D’après la définition de l’OMS, les mutilations sexuelles féminines (MSF) recouvrent toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, ou toute autre lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons non médicales. Elles sont une réalité dans de nombreux pays. « On estime qu’il y a aujourd’hui 200 millions de femmes excisées dans le monde, et pas seulement sur le continent africain, détaille la Dr Claire Tantet, médecin infectiologue au sein des hôpitaux Avicenne et Bichat (Paris). Outre l’Égypte, la Somalie, le Mali, la Sierra Leone ou la Guinée, des pays comme l’Inde, la Thaïlande, la Russie, la Malaisie, le Pérou ou la Bolivie sont également concernés. C’est important à avoir en tête pour repérer les MSF ici en France : on ne doit pas se dire que seule telle ou telle région du globe est concernée. »
En France, un état des lieux effectué en 2019 indique qu’au moins de 125 000 femmes seraient excisées. « Il n’y a pas de données pour les enfants mais cela fait autant de familles potentiellement concernées, complète l’infectiologue. Ces MSF se font généralement pendant les vacances, quand les petites ou jeunes filles partent au pays. Et comme le sujet est encore tabou, ces mutilations sont souvent sous-repérées, sous-diagnostiquées. »
Examen systématique des enfants
« Les MSF font partie des violences infligées aux femmes et aux enfants et, comme pour toutes ces violences, nous nous attachons à faire bouger les choses, explique la Dr Céline Deguette, médecin légiste à l’unité médicojudiciaire (UMJ) adultes & enfants de l’hôpital Hôtel-Dieu. Cela passe notamment par le renforcement de la prévention, par la formation des professionnels et par les signalements, chaque fois que c’est nécessaire. » Pour elle, l’examen systématique des enfants est un levier incontournable pour prévenir ou détecter les MSF. « Alors qu’il n’y a généralement pas de blocage pour l’examen du petit garçon, certains médecins ont des difficultés à examiner la vulve de la petite fille. Or, c’est justement cet examen qui permet d’engager la discussion sur le sujet, sans être dans la stigmatisation mais en s’intéressant à la réalité de la famille. » Outre l’examen, les MSF peuvent être évoquées durant l’entretien. « Quand on reçoit des familles originaires d’Afrique subsaharienne, on leur pose bien la question d’éventuels antécédents de drépanocytose. En faisant le point sur les antécédents familiaux, on devrait pouvoir évoquer le sujet des MSF avec les deux parents, remarque la Dr Deguette. En outre, il est important de noter toutes ces informations dans le carnet de santé, de dire si l’excision existe ou non dans la famille, d’inscrire les conclusions de l’examen et d’expliquer pourquoi on le fait. » Enfin, tout en privilégiant la subtilité, des messages de prévention peuvent aussi être transmis aux familles lors des consultations de médecine du voyage.
Accentuer la formation des médecins
Si la sensibilisation sur les MSF gagne du terrain, il y a encore un vrai besoin de formation des professionnels, estiment les Dr Deguette et Tantet : formation pour l’examen des enfants, pour repérer les complications. Apprentissage des savoir être et savoir-faire indispensables pour prendre en charge ces enfants.
En février 2020, la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié une recommandation de bonne pratique (1) sur la prise en charge des MSF par les professionnels de santé de premier recours, avec un triple objectif : favoriser la connaissance des professionnels de santé de premier recours sur les MSF ; prévenir la survenue de MSF par une meilleure information délivrée par les professionnels de santé aux femmes, aux jeunes filles et aux parents ; favoriser une meilleure prise en charge des enfants, des jeunes filles, et des femmes lorsqu’elles ont subi une MSF. « Une autre source d’information est l’American Academy of Pediatrics, ajoute la Dr Deguette. Dans un guide (2), elle détaille l’examen systématique de l’enfant, les questions à poser et la façon de les formuler. »
Chercher les complications
Quand un médecin constate qu’une mineure a subi une MSF, il y a une triple priorité : rechercher les complications, les risques pour les autres enfants de la fratrie, effectuer un signalement au Procureur de la République. « Nous allons d’abord examiner l’enfant pour repérer tout risque de complications urinaires, infectieuses ou génitales », ajoute la légiste. La question d’une éventuelle reconstruction ne se posera que plus tard. « Il faut laisser le temps aux jeunes femmes d’entrer dans leur sexualité, d’autant plus que les opinions ne sont pas unanimes sur le sujet, souligne la Dr Tantet. Avec les parents comme avec les enfants, nous devons éviter la stigmatisation. » Privilégier le dialogue, donc, mais aussi rester ouvert : « il n’y a pas que l’Afrique, ce n’est pas toujours pendant les grandes vacances. Si une enfant dit ‘on m’a fait mal, on m’a coupée’et qu’elle revient d’un court séjour dans un pays d’Europe, on doit aussi se poser la question des MSF », conclut la Dr Deguette.
exergue : « Certains médecins ont des difficultés à examiner la vulve de la petite fille, alors qu’il n’y a généralement pas de blocage pour l’examen du petit garçon »
Entretiens avec les Dr Claire Tantet (Hôpitaux Avicenne et Bichat, Paris) et Céline Deguette, (UMJ Hôtel-Dieu, Paris)
(1) Recommandation HAS, fév 2020. Prise en charge des mutilations sexuelles féminines par les professionnels de santé de premier recours
(2) J Young et al. Diagnosis, Management, and Treatment of Female Genital Mutilation or Cutting in Girls. 2020;145(6): e20201012
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