« NOUS AVONS maintenant une vision de l’allergie à l’échelon moléculaire, estime le Pr Alain Didier. On ne se contente plus d’identifier la source allergénique – pollens, acariens, etc. –, qui sont des mosaïques d’allergènes, il est possible maintenant de dire qu’un sujet est allergique à une protéine spécifique d’un pollen ou d’un acarien. » L’identification de la protéine allergisante se fait par le dosage des IgE vis-à-vis de ces différentes protéines allergisantes obtenues par la technique des recombinants. Ces nouveaux outils de dosage biologique ont plusieurs intérêts.
Ils aident au diagnostic dans les situations complexes, car certaines protéines peuvent être ubiquitaires (panallergènes) et être responsables d’une symptomatologie d’allergie croisée. Ils permettent aussi de mieux comprendre pourquoi le patient a des symptômes autres que ceux en rapport avec son allergie principale. Par exemple, la protéine du bouleau Betv1 est une protéine de défense des plantes que l’on retrouve dans de nombreux végétaux et dans les fruits. Un sujet sensibilisé à cette protéine est souvent allergique à des fruits comme la pomme ou la noisette.
L’identification de la protéine allergisante permet aussi de savoir si le patient est sensibilisé à des allergènes majeurs ou mineurs, ce qui conditionne sa réponse à l’immunothérapie. En effet, comme cela a été bien démontré pour l’allergie aux graminées, un patient répond d’autant mieux qu’il réagit à des allergènes majeurs (plus particulièrement présents dans les produits utilisés en immunothérapie) et que le produit administré correspond mieux à sa sensibilisation.
Pour le Pr Didier, « si ce test diagnostique est une avancée importante pour les allergologues, il ne doit pas être fait systématiquement, car il est coûteux ! Il est inutile pour un rhume des foins banal avec une symptomatologie classique. Les tests cutanés vérifiant une allergie aux graminées sont alorssuffisants. Il doit être réservé aux situations difficiles avec sensibilisations multiples ou quand des allergies alimentaires et respiratoires sont associées ».
Dans l’avenir, des tests biologiques permettront avec une prise de sang et quelques microlitres de sérum de déterminer les sensibilisations vis-à-vis de très nombreux allergènes à l’échelon moléculaire. Un test de ce type qui peut déterminer 103 types différents de sensibilisation (dosage des IgE vis-à-vis de 103 allergènes à l’échelon moléculaire) est actuellement en cours de développement (test ISAC de la société Phadia). « En situation difficile, ces tests permettront d’aller plus loin dans l’interprétation des sensibilisations croisées, dans le choix des désensibilisations et dans la compréhension des réactions allergiques graves. Il va falloir apprendre à les intégrer dans la démarche diagnostique, mais ne pas les prescrire à tout le monde. Il faudra aussi savoir les interpréter ! »
Une simplification de l’immunothérapie.
Depuis que l’immunothérapie spécifique (ITS) par voie sublinguale (ITS-SL) est apparue, il y a une dizaine d’années, le niveau de preuves confirmant l’efficacité de cette voie d’administration dans l’allergie aux pollens et dans l’allergie aux acariens, a considérablement augmenté. Les essais thérapeutiques sur ce mode de désensibilisation (études multicentriques à grande échelle contre placebo sur 500 à 600 patients) peuvent maintenant se comparer à ceux effectués avec des médicaments. « C’est une bonne chose, estime le Pr Alain Didier, car l’ITS-SL a de nombreux avantages. »
En premier lieu, l’efficacité sur les symptômes est équivalente, voire supérieure, à celle des médicaments symptomatiques tels que les antihistaminiques H1 et les corticoïdes locaux.
En second lieu, l’efficacité persiste pendant quelques années après arrêt du traitement. Par exemple, lorsqu’un traitement de désensibilisation au pollen est maintenu pendant trois ans puis arrêté, un effet rémanent persiste les quatrième et cinquième années. Cela démontre qu’il ne s’agit pas uniquement d’un traitement symptomatique, mais aussi d’un traitement étiologique. À noter cependant que si la symptomatologie est réduite, le nombre de malades qui n’ont plus de signes du tout, est très faible.
Autre avantage, un renversement du rapport bénéfice/risque. Alors qu’avec l’ITS par voie sous-cutanée, des symptômes potentiellement graves (crise d’asthme) pouvaient être déclenchés, avec la voie sublinguale, les effets secondaires graves sont inexistants. En revanche, de nombreux patients ont des effets locaux à type de picotements dans la bouche pendant quelques minutes après la prise de la solution ou du comprimé en début de traitement. Ils s’estompent au fil des prises.
Enfin, l’ITS-SL est caractérisée par une grande simplicité d’emploi : le patient prend son traitement à domicile sans avoir besoin de se déplacer comme c’est le cas pour les injections sous-cutanées, souvent mensuelles ou bimensuelles.
Une récente évolution galénique est survenue avec l’obtention d’une AMM pour un comprimé sublingual, comme pour un médicament classique. Avant, l’ITS qui consistait à administrer un produit soit par injection, soit sous forme de gouttes à déposer sous la langue, était soumise au système particulier des APSI (allergènes préparés spécialement pour un individu). « C’est une avancée scientifique indiscutable, estime le Pr Didier. Cependant, si ce type de traitement est valorisé par l’AMM, il est dévalorisé par un remboursement à 15 %. De plus, comme il s’agit d’un traitement coûteux, non pris en charge par les mutuelles, cela exclut un certain nombre de patients de ce mode de traitement. »
Pour les allergies alimentaires aussi ?
« L’ITS-SL est actuellement surtout développée dans le domaine respiratoire. Cependant, elle est tellement bien tolérée, souligne Alain Didier, qu’il n’est pas impossible qu’elle puisse être utilisée pour les allergies alimentaires. » L’ITS-SL aurait un grand intérêt chez des enfants qui ont des intolérances alimentaires graves. Elle pourrait permettre d’augmenter le seuil de tolérance à un allergène. Ainsi, un enfant qui ne tolère pas quelques milligrammes d’arachide pourrait consommer une ou deux arachides sans inconvénient. Sans aboutir à une consommation sans limite de l’aliment interdit, la désensibilisation par cette voie pourrait permettre de faire face à des erreurs ou à une prise inconsciente de l’aliment incriminé. La voie sublinguale permet donc d’élargir le champ des indications à des allergies qui pour le moment ne relevaient pas de l’immunothérapie spécifique.
D’après un entretien avec le Pr Alain Didier, CHU de Toulouse.
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