impact délétère sur l’enfant ».
Des besoins en AGPI de 25 % supérieurs chez la femme enceinte
Le statut nutritionnel maternel pendant la grossesse et la lactation conditionnent les apports au fœtus et au nouveau-né en AGPI-LC. Il est donc primordial. D’autant que le DHA, qui représente la moitié des acides gras des membranes neuronales, s’accumule dans le cerveau en fin de grossesse et au début de la vie postnatale. Or, « les besoins en ALA et AL durant la grossesse puis la lactation sont de 25 % et 35 % supérieurs aux apports recommandés chez l’adulte, et les apports en DHA doivent être augmentés de 150 %. Dans le lait maternel, un apport en DHA équivalant à 0,32 % des apports en lipides est donc préconisé par l’Anses comme par l’OMS », précise le Pr Lapillonne.
Chez le nouveau-né, prise de poids rapide, croissance et développement physiologique de la masse grasse nécessitent un apport important en lipides. « Durant la 1re année, poursuit le praticien, les lipides doivent apporter de 40 à 50 % des apports énergétiques journaliers, surtout les six premiers mois. Le nouveau-né a en outre des besoins spécifiques en AGPI-LC alimentaires, ses besoins étant supérieurs à sa capacité de transformation. Les aliments apportant DHA et EPA “préformés” sont donc nécessaires. Si la mère a des apports équilibrés comprenant deux parts de poisson par semaine, dont une de poisson gras – hareng, maquereau, sardine, thon, saumon – ou d’huile de foie de morue, les besoins pendant la grossesse et la lactation sont couverts. Car ces aliments sont riches en DHA. » Les algues et le jaune d’œuf aussi, mais dans une moindre mesure.
Un nouveau marché pour l’industrie
En revanche, « les huiles n’apportent que des précurseurs (ALA, AL). Mais, classiquement, on consomme trop d’oméga 6 ». Le ratio ω6/ω3 est souvent autour de 10-15, quand un ratio de 5 est recommandé pour favoriser la production de DHA. « Il faut donc privilégier les huiles riches en oméga 3 telles les huiles de colza, de noix, de lin…, voire les mélanges d’huiles équilibrés en oméga 6 et oméga 3 que l’on peut trouver dans le commerce. Pour autant, rien ne remplace le poisson, en particulier le poisson gras ou les huiles de poisson, pour couvrir les besoins en DHA. En cas de faible consommation de poisson et/ou d’alimentation déséquilibrée, il peut être utile de faire appel aux compléments de DHA, qui sont en fait des huiles de poisson. Par ailleurs, des huiles spécifiquement dédiées à la femme enceinte ou allaitante ont récemment vu le jour. Leur composition paraît intéressante, mais il n’est pas montré qu’elles aient de réels avantages. Leur promotion est cependant très active, l’industrie agroalimentaire s’étant engouffrée dans cette niche », explique le Pr Lapillonne.
En absence d’allaitement, le lait artificiel premier âge apporte les acide gras essentiels nécessaires. L’OMS et l’Anses recommandent des apports en DHA pendant la première année de vie, mais le Codex Alimentarius – bible normative en la matière, établie par la FAO et l’OMS – ne considère pas ce nutriment comme obligatoire dans les laits infantiles. Du coup, « il existe deux types de laits infantiles : ceux ne contenant pas d’AGPI-LC et ceux en contenant. Ces derniers doivent être privilégiés, en particulier chez les enfants à risque, tels les enfants prématurés ou nés avec un faible poids de naissance », conclut le Pr Lapillonne.
D’après un entretien avec le Pr Alexandre Lapillonne, hôpital universitaire Necker - Enfants malades (Paris)
Lapillonne A. « Acides gras oméga-3 et oméga-6 au cours de la grossesse et de la petite enfance ». Cah Nutr Diet. 2007 Feb;42(HS1):38-42
Brenna JT, Lapillonne A. Ann Nutr Metab. 2009;55(1-3):97-122Afssa, « Avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à l’actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras », mars 2010. www.anses.fr/fr/system/files/NUT2006sa0359.pdf
Salle B. « L’alimentation du nouveau-né et du nourrisson ». Bull. Acad. Natle Med. 2009 Feb;193(2):431-46. www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2013/03/2009.2.pdf
FAO, « Fats and fatty acids in human nutrition: Report of an expert consultation », Food and Nutrition Paper no 91, nov. 2008
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