Des chercheurs de l’Inserm et du groupement Epi-Phare* ont évalué le risque de cancer chez les enfants nés par assistance médicale à la procréation (AMP) par rapport à ceux conçus naturellement. L’équipe a évalué le risque de cancer au global et par type de cancer chez les enfants issus, soit d’une insémination artificielle, soit d’une fécondation in vitro avec un transfert d’embryons frais ou congelés.
Leur étude, qui a reçu un financement de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a inclus 8 526 306 enfants de la cohorte Epi-mères, le registre français national mère-enfant, nés vivants en France entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2021. Les traitements utilisés dans les procédures d’AMP, qui sont suspectés de perturbation épigénétique et de malformation congénitale, pourraient être un facteur de risque de cancer.
Leurs résultats suggèrent l’absence d’association entre AMP et risque de cancer, en comparaison avec les enfants conçus naturellement, à l’exception de la leucémie lymphoblastique aiguë pour laquelle les auteurs retrouvent une association avec le transfert d’embryons congelés par rapport aux enfants conçus naturellement.
Un cas de leucémie en excès pour 5 000 nouveau-nés
Les enfants de la cohorte avaient en moyenne 6,4 ans, étaient à 51,2 % des garçons et à 96,4 % issus d’une grossesse unique. Parmi eux, 12,1 % avaient une petite taille à la naissance et 3,1 % présentaient une malformation congénitale. Ils étaient issus à 3,1 % de l’AMP (n=260 236), dont 1,6 % d’un transfert d’embryons frais (TEF), 0,8 % d’un transfert d’embryons congelés (TEC) et 0,7 % d’une insémination artificielle (IA).
Au total, 9 256 enfants avec un cancer ont été identifiés sur un suivi médian de 6,7 ans ; parmi eux, 165 enfants étaient issus d’un TEF, 57 d’un TEC et 70 d’une IA, et 8 964 avaient été conçus naturellement. Ces cas de cancers concernaient plutôt des enfants nés prématurément, gros pour leur âge gestationnel et ayant une malformation congénitale diagnostiquée, comparés aux enfants sans cancer. Pour rappel, en France, une naissance sur 30 est concernée par l’AMP ; et 1 800 nouveaux cas de cancers de l’enfant sont diagnostiqués chaque année.
Les auteurs considèrent ainsi que le risque global de cancer ne diffère pas entre les enfants conçus naturellement et ceux issus d’un TEC (hazard ratio [HR] = 1,12), d’un TEF (HR = 1,02) ou d’une IA (HR = 1,09), suggérant ainsi qu’il n’existerait pas d’association entre le risque de cancer et le fait d’être issu d’une AMP.
En revanche, les auteurs ont retrouvé 20 cas de leucémie lymphoblastique aiguë parmi les enfants issus d’un TEF, et ont ainsi émis l’hypothèse d’un risque plus élevé de ce type de cancer chez ce groupe d’enfants (HR = 1,61), avec un cas en excès pour 5 000 nouveau-nés (risk difference [RD] = 23,2/1 000 000 patients-année), comparé aux enfants conçus naturellement. De plus, parmi les enfants nés entre 2010 et 2015, le risque de leucémie était plus élevé chez les enfants issus d’un TEF avec 45 cas (HR = 1,42, RD = 19,7/1 000 000 patients-année). Les autres groupes de cancers rencontrés étaient des tumeurs du système nerveux central, des tumeurs embryonnaires ou des lymphomes. Ils en concluent ainsi que les enfants issus d’un TEF ou d’un TEC auraient un risque plus élevé de leucémie par rapport aux enfants conçus naturellement. Des résultats cohérents avec l’association entre techniques d’AMP et risque de leucémie retrouvée dans la littérature.
Des résultats à interpréter avec prudence
Sur le Science Media Centre, des scientifiques relativisent le risque de leucémie, pointant certaines limites de l’étude française. En effet, pour le Dr Channa Jayasena, de l’Imperial College de Londres, « les résultats ne semblent pas être ajustés pour l’âge des parents […] », or « il est connu que les parents plus âgés ont un risque légèrement plus élevé de concevoir un enfant avec une leucémie, tout comme avec un syndrome de Down ». De même, un pédiatre, le Pr Alastair Sutcliffe (University College London) fait remarquer que les auteurs n’ont pas pris en compte l’historique familial. Le Dr Richard Francis (Blood Cancer UK) relève quant à lui la spécificité du système de santé français et « son petit nombre de cancers du sang chez les enfants » comparé au britannique et insiste également sur l’absence de démonstration de causalité.
Des critiques que ne méconnaissent pas les auteurs français, qui précisent que le nombre absolu d’enfants atteints de cancer est « relativement faible » et que « les résultats fondés sur de petits nombres peuvent être sujets à un manque de puissance ou à la possibilité d'associations fallacieuses ». De plus, les résultats n’ont pas été ajustés sur différentes comparaisons. Ils invitent donc à les interpréter « avec prudence ».
En dépit de ces commentaires, les experts étrangers et spécialistes français s’accordent à dire que ces résultats engagent à une surveillance des enfants issus d’une AMP.
*Agence nationale de sécurité du médicament et Caisse nationale d’Assurance-maladie
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