IL N’EXISTE actuellement aucune recommandation concernant les conditions d’utilisation et la composition des produits cosmétiques utilisés chez les nourrissons bien que de nombreuses gammes revendiquent une spécificité pour cette tranche d’âge. Suite aux requêtes de spécialistes, l’Afssaps a nommé une commission dont les conclusions seront connues prochainement. Sans les déflorer, le Pr JF Stalder constate qu’un manque de travaux de recherche clinique et d’études rigoureuses est à l’origine de la méconnaissance des produits cosmétiques pour nourrissons. Quelques études récentes ont été effectuées aux États-Unis, mais en France, aucune étude n’est validée. Or, dans une enquête américaine, des mamans étaient interrogées sur les produits utilisés chez leurs bébés de moins de 6 mois. Entre 0 et 6 mois, huit produits différents avaient été utilisés en moyenne, ce qui représente près de 40 constituants différents !
Pas si fragile.
Selon une idée reçue, la peau du nouveau-né serait plus fragile que celle d’un adulte. En fait, des arguments anatomiques contredisent cette assertion. L’épaisseur de la couche cornée du nouveau-né est identique à celle d’un enfant plus grand, les constituants de la peau sont similaires et la jonction entre derme et épiderme n’est pas plus mince. Il existe simplement une immaturité vasomotrice pendant 3 à 6 semaines. Quelques rares études américaines ont montré que l’absorption transcutanée est la même. La seule différence importante réside dans le rapport surface/poids plus élevé chez le bébé. Il en résulte pour une surface et une quantité de produit données, une quantité absorbée par kilo plus importante et une concentration sanguine plus élevée.
Si chez un enfant né à terme, la peau n’est pas plus fragile, quelques anomalies bien connues des néonatalogistes sont constatées chez les grands prématurés. La fragilité de la jonction dermo-épidermique entraîne assez facilement un décollement de la peau lors de l’application d’un pansement adhésif ou d’électrodes. De même, les épaisseurs de la couche cornée et de la couche granuleuse étant différentes, la peau est plus fine et la pénétration de substances déposées sur la peau est plus importante. Ce problème constaté chez les grands prématurés se résout très vite car la transformation de l’état cutané est rapide. En 8-10 jours, un enfant récupère et s’adapte plus rapidement que son âge gestationnel ne le laissait prévoir.
Pour Jean-François Stalder, ne pas utiliser de produits cosmétiques chez le nourrisson au nom d’une prétendue fragilité cutanée n’est pas justifié. En revanche, il faut éviter la multiplication de produits différents, qui augmente le risque de sensibilisation et respecter le mode d’utilisation malheureusement trop souvent imprécis.
Se méfier des modes et des a priori.
La tendance écologique donne la préférence à des produits traditionnels comme le savon de Marseille. Or, il n’est pas adapté à la peau du nourrisson car son pH est très alcalin et le respect d’un pH acide est nécessaire à l’écosystème cutané. De même, les produits à base de plantes ne sont pas forcément plus sains. « Les plus grands allergènes sont végétaux » rappelle le Pr Stalder. « Il peut être utile aussi de rappeler aux mamans que des produits moussants ne lavent pas mieux et qu’ils peuvent être irritants pour les muqueuses. La mousse est due à la présence de tensioactifs agressifs, qu’il n’est pas souhaitable d’utiliser de façon répétée. » Le mode d’application des produits cosmétiques doit aussi être pris en compte. Ainsi, un produit appliqué juste après la douche sur une peau soumise à un détergent et siège d’une vasodilatation cutanée, peut générer une irritation liée au moment de l’application.
Quel produit utiliser ?
C’est une question fréquente des mamans. « Tous les produits ne sont pas identiques, note le Pr Stalder, certains sont plus techniques, d’autres sont plus simples. En France, nous avons des produits cosmétiques de bonne qualité galénique. Tout dépend de l’usage attendu. Si une peau atopique a besoin de produits spécifiques, ce n’est pas nécessaire pour une peau normale.»
Les conservateurs sont un motif d’inquiétude fréquent. Ils sont indispensables à la bonne conservation des cosmétiques car ils préviennent les contaminations microbiennes et les oxydations. Ils doivent cependant être utilisés avec modération car les allergies de contact apparaissent quand la concentration en conservateurs augmente. « Les conservateurs ne sont pas des produits neutres mais ils sont nécessaires. Ce n’est pas forcément le cas d’adjuvants de fabrication tels les parfums dont l’intérêt pour le bébé est discutable. »
A la surface de la peau, des lipides assurent protection et équilibre de la flore commensale qui peut être déséquilibrée par un usage excessif d’antiseptiques. Ils sont irritants à court terme et préjudiciables à long terme. S’il est justifié de les utiliser à des fins thérapeutiques sur une peau lésée ou ulcérée, en aucun cas, ils ne doivent être utilisés sur une peau normale.
Et le Pr Stalder conclut : « Nous avons besoin d’études prospectives qui débouchent sur des recommandations consensuelles. Beaucoup de questions se posent sur la toxicité, la pénétration, l’absorption, la biodisponibilité des produits mis sur la peau des bébés, en particulier chez les prématurés. Or, les études de tolérance chez l’animal ont mauvaise presse et les études in vitro ne répondent pas à toutes les questions. On arrive donc à ce paradoxe que les produits sont directement testés in vivo sur les humains et donc sur les bébés. La Société française de dermatopédiatrie réfléchit avec les néonatalogistes sur les modalités que devrait suivre la recherche clinique pour résoudre ces problèmes ».
D’après un entretien avec le Pr Jean-François Stalder, clinique dermatologique, CHU de Nantes.
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