Le Pr Philippe Legrand, qui a cosigné les recommandations de l’ANSES (1) concernant les apports nutritionnels d’acides gras (AG), plaide pour reconsidérer la place des AG saturés (AGS) dans l’alimentation. « En termes biochimiques, il n’y a pas de justification à mettre toutes ces molécules sur le même plan, quelle que soit la longueur de leur chaîne carbone, leurs effets physiologiques, les doses auxquelles elles sont consommées », a-t-il déclaré à Berlin lors de la dernière Conférence européenne de nutrition (FENS). Comme cela se fait déjà avec les oméga 3, 6, 9… Il faudrait donc selon lui distinguer les différents AGS dans les recommandations alimentaires, et notamment ne pas restreindre la consommation des AGS courts (< C8) : « La littérature récente suggère fortement de distinguer les AG athérogènes en cas d‘excès (acides palmitiques, myristique et laurique) des autres (AG à chaîne courte et moyenne, acide stéarique) », indique l’ANSES (1).
La matrice laitière
Allant plus loin, de nombreuses études se sont intéressées plus spécifiquement au cas de la matière grasse laitière, certaines (mais pas toutes) mettant en évidence une diminution du risque cardiovasculaire associée à celle-ci. Ulrika Ericson (Lund, Suède) a ainsi présenté lors de cette conférence un travail sur la cohorte de Malmö (n = 26 930, suivis durant 14 ans) montrant une diminution du risque de diabète de type 2 chez les plus grands consommateurs de produits laitiers entiers – — mais pas chez ceux mangeant de l’allégé — et une augmentation associée à la consommation de viande, quelle que soit sa masse grasse. « L’éventuel effet protecteur des produits laitiers pourrait être dû à la présence d’AG à chaîne courte et moyenne dans les lipides laitiers, voire à d’autres constituants non lipidiques ou à d’autres facteurs de confusion liés au mode de vie », explique l’ANSES (1).
Une remise en cause des recommandations
Reste à faire la synthèse de travaux de qualité et de résultats hétérogènes. Une importante méta-analyse intégrant des études de cohortes et d’intervention (mais pas spécifiquement avec les AGS) conclut que « les données disponibles actuellement ne permettent pas de juger d’un éventuel effet de l’apport alimentaire en graisses, ni en AG saturés, sur le risque coronaire » (2). En d’autres termes, le risque, s’il existe, n’est pas prouvé, en particulier lorsqu’il est ajusté à la consommation énergétique totale. De fait, seuls les acides gras trans et les oméga 3 disposent de preuves solides pour que l’on puisse affirmer avec certitude qu’ils sont, l’un délétère, l’autre bénéfique.
Mêmes conclusions plus récemment avec une autre revue, qui prévient : « les recommandations doivent considérer avec prudence l’effet de remplacement des nutriments entre eux » (3).
À l’inverse, une analyse poolée a relevé que remplacer les AGS par des AG polyinsaturés (essentiellement, de l’acide linoléique), réduit le risque de décès coronaire de façon dose dépendante : RR = 0,74 (IC 95 % [0,61-0,89]) pour chaque diminution de 5 % des AGS par rapport au total énergétique (4). Ceci n’étant pas vrai si le sucre est choisi pour remplacer les AGS.
En tout état de cause, l’OMS recommande toujours de limiter la quantité totale de matières grasses à 30 % de la ration énergétique, celles des AG saturés à 10 %, et celle des AG trans au niveau le plus bas possible, voire à zéro (5). Mais, pour le Pr Benoît Lamarche (Laval, Canada), cela devrait évoluer : « la diminution de consommation des AGS n’est pas justifiée par l’évidence scientifique et il serait temps que les autorités de santé prennent en compte toutes ces données pour établir leurs recommandations », a-t-il déclaré (6). C’est, pour beaucoup, un pavé dans la mare. Ou un dogme qu’il faut savoir remettre en cause, c’est selon le point de vue.
Dans le cadre d’une invitation du CERIN.
(1) ANSES 2011. Actualisation des apports nutritionnels conseillés pour les acides gras.
(2) C. Murray Skeaff and Jody Miller. Dietary fat and coronary heart disease: summary of evidence from prospective cohort and randomised controlled trials. Ann Nutr Metab 2009;55:173–201.
(3) Russell J de Souza et al. Intake of saturated and trans unsaturated fatty acids and risk of all cause mortality, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of observational studies. BMJ 2015;351:h3978.
(4) Marianne U Jakobsen et al. Major types of dietary fat and risk of coronary heart disease: a pooled analysis of 11 cohort studies. Am J Clin Nutr 2009;89:1425–32.
(5) OMS 2012. Cadre global mondial de suivi, comprenant des indicateurs, et série de cibles mondiales volontaires pour la lutte contre les maladies non transmissibles.
(6) Benoît Lamarche and Patrick Couture. It is time to revisit current dietary recommendations for saturated fat. Appl. Physiol. Nutr. Metab. Vol. 39, 2014.
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