De l’oreille du praticien au nez de l’enfant
Votre oreille est alors alertée par le bruit que fait l’enfant en respirant. Maxime respire bouche ouverte. De temps à autre, il ferme la bouche pour avaler sa salive, puis l’ouvre à nouveau. La déglutition ne déclenche pas de grimace de douleur. L’interrogatoire permet alors d’apprendre que Maxime n’est pas particulièrement enrhumé, mais que depuis quelques mois il ronfle la nuit « comme un homme ». Il fait la comédie le soir pour aller se coucher. Il bouge beaucoup dans son lit. Il n’est pas rare de le découvrir le matin sans couette, le drap et pyjama trempés.
Mettant provisoirement de côté le problème de l’énurésie, vous examinez la gorge de Maxime. L’enfant refuse l’abaisse-langue, mais ouvre suffisamment la bouche pour que vous puissiez voir que ses amygdales palatines sont très volumineuses et se touchent sur la ligne médiane. L’enfant n’a ni dysphagie, ni fièvre, il s’agit donc d’une hypertrophie chronique des amygdales palatines.
Le diagnostic d’hypertrophie amygdalienne est clinique : normalement il y a plus d’un centimètre entre les bords internes des amygdales palatines, si l’examen est fait sans déclencher de réflexe nauséeux. En effet, l’application d’un abaisse-langue sur la partie postérieure de la langue mobile déclenche un réflexe nauséeux à minima qui fait pivoter les amygdales sur un axe vertical et les rapproche de la ligne médiane, ce qui les fait apparaître artificiellement plus volumineuses qu’elles ne le sont. Mais dans le cas précis l’examen a été fait sans abaisse-langue. Aucune imagerie n’est nécessaire, le diagnostic est clinique.
Pathologie récente, d’étiopathogénie encore mystérieuse.
L’hypertrophie des amygdales palatines est une pathologie relativement récente : les premières descriptions datent des années 1960-1970. Elle survient chez des enfants jeunes, de 2 à 7 ans, il en a même été décrit chez des nourrissons. Ces enfants sont par ailleurs en bonne santé et n’ont pas du tout ou très peu d’angines. L’augmentation de volume des amygdales est bilatérale et se fait progressivement, de façon insidieuse, à la différence de ce qui se passe en cas de lymphome amygdalien où l’augmentation de volume, qui ne touche qu’une amygdale, se fait en quelques jours. L’hypertrophie chronique des amygdales palatines n’est pas due à un reflux gastro-sophagien, ni à une allergie respiratoire ou alimentaire, ni à une infection bactérienne particulière, ni au portage de bactéries résistantes aux antibiotiques. L’hypothèse actuelle est que l’augmentation de volume des amygdales serait due à un défaut d’apoptose.
Traiter ou ne pas traiter ?
Les corticoïdes par voie orale permettent de réduire la taille des amygdales, mais cet effet est provisoire et les amygdales reprennent leur volume quelque temps après la fin du traitement. La corticothérapie permet donc de passer un cap, mais ne constitue pas une bonne solution à terme. Le seul traitement efficace est l’amygdalectomie. L’intervention se fait sous anesthésie générale chez l’enfant et les suites sont douloureuses (même avec les antalgiques dont nous disposons). Il faut donc en peser les indications.
L’intervention ne sera proposée que s’il y a, à la fois, de grosses amygdales palatines à l’examen clinique et des signes diurnes et nocturnes de mauvaise tolérance de l’hypertrophie amygdalienne. Les signes nocturnes les plus évocateurs sont le ronflement (audible derrière une porte fermée), les sueurs nocturnes, le bavage nocturne, les pauses respiratoires (le ronflement s’arrête plus de 5 secondes et reprend après des mouvements de l’enfant dans son lit avec une respiration bruyante). Les signes diurnes sont la respiration bouche ouverte, l’halitose, et tout un ensemble de signes peu spécifiques tels que céphalées matinales, somnolence ou hyperactivité, mauvaise mémoire, fuites urinaires secondaires, qui ne pourront être rapportées avec certitude à l’hypertrophie amygdalienne que s’ils disparaissent dans les suites immédiates de l’amygdalectomie. Il en est de même pour la cassure de la courbe de poids, voire de la cassure des courbes de poids et de taille.
Et l’énurésie ?
L’énurésie primaire comme l’énurésie secondaire peuvent être dues à une hypertrophie des amygdales palatines, mais ce diagnostic ne peut être retenu qu’après avoir éliminé d’autres causes (infection urinaire, conflit familial ou scolaire…) et si elle disparaît dans les suites de l’amygdalectomie (et pas seulement du fait que l’enfant a grandi !). Le mécanisme de l’énurésie lors d’une hypertrophie amygdalienne n’est pas clair. Certains auteurs l’attribuent à l’augmentation de la pression intravésicale, contemporaine des efforts respiratoires pour vaincre l’obstacle oropharyngé. Pour d’autres, il s’agirait d’une modification du rythme circadien de sécrétion de l’hormone antidiurétique (HAD). Chez les enfants normaux, l’excrétion urinaire est plus faible la nuit que le jour parce que la sécrétion d’HAD est plus importante la nuit. Les apnées obstructives du sommeil en perturbant le rythme du sommeil empêcheraient l’augmentation de la sécrétion nocturne d’HAD, d’où une énurésie par dépassement des capacités de stockage de la vessie.
En conclusion, s’il est bien entendu hors de question de proposer une amygdalectomie sur la seule notion d’une énurésie secondaire chez un enfant dont les amygdales semblent un peu volumineuses, l’amygdalectomie peut régler définitivement un problème d’énurésie chez un enfant lorsque celle-ci est due à une hypertrophie des amygdales palatines.
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