Les courbes de croissance échographique nationales françaises, utilisées de longue date, présentent certains écueils. « Selon l’enquête nationale périnatale menée en France, le dépistage du retard de croissance intra utérin (RCIU) est seulement de l’ordre de 20 %, soit un enfant sur cinq dépisté, ce qui reste très insuffisant. Il en est de même avec d’autres courbes nationales utilisées dans d’autres pays : ce n’est donc pas une particularité française », précise le Pr Éric Verspyck (CHU Rouen).
L’une des explications avancées est le fait que ces courbes ont été construites à partir d’échographies qui ont été pratiquées le plus souvent aux moments clés du dépistage, et non pas tous les mois. Et aussi que l’outil échographique ne dépiste pas tout, du fait de ses insuffisances de performances. « Avec ces courbes, les RCIU les plus précoces et les plus graves sont les mieux repérés. Ceux qui concernent des patientes ayant une pathologie connue pour être associée à des problèmes de croissance (population à risque), sont également mieux détectés : dans ces deux cas, environ un RCIU sur deux est dépisté ; c’est déjà mieux que 20 %, malgré tout cela reste insuffisant, souligne le Pr Verspyck. Les RCIU tardifs, survenant au 3e trimestre de la grossesse, qui sont les plus fréquemment rencontrés et heureusement les moins graves, restent très difficiles à dépister. »
Plusieurs tentatives de révision
Jusqu’à présent, la plupart des pays ont préférentiellement souhaité utiliser leurs courbes nationales. C’est le cas de la France, qui se fonde sur des courbes construites selon une méthodologie correcte, mais pas optimale, en 2006 et en 2007 sur une partie de la population française, principalement dans la région d’Île-de-France. Les mesures biométriques du fœtus, réalisées pour chaque échographie (périmètre crânien, abdominal et longueur du fémur) n’ont pas été réévaluées ni refaites depuis.
En raison de l’ancienneté de ces courbes et de leurs insuffisances, s’est posé la question de savoir s’il n’y aurait pas d’autres courbes plus performantes. « Il y a bien eu des tentatives françaises pour construire d’autres courbes — ce qui représente un très gros travail et investissement — avec notamment des courbes d’estimation de poids fœtal, établies en 2014. Elles permettent surtout de vérifier si le poids du fœtus estimé est correct. Les études ont montré que ces dernières courbes permettaient assez bien de dépister les PAG ([petits pour l’âge gestationnel], les plus fragiles et donc les plus importants à dépister) et les GAG (gros pour l’âge gestationnel), comparativement à d’autres courbes. Pour autant, le Collège français d’échographie fœtale (Cfef), qui a produit toutes ces courbes, souhaite désormais les abandonner : en effet, si elles sont performantes pour les périodes concernant les échographies recommandées – [20-25] SA, [30-35] SA –, elles sont en revanche mal construites en dehors de ces périodes et au-delà de 37 SA, faute de données recueillies sur un nombre suffisant de femmes, raconte le Pr Verspyck. Étant donné que les courbes de biométrie de 2006-2007 sont encore moins performantes (notamment pour dépister les retards de périmètre crânien), le Cfef s’est naturellement intéressé aux nouvelles courbes internationales prescriptives, et plus particulièrement à celles d’Intergrowth. »
Issues de plusieurs pays, les courbes de croissance prescriptives sont construites à partir de femmes en bonne santé, non fumeuses, ne prenant aucun traitement, avec une bonne hygiène de vie et dont les bébés ont une croissance optimale. Contrairement aux courbes d’Intergrowth, celles de l’OMS ont fait participer la France et d’autres pays européens.
De nouvelles courbes à visée universelle
Depuis trois ans, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et la Société Française de néonatalogie (SFN) mènent un travail important en France pour savoir si nos courbes nationales doivent être abandonnées et, si oui, sur quels éléments sérieux le faire et enfin par quelle courbe les remplacer.
Les nouvelles courbes prescriptives ne sont pas encore utilisées, même si le Cfef juge leur construction intéressante et de qualité, car les femmes ayant permis leur élaboration ont bénéficié d’échographies tous les mois. En attendant d’en savoir plus, la Fédération internationale de gynécologie obstétrique (Figo) recommande de garder les courbes biométriques et d’estimation de poids nationales ou, du moins, en cas d’utilisation de ces nouvelles courbes prescriptives, de comparer les résultats obtenus avec ceux des courbes nationales.
« Deux critères nous semblaient essentiels : que les nouvelles courbes de référence dépistent mieux les RCIU et qu’elles soient bien adaptées à notre population française », souligne le Pr Verspyck.
Plusieurs études ont été publiées récemment, comparant nos courbes françaises avec celles, internationales, de l’Intergrowth et de l’OMS. Il en ressort que les courbes Intergrowth ne sont pas si performantes qu’attendu pour notre population : elles donnent de mauvais résultats, puisqu’elles dépistent mal les bébés trop petits (PAG), alors que ce sont eux qui doivent être dépistés en priorité. Ne pas dépister les RCIU signifie que ces fœtus ne vont pas bénéficier d’un suivi optimal, ce qui est une possible perte de chance pour le bien-être fœtal et néonatal (la probabilité de mort in utero augmente en l’absence de suivi renforcé). À l’inverse, elles dépistent plus de bébés trop gros (GAG), qu’attendu. En France, cinq études avec des populations différentes vont toutes dans ce sens. Et les États-Unis, le Canada, la Nouvelle Zélande ont aussi trouvé les mêmes résultats.
« D’autres études se sont donc intéressées aux courbes OMS, construites suivant les mêmes standards que les courbes Intergrowth à quelques nuances près : avec plus d’Européens et une inclusion moins stricte concernant le critère de ne garder que les femmes à très bas risque. En effet, ont aussi été retenues les femmes qui, au cours de leur suivi, ont fait des complications de leur grossesse, ce qui colle mieux à la population générale à dépister. Et, quand on compare les performances des courbes OMS à celles de nos courbes, elles sont aussi bonnes que les courbes d’estimation de poids fœtal de 2014 et meilleures pour dépister les RCIU. Elles ont aussi été construites à partir d’échographies réalisées tous les mois, de sorte qu’elles restent performantes tout au long de la grossesse. Pour toutes ces raisons, le CNGOF recommande désormais d’utiliser l’ensemble des courbes biométriques de l’OMS en anténatal », résume le Pr Verspyck. Après la naissance (y compris pour le prématuré), ce sont les courbes de mensuration de Fenton qui ont été retenues.
Exergue : Le Collège français d’échographie fœtale lui-même a abandonné les courbes qu’il avait construites
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