C'est à partir du XIIe siècle qu'apparaît le mot salse, sause ou sausse, dans la langue française, désignant alors tous types d'assaisonnements. À cette époque et jusqu'à la fin du XVIe, les sauces, mais aussi, l'alimentation en général étaient perçues comme une arme capitale du médecin. Les cuisiniers étaient censés garantir la bonne santé du mangeur en prenant en compte le goût et la « complexion » (nature) des aliments et assaisonnements. Ainsi, depuis l'Antiquité, la médecine considérait que l'univers (y compris, le corps humain) était composé de 4 grands principes : chaud, froid, sec et humide. Afin que l'homme soit en bonne santé, ces 4 éléments devaient être en équilibre dans son organisme. Pour cela, l'alimentation devait être « tempérée » (équilibrée) : les sauces étaient utilisées pour « corriger » les aliments. Par exemple, les animaux et végétaux (froids et humides) devaient être corrigés par des sauces comportant une grande variété d'épices (chaudes et sèches). Par ailleurs, le caractère d'une personne colérique (considérée comme chaud et sec) devait être corrigé par des aliments et sauces froids et humides. « Hippocrate, qui inventa cette théorie humorale, considérait que si le corps était en équilibre avec la nourriture, il n'y avait pas de raison de tomber malade », affirme Mary Hyman.
Les sauces mettent en valeur les aliments…
C'est vers la fin du XVIe siècle que les idées médicales et la façon de cuisiner commencent à changer. Les aliments sont alors considérés comme renfermant des principes : salés (goût), huileux (moelleux, douceur), et spiritueux (responsable des odeurs). Les herbes et les condiments, les sauces au beurre, les essences et les jus étaient privilégiés en vue de mettre en valeur les aliments et de révéler leur vrai goût. « Dès le XVIIe siècle, la médecine fait l'objet de grand progrès et on commence à mieux comprendre le fonctionnement du corps humain sans, pour autant, abandonner les vieux principes : de la fin du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, lors d’un banquet, on servait 4 plats par service et par convive pour que chacun puisse trouver des mets correspondant à sa complexion », indique Mary Hyman.
Au XVIIIe et XIXe siècle le nombre de sauces augmente de façon importante ; celles-ci sont reconnues comme piliers de la cuisine française. Les sauces sont alors codifiées par Antonin Carême (1815), divisées en « grandes » (sauces mères : béchamel, espagnole, allemande, velouté, Grand veneur…) et « petites » sauces (sauces mères diversifiées à l'aide d'autres ingrédients).
elles se réinventent et se mondialisent
Au XXe siècle, l'uniformisation des sauces est mise à mal. Dès les années 1970, on revient aux jus, essences, herbes fraîches, sauces montées au beurre, légèrement crémées. « Les jeunes chefs de la Nouvelle Cuisine s'écartent des sauces classiques et codifiées jugées trop riches et lourdes. ; ils réalisent, de plus en plus, de sauces minute aux textures inédites (mousses, purées, coulis, déglaçages…) faites sur mesure au moment de réaliser le plat », précise May Hyman.
Au XXIe siècle, la cuisine est devenue mondiale ; il est de plus en plus difficile de distinguer les traits saillants des cuisines des différents pays, en France comme ailleurs. « L'influence de l’Asie et des chefs japonais notamment est très importante : les sauces adoptent des goûts plus exotiques (lait de coco, citronnelle…). Elles se muent en associations de saveurs (sucré/salé ; acides ; umami…). Dans les restaurants gastronomiques, elles sont souvent présentées en très petite quantité dans les assiettes, par petites touches, pour transformer les plats en véritables œuvres d'art », conclut Mary Hyman.
D'après un entretien avec Mary Hyman, chercheuse indépendante, spécialiste de l’histoire du livre de cuisine en France et co-directrice des recherches historiques pour l’Inventaire du patrimoine culinaire de la France.
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