Selon les données collectées sur plus de 100 000 adultes rassemblés au sein de la cohorte NutriNet entre 2009 et 2023, il pourrait y avoir une association entre l’ingestion chronique de certains additifs émulsifiants et un risque accru de diabète. Ces résultats publiés dans le Lancet Diabetes & Endocrinology ne font toutefois pas l'unanimité parmi les commentateurs.
Les émulsifiants sont l’un des axes de recherche de cette équipe : en février dernier, ils avaient déjà publié une étude démontrant la possibilité d'un lien entre exposition chronique et le risque de cancer. Un lien avait également été établi par ces chercheurs entre l'exposition aux édulcorants et le risque de cancer et un risque accru de maladies cardiovasculaires.
Des ingrédients ubiquitaires
Les émulsifiants sont couramment ajoutés aux aliments industriels transformés en vue d'« améliorer » leur apparence, leur goût, leur texture et leur durée de conservation. Ils comprennent notamment les mono- et diglycérides d’acides gras, les carraghénanes, les amidons modifiés, les lécithines, les phosphates, les celluloses, les gommes et les pectines.
Selon des études récentes, les émulsifiants pourraient interagir négativement avec l'équilibre du microbiote intestinal, augmenter le risque d'inflammation et, sur le long terme, de résistance à l'insuline. Les chercheurs ont analysé les données de suivi de la cohorte NutriNet sur 14 ans. Les participants devaient, au cours de cette période, indiquer le contenu de leur panier de courses (marque, quantité), sur au moins deux journées d’enregistrements alimentaires représentatives. Les participants étaient également soumis à des questionnaires deux fois par an. En outre, des prélèvements sanguins venaient compléter ce corpus de données.
Au cours du suivi, 1 056 cas de diabète de type 2 ont été rapportés par les participants et confirmés par la présentation de prescriptions médicales. En tenant compte des facteurs de risque, les chercheurs ont calculé un niveau de risque différent associé à chaque émulsifiant répertorié.
Un surrisque différent pour chaque famille
La famille des carraghénanes est associée à une augmentation de 3 % du risque de diabète de type 2 par tranche de 100 mg d'émulsifiants consommés par jour. Les phosphates tripotassiques sont eux associés à une augmentation du risque de 15 % par 500 mg par jour. Les éthers d’acide acétyltartrique de monoglycérides et de diglycérides d’acides gras sont associés à une augmentation du risque de 4 % par incrément de 100 mg par jour. Des données ont également été documentées pour le citrate de sodium (+4 % par incrément de 500 mg/jour), la gomme-guar (+11 % par incrément de 500 mg/jour), la gomme arabique (+3 % par incrément de 1 000 mg/jour) et la gomme xanthane (+8 % par incrément de 500 mg par jour).
Cette étude ne constitue pas la preuve définitive du lien de causalité entre émulsifiants et diabète de type 2, et plusieurs scientifiques pointent ses limites. À commencer par les auteurs eux-mêmes qui reconnaissent que la cohorte NutriNet, très féminine et très éduquée, n'est pas représentative de la population française en général. « Ces résultats sont issus d’une seule étude observationnelle pour le moment, et ne permettent pas à eux seuls d’établir un lien de cause à effet, expliquent Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, et Bernard Srour, professeur junior à INRAE, principaux auteurs de l’étude. Ils doivent être reproduits dans d’autres études épidémiologiques à travers le monde, et complétés par des études expérimentales toxicologiques et interventionnelles. »
Débat méthodologique
« Ce type d'étude de grande envergure constitue une partie vitale du processus scientifique, toutefois, ces études ne suffisent pas à prouver que les émulsifiants provoquent un diabète de type 2 », réagit la Dr Sarah Berry, du département des sciences de la nutrition au King's College de Londres et une des relectrices de l'étude. Cette spécialiste rappelle que la présence de très nombreux composés dans l'alimentation rend particulièrement difficile l'identification de l'effet individuel de chacun d'entre eux. « Des études sur l'effet cocktail seront nécessaires pour informer les politiques publiques », prédit-elle.
Le Dr Duane Mellor, de l'école de Médecine d'Aston pointe pour sa part que la consommation d'émulsifiants va de pair avec la consommation de nourriture très transformée, déjà associée à un surrisque de diabète. « Nous devons prendre en considération que les émulsifiants analysés dans cette étude sont extrêmement variés et incluent jusqu'au bicarbonate de sodium utilisé comme levure chimique, poursuit le chercheur. Il peut y avoir des recouvrements entre les différents ingrédients, ce qui doit interroger sur la manière dont ces ingrédients sont utilisés et classifiés. »
Pour le professeur de nutrition Gunter Kuhnle (université de Reading) la principale faiblesse des données de NutriNet est qu'elles se basent sur ce que communiquent les industriels de l'alimentation. « Cette étude permet de faire un lien entre les aliments et le risque de diabète, mais pas entre le risque de diabète et les émulsifiants qu'ils contiennent, affirme-t-il. Les effets observés sont relativement faibles, et ont peu de chances d'être significatifs. »
L'équipe de recherche va poursuivre son travail, et s’intéresser aux variations de certains marqueurs sanguins et du microbiote intestinal en lien avec la consommation de ces additifs. Elle va également s’intéresser aux conséquences sur la santé des mélanges d’additifs et de leurs potentiels « effets cocktails ».
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