« Nous assistons aujourd’hui à une dégradation forte de l’expertise en santé de l’enfant. Cela ne concerne pas uniquement les pédiatres, mais tous les autres professionnels de santé participant à cette expertise en santé de l’enfant (chirurgiens et anesthésistes pédiatriques, pédopsychiatres, radiologues, médecins scolaires, médecins de PMI, puéricultrices). Et c’est ce qui fait la gravité de la crise actuelle », souligne la Pre Isabelle Claudet, cheffe du pôle Enfants au CHU de Toulouse et pilote d’un rapport du Haut conseil de la santé publique (HCSP) intitulé : « Professionnels de santé et offre de soins pour les enfants : enjeux quantitatifs et qualitatifs. »
Ce rapport dresse d’abord un bilan de l’offre démographique des professionnels de santé spécialisés et fait état de l’évolution à venir si rien n’est fait pour enrayer les tendances actuellement observées.
Selon la Drees, en 2018, la France métropolitaine comptait 7 902 pédiatres (72,3 % de femmes), tous modes d’exercice confondus : activité libérale ou mixte (38,8 %), salariés hospitaliers (51,9 %), autres salariés (9,3 %). Selon le rapport 2018 du conseil de l’Ordre, la répartition des activités est sensiblement différente : salariés (68 %), libéraux exclusifs 22 %, mixtes. Comparée aux autres pays d’Europe, la France se situe en 27e position de densité de pédiatres libéraux (source Eurostat).
L’âge moyen des pédiatres en France métropolitaine est de 49,2 ans. La Bourgogne Franche-Comté et Pays de la Loire sont les régions où cette moyenne est la plus basse, l’Île-de-France et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, celles où elle est la plus élevée. « Dans ces régions, le nombre d’internes de pédiatrie en formation ne va pas permettre de compenser les départs en retraite au cours des prochaines années », avertit la Pre Claudet.
Cinquante fois moins nombreux que les généralistes
La densité globale de pédiatres sur l’ensemble de la France métropolitaine est de 67,4/100 000 enfants âgés de moins de 18 ans (source Drees), et de 76/100 000 si l’on se rapporte aux enfants de moins de 15 ans. Par comparaison, il y avait 99 441 médecins généralistes en 2018 pour les 52 827 947 habitants adultes, qui constituent les 79 % de la population (les [0-19] ans exclus), soit une densité de 188,2 généralistes pour 100 000 habitants.
Le constat est donc sans appel : les pédiatres libéraux sont 50 fois moins nombreux que les généralistes, alors qu’ils soignent et suivent 21 % de la population française. « Cela interroge dans la mesure où, depuis quelques années, les internes de médecine générale passent moins de temps dans les services de pédiatrie. L’apprentissage, légitime, en cabinet de médecine générale ne permet pas d’atteindre un volume critique suffisant pour avoir un spectre large de maladies de l’enfant. Résultat, les nouvelles générations de généralistes ne reconnaissent plus certaines pathologies que les anciens savaient prendre en charge. De plus en plus régulièrement, des généralistes initient un traitement de première ligne et, s’il ne donne pas les résultats escomptés, adresser les patients directement à l’hôpital, aux urgences pédiatriques. Beaucoup ne les adressent pas chez les pédiatres de ville, comme ils le feraient pour un patient adulte chez un autre spécialiste », indique la Pre Claudet.
La démographie défavorable de la médecine générale jusqu’en 2030-2035 va rendre compliqués les parcours de recours en santé de l’enfant.
Des besoins qui augmentent
Le rapport du HCSP fait aussi un point précis sur les compétences, la formation, l’expertise de ces professionnels de santé amenés à prendre en charge les enfants : « La formation des futurs pédiatres devra intégrer plus de formation théorique et pratique à l’exercice libéral, à la prise en charge des situations psychosociales afin de soulager la pédopsychiatrie en grande difficulté (rapport Igas, mai 2021). Les pédiatres devraient réinvestir la médecine communautaire (PMI [lire aussi p. 39], médecine scolaire) mais ces secteurs de prévention et santé publique risquent de continuer d’être progressivement désertés car peu attractifs (rapport Cour des comptes, santé de l’enfant, 2021) », note le rapport.
Il est prévisible que cette pénurie d’experts en santé de l’enfant va s’aggraver, alors que les besoins de santé des enfants et adolescents augmentent : croissance du taux d’obésité d’ici à 2040, majoration des problématiques de santé mentale chez les adolescents, des comportements à risque, des addictions, multiplication des filières de patients pédiatriques atteints de maladies chroniques. « Ces prises en charge demandent du temps, font l’objet de consultations longues, qui doivent être valorisées. Pour que les pédiatres s’investissent encore plus dans la formation et l’enseignement auprès des autres professions de santé indispensables à la prise en charge des enfants, ils doivent aussi être plus nombreux », souligne le rapport.
Des postes qui n’attirent pas
Le rapport alerte aussi sur la « nette dégradation » d’occupation des postes de médecins de santé scolaire sur le territoire. « Cette spécialité, devenue une formation spécialisée transversale, n’est pas du tout attractive. Peu connue des jeunes médecins, elle est aussi mal rémunérée et les conditions d’exercice sont très inégales d’une académie à l’autre. Le nombre d’élèves à suivre par équivalent temps plein (ETP) médecin est inégal entre les départements, et totalement ingérable dans certains. La part des élèves n’ayant pas bénéficié d’une visite médicale dans leur 6e année est élevée, alors même que la spécialité a un rôle de vigie fondamentale dans le dépistage, la prévention des affections, l’éducation sexuelle, le suivi vaccinal », indique le rapport.
31 recommandations pour l’organisation des soins
Le HCSP formule 31 recommandations visant à mettre en place une nouvelle organisation des soins, où chaque professionnel de la santé de l’enfant aurait vocation à trouver sa place.
Le Haut conseil propose d’abord d’augmenter le nombre d’internes formés à la pédiatrie, afin de le rapprocher de la moyenne européenne de la densité de pédiatres, et de revoir leur répartition nationale. Il conviendrait également, selon celui-ci, d’inclure dans le DES de pédiatrie, à chaque fois que cela est possible, un stage chez le pédiatre libéral pouvant être couplé avec la PMI. Le rapport préconise de favoriser, par une valorisation financière, les consultations longues de suivi de maladies chroniques par les pédiatres.
Plusieurs recommandations concernent la pédopsychiatrie. « La France est très déficitaire dans sa démographie de pédopsychiatres, et peine actuellement à s’organiser pour la prise en charge de la santé mentale des enfants et adolescents en période pandémique. Des assises spécifiques à cette filière ont déjà eu lieu à l’été 2021 », indique le HCSP, en demandant une reconnaissance de la pédopsychiatrie comme une spécialité à part entière (DES), avec une meilleure représentation académique et une augmentation du nombre de pédopsychiatres en formation.
Enfin, le rapport recommande d’augmenter d’au moins 50 % le nombre d’étudiant⸱es puéricultrices et de revaloriser financièrement l’expertise de ces infirmières spécialisées. Il préconise aussi de favoriser et développer l’accès des puéricultrices aux pratiques avancées dans trois champs de la santé de l’enfant : soins de santé primaires ; suivi et coordination de patients porteurs de pathologies chroniques et soins aigus et critiques. « C’est un axe d’évolution très important. Nous avons 50 ans de retard par rapport à l’Amérique du Nord sur les pratiques avancées et il faut encore développer cette voie pour adapter, modifier les parcours de santé des enfants », indique la Pre Claudet.
Exergue 1 : « Les nouvelles générations de généralistes ne reconnaissent plus certaines pathologies que les anciens savaient prendre en charge »
Exergue 2 : « Les futurs pédiatres devront être davantage formés à la prise en charge des situations psychosociales, afin de soulager la pédopsychiatrie en grande difficulté »
Entretien avec la Pre Isabelle Claudet, cheffe du pôle enfant au CHU de Toulouse, cheffe de service des urgences pédiatriques et pilote d’un rapport du Haut conseil de la santé publique (HCSP) intitulé : « Professionnels de santé et offre de soins pour les enfants : enjeux quantitatifs et qualitatifs »
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?