Lors d'épidémies de bronchiolite, le manque de places en réanimation pédiatrique pousse parfois des enfants ayant besoin d'une assistance respiratoire vers des services pédiatriques, de néonatalogie ou de réanimation adulte, avec des niveaux de préparation très hétérogènes. L’hiver 2022-2023, des petits patients ont ainsi dû être transportés à des centaines de kilomètres, faute d'équipes formées pour les recevoir sans risquer de contaminer les autres enfants hospitalisés.
Très préoccupés par ce constat « inacceptable », le Pr Daniele De Luca et ses collègues de l'hôpital Antoine-Béclère se sont retroussé les manches et ont formalisé un protocole destiné à leurs collègues qui souhaiteraient accueillir dans de bonnes conditions des jeunes enfants atteints de bronchiolite. « Le manque de place en réanimation pédiatrique est un problème de santé publique que l'on rencontre dans tous les pays européens, », insiste-t-il auprès du Quotidien. Le protocole qu'ils décrivent dans le Lancet EclinicalMedicine est appliqué depuis trois ans à Antoine Béclère, « et nous n'avons à déplorer aucune contamination croisée pour l'instant, assure le Pr De Luca. Avec une organisation bien faite, et un projet d'équipe, on peut absolument prendre en charge les enfants de façon efficace et sûre. »
Des trous dans la littérature
Dans un premier temps, les chercheurs ont dressé un état des lieux exhaustif de la littérature existante sur le sujet. « Il existe une littérature abondante sur la bronchiolite, mais elle traite toujours des urgences, de la prise en charge en ambulatoire ou en service de pédiatrie générale. Nous manquons de connaissances sur les patients les plus graves admis en réanimation », résume le Pr De Luca. Les auteurs n'ont identifié qu'un seul texte de recommandations pratiques pour la prise en charge de la bronchite sévère, mais elle ne s'adresse qu'aux services de réanimation pédiatrique. Les auteurs ont donc « comblé les manques », en adoptant une double approche : clinique et santé publique.
On estime que 5 % des enfants admis à l’hôpital pour bronchiolite nécessitent une assistance respiratoire. Parmi eux, 10 % développent un syndrome de détresse respiratoire aigu. Le risque médian de transmission nosocomiale du VRS est de plus de 28 %, avec un taux de mortalité de 8 à 12 %. Le protocole mis au point à Antoine-Béclère vise en priorité à éviter les transmissions et repose en particulier sur l'utilisation de chambres à pression négative, de l'installation de filtres à haute efficacité (HEPA, High Efficiency Particulate Air) sur les respirateurs et sur un isolement strict avec un professionnel infirmier dédié à l’enfant. « Un prématuré infecté par le VRS a un risque de décès de l'ordre de 30 % », souligne le Pr De Luca.
Un luxe de précautions à adapter au contexte
« Dans notre service, nous avons pris un maximum de précautions, explique-t-il. Nous savons que tous les établissements n'ont pas les moyens de toutes les appliquer, mais il est important que nos collègues les connaissent et adaptent celles qui sont possibles dans le contexte de leur pratique ». L’isolement des patients infectés, l'usage intensif du gel hydroalcoolique ainsi que le port de masque, de gants et, si possible, de lunettes de protection, sont préconisés. La position de la chambre accueillant le patient a son importance : au bout d'un couloir si possible pour éviter que le personnel dédié ne croise les autres professionnels de santé.
Ces consignes sont cruciales si certaines catégories de patients très sensibles aux infections sont présentes au même étage : prématurés, enfants atteints de dysplasie bronchopulmonaire, de défaut cardiaque congénital, de maladie neuromusculaire ou encore d'immunodépression, innée ou acquise.
L'article fournit des recommandations pour la préparation des équipes de soins intensifs en amont de la saison hivernale. Ces dernières doivent disposer de solides connaissances sur les soins critiques respiratoires et sur le contrôle de l'infection. Aussi, un protocole adapté au service doit être formalisé et distribué à tous les membres de l'équipe qui doivent en outre apprendre à collaborer dans les conditions de tension générée par l'épidémie.
Des critères de sévérité à respecter pour préserver les ressources en lit
Le flux de patient doit être anticipé, en collaboration avec les services de pédiatrie. La sévérité de chaque cas doit être évaluée, afin de les répartir entre surveillance et admission en soins intensifs. Le but est de ne pas gaspiller de précieux lits de réanimation.
Les critères retenus pour l'admission en réanimation sont l'hypoxie, la dyspnée, des apnées périodiques, une hypercapnie, un trouble hémodynamique et une déshydratation. L'hypoxie est définie par une saturation en oxygène inférieur à 90 % ou une pression partielle d'oxygène inférieure à 60 mmHg malgré une supplémentation en oxygène (moins de 2 l/min). L'hypoxie peut aussi se caractériser par l'association d'une pression partielle d'oxygène supérieure à 88 % et d'un index d'oxygénation inférieur à 4. Un âge inférieur à six mois et une naissance prématurée sont des critères supplémentaires à prendre en compte.
Pas de traitement validé
La prise en charge doit comprendre, outre le suivi standard des variables biologiques, une nutrition entérale, une hydratation par voie sous-cutanée et un contrôle strict de la balance des fluides pour prévenir la surcharge volémique. L'imagerie thoracique n'est en revanche pas recommandée en routine, mais peut être utilisée en cas de complication comme un pneumothorax.
Certains traitements peuvent potentiellement réduire la durée du séjour hospitalier, mais le niveau de preuve dans la littérature e encore faible. C'est le cas de l’agoniste des β2 en nébuliseur et de l'épinéphrine dont les études montrent qu'ils peuvent soulager certains phénotypes de la pathologie (par exemple quand la bronchiolite survient en dehors de la saison habituelle). Une étude unique plaide en faveur de la solution saline hypertonique nébulisée capable de diminuer l’œdème épithélial. Enfin, l'installation sur le ventre est un moyen simple et déjà recommandé chez l'adulte pour soulager les syndromes respiratoires aigus.
Certains envisagent d'utiliser le Beyfortus (nirsévimab), utilisé en préventif dans le cadre d'une campagne nationale pour améliorer le pronostic des enfants déjà infectés et en réanimation, mais des études doivent encore être menées pour évaluer cette approche. « Nous sommes un des centres qui ont participé à l’étude randomisée sur l’utilisation du nirsevimab en préventif à ce sujet, indique le Pr De Luca. Son utilisation en traitement curatif n’a pas encore fait l’objet de travaux. Ce qui est certain, c’est que la pénurie de doses n’a pas permis cette année de réaliser une immunisation effectivement universelle ».
Clap de fin pour l’épidémie de bronchiolite dans l’hexagone
Si l’épidémie de bronchiolite reste très active à Mayotte, elle est terminée en France métropolitaine et dans les autres départements d’outre-mer qui sont tous passés en dessous des seuils fixés par Santé publique France, selon le dernier bulletin de cette dernière. Parmi les 1 629 enfants de moins de deux ans vus aux urgences pour bronchiolite en semaine 07 (du 12 au 18 février), 1 488 (91,3 %) étaient âgés de moins d’un an et 531 (32,6 %) ont été hospitalisés. Parmi les 531 enfants hospitalisés, 492 (92,7 %) étaient âgés de moins d’un an. Il était observé une stabilisation des hospitalisations après passage aux urgences pour bronchiolite chez les enfants de moins de deux ans.
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