La chirurgie bariatrique, puis métabolique, et les analogues du GLP1 ont enfin ouvert de nouvelles voies thérapeutiques, là où les approches précédentes s’étaient avérées insuffisantes ou en échec. Les indications métaboliques de l’approche chirurgicale ont été élargies aux IMC à partir de 30 kg/m2 pour certains sujets avec diabète de type 2 (DT2). Quant à celles des arGLP1, initialement réservées à certains patients avec DT2, elles sont aujourd’hui ouvertes à des personnes adultes (> 18 ans) souffrant d’obésité.
On a pu voir, dans le « New Engl J Med » en décembre dernier (1), les résultats pondéraux remarquables du sémaglutide dans la prise en charge des obésités de l’adolescent (12-18 ans). Et les co-agonistes GIP-GLP1, comme le tirzépatide, vont suivre (lire aussi p. 4), avec des effets métaboliques et pondéraux encore plus puissants (2).
Ne boudons pas notre satisfaction de voir, enfin, sur le marché, des médicaments capables de réduire l’IMC de l’ordre de 10 à 20 %. Un tiers des sujets sous sémaglutide, et la moitié sous tirzépatide, perdent au moins 20 % de leur poids initial. Ces résultats devraient faire revoir certaines indications chirurgicales… Les multiples tentatives pharmacologiques antérieures avaient toutes tourné court, car peu efficaces ou accompagnées d’effets secondaires centraux ou cardiovasculaires, inacceptables en termes de balance bénéfices/risques.
Un questionnement éthique chez les jeunes
Mais notre questionnement principal porte ici sur l’élargissement de ces indications à des sujets avec obésité et dès le jeune âge, à partir de 18 ans voire encore plus tôt. Ces solutions médicamenteuses, concevables chez des sujets DT2 plus (ou beaucoup plus) âgés au diagnostic, se trouvent ici proposées en réponse à un problème mondial (3) et d’abord sociétal, touchant 650 millions d’adultes affectant tous les continents, cultures et niveaux économiques (États-Unis, Amérique Centrale, Europe, Asie, Afrique comme Moyen-Orient). Aux États-Unis, l’obésité devrait encore être multipliée par 1,5 entre 2015 et 2030. Elle devrait ainsi toucher plus de 100 millions d’enfants âgés de 5 à 9 ans et plus 150 millions d’adolescents de 10 à 19 ans dans le monde d’ici à 2030. Cela représente presque un huitième (12,9 %) de tous les enfants et adolescents sur terre.
Certes, dans l’étude du Nejm sur le sémaglutide chez les adolescents, la perte de poids moyenne a été de 17 % à 68 semaines (IMC passé de 38 à 32 kg/m2), avec les effets secondaires bénins de la classe des arGLP1. Mais qu’en sera-t-il des effets secondaires à long terme, plus graves (thyroïde, pancréas exocrine, biliaires, autres), si ces médicaments sont utilisés dans une population immense, surtout si la durée d’administration devient particulièrement longue ?
L’IMC atteint à la fin de l’étude reste élevé, et le poids remonte significativement dès sept semaines après l’arrêt du traitement, ce qui peut laisser supposer qu’il sera poursuivi, à la demande des sujets ou de leur famille.
Sortir du consumérisme
L’Agence française du médicament vient d’émettre une mise en garde face à l’usage, promu par des influenceurs sur les réseaux sociaux, du sémaglutide détourné de l’indication « DT2 », par de jeunes personnes souhaitant perdre du poids. L’Agence souligne les risques encourus en cas de détournement abusifs des indications, avec pour corollaire une pénurie pour les sujets adultes ou âgés avec DT2.
S’il n’existe, bien sûr, encore aucune étude à long terme dans ces indications jeunes adultes ou adolescents, on s’étonne que les auteurs de l’article n’aient à aucun moment émis de réserve, concernant la sécurité, ou relativisé face à l’enjeu mondial de l’obésité ! Cet enthousiasme est pour le moins coupable. La flambée du recours à ces molécules sera presque inévitable. Sans en compter le coût avec un reste à charge total ou majeur pour les personnes dans la plupart des pays.
Alors, oui, ces résultats sont remarquables, tout comme les bénéfices globaux espérés ; mais réglera-t-on le problème des obésités dans le monde avec ces approches ? Nul doute que le marché est immense pour les compagnies qui ont mis au point de façon brillante ces traitements. Mais cela ne changera en rien le problème de cette épidémie, dont la morbimortalité est considérable aujourd’hui. Quand on voit les images qui nous viennent des États-Unis ou du Moyen Orient, pour ne citer que ces pays, on y voit que la population est pour plus des deux tiers en surpoids ou obèse. Et quid des pays à revenus moyens ou faibles, aussi très touchés ? Le maître mot reste « prévention » : la prise en charge précoce, dès l’enfance, reste largement à accomplir, en commençant par notre pays.
Exergue : « La flambée du recours à ces molécules sera presque inévitable »
* Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes (1) Weghuber D et al. N Engl J Med. 2022 Dec 15;387(24):2245-57 (2) Jastreboff AM, et al. N Engl J Med. 2022 Jul, 21;387(3):205-16 (3) https://www.worldobesity.org/resources/resource-library/world-obesity-a…
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