Le Quotidien du Médecin. Votre laboratoire a montré l’effet anti-inflammatoire du DHA au niveau des cellules microgliales qui sont les cellules de l’immunité du cerveau (1). Vous avez travaillé sur la composition en acides gras des membranes cellulaires du cerveau. Cette composition influe sur l'intensité et la durée de l'inflammation des cellules cérébrales. Quels sont les facteurs qui peuvent modifier la composition en acides gras des membranes cellulaires du cerveau ?
Corinne Joffre : Les deux principaux facteurs sont l'hérédité et l'alimentation. Concernant cette dernière, nous avons montré que la composition en acides gras du cerveau varie en fonction de la teneur en acides gras poly-insaturés (AGPI) du régime alimentaire. Par exemple, un régime déficient en AGPI n-3 a pour effet de diminuer les taux en AGPI n-3 à longue chaîne du cerveau. Alors qu’un régime supplémenté en AGPI n-3 à longue chaîne permet de les augmenter. La majeure partie des AGPI du cerveau proviennent de l'alimentation.
Les AGPI précurseurs (acide linoléique ou acide alphalinolénique) viennent des huiles végétales. Ils sont très peu présents dans le cerveau. Quant aux AGPI à longue chaîne, ils sont présents majoritairement dans les poissons et les produits de la mer.
Deux périodes de la vie semblent particulièrement sensibles aux apports en oméga 3 : la période périnatale et celle du vieillissement. Quelles peuvent être les conséquences d'une faible consommation d’oméga-3 sur le développement et le vieillissement des structures cérébrales ?
C R : Durant la période périnatale, les tissus riches en DHA (cerveau, rétine) se développent. C’est au cours de cette période que se fait la plus grande accumulation de DHA dans ces tissus. Une faible consommation de la mère en oméga 3 peut donc être dramatique pour l'enfant. Le DHA joue un rôle dans la plasticité synaptique : une incorporation de DHA plus faible peut entraîner une mauvaise mise en place des connexions neuronales et peut avoir un effet sur la cognition, en particulier sur la mémoire (2). La période de vieillissement, quant à elle, est celle au cours de laquelle les taux de DHA dans la rétine et le cerveau diminuent. Des études ont montré une association entre la consommation de DHA et le ralentissement du déclin cognitif. Une faible consommation de DHA pourrait alors accélérer le déclin cognitif.
D'après vos travaux, l'EPA a des effets sur la dépression. Les patients dépressifs dont les taux de marqueurs pro-inflammatoires (mesurés dans le plasma) sont les plus élevés répondent le mieux à l'EPA. Pourrait-on ainsi imaginer qu'à l'avenir les marqueurs pro-inflammatoires soient recherchés chez les patients dépressifs ?
C R : Il est difficile d’imaginer que les marqueurs pro-inflammatoires soient systématiquement recherchés chez les patients dépressifs même si l’inflammation joue un rôle dans la dépression chez certaines personnes, notamment celles subissant une immunothérapie. La survenue des symptômes dépressifs en fin de traitement dépend des cytokines utilisées et des modalités du traitement, mais aussi de la vulnérabilité du patient, c'est-à-dire de sa prédisposition à développer cette pathologie lorsque les facteurs causals sont présents.
Pensez-vous, qu'une supplémentation en oméga 3 pourrait être proposée aux patients dépressifs dont les taux de marqueurs pro-inflammatoires sont élevés ?
C R : Cela pourrait être une possibilité. En effet, il a été montré que la dépression due à une immunothérapie peut être prévenue par un prétraitement avec de l’EPA (3). De même, une étude épidémiologique a montré que les personnes qui ont une alimentation riche en AGPI n-3 ont une diminution de l’incidence des troubles de l’humeur (4). Des études cliniques ont montré qu’une supplémentation en EPA en complément d’antidépresseurs est associée à une amélioration du taux de dépression (5). Chez l’animal, des résultats obtenus dans le laboratoire NutriNeuro à Bordeaux ont montré qu’un déséquilibre en oméga 3 induit une augmentation du comportement de type dépressif, du stress et de la neuro-inflammation à l’âge adulte. Parallèlement, une supplémentation en oméga 3 (huile de poisson) permet de prévenir cet effet sur le stress.
D'après un entretien avec Corinne Joffre, chercheuse à l'INRA ; Université de Bordeaux, laboratoire Nutrition et Neurobiologie Integrative (NutriNeuro).
(1) De Smedt et al. 2008
(2) Madore et al. 2014
(3) Su et al. 2014
(4) Hibbeln, 1998
(5) Gertsik et al. 2012
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