Quelles sont les conséquences d’une situation de mal-logement ou sans domicile fixe sur la santé des enfants ? « Il existe aujourd’hui des liens clairs et scientifiquement démontrés entre la santé des enfants et la qualité du logement qu’ils occupent », indique la Dr Stéphanie Vandentorren, coordinatrice d’un programme sur les inégalités sociales de santé à Santé publique France et chercheuse à l’Inserm.
Selon les études menées sur le sujet, le fait d’habiter dans un logement dégradé peut conduire à une dégradation affecter la santé psychique, en raison d’un processus de stigmatisation, de mise à l’écart des relations sociales, et une perte d’estime de soi. L’enquête Enfams, réalisée par l’Observatoire du Samu social de Paris en 2013 auprès des familles sans-domicile en Île-de-France, soulignait que les troubles suspectés de la santé mentale étaient globalement plus fréquents chez les enfants sans-domicile (19,2 %) qu’en population générale (8 %). Cette situation touche plus de 42 000 enfants en France selon le rapport récent alarmant de l’Unicef sur le sujet.
Des conséquences de long terme
La mauvaise qualité du logement et sa suroccupation nuisent à la qualité du sommeil et ont des effets sur la santé mentale, favorisant l’anxiété, la dépression, l’agressivité. Mais le mal-logement a aussi des conséquences majeures — et scientifiquement démontrées — sur la santé physique, par l’effet de la promiscuité, l’humidité, une mauvaise ventilation et une mauvaise isolation, en favorisant la propagation des maladies infectieuses.
« Le logement est un important déterminant des inégalités sociales et territoriales de santé. Les inégalités d’accès et de maintien dans un logement frappent de plein fouet les jeunes générations, les femmes et les minorités », soulignait Santé publique France dans un numéro de la revue « La santé en action » de septembre 2021.
La situation est encore plus grave quand des populations vulnérables, comme les enfants, se retrouvent sans logement ou sont obligées de vivre dans des structures précaires ou provisoires, et soumis à une instabilité résidentielle. « Des études américaines ont montré que les forces et les compétences des enfants sont préservées assez longtemps. Mais l’effet du sans-abrisme peut être très fort et durable, surtout s’il arrive de manière précoce et s’installe dans la durée. Le fait de ne pas avoir eu de logement peut affecter le développement de l’enfant mais aussi avoir une influence dans sa future vie d’adulte », indique la Dr Vandentorren.
Des structures inadaptées aux enfants
Ces conséquences peuvent concerner des enfants qui dorment dans la rue pendant une certaine période ou qui sont hébergés dans des hôtels sociaux, des centres de demandeurs d’asile ou d’hébergement d’urgence. « Il s’agit de structures de mise à l’abri qui ont été pensées pour des adultes, et pas pour des enfants. Les chambres d’hôtel n’ont le plus souvent qu’un seul lit et les enfants doivent dormir avec les parents. Ils n’ont pas non plus d’endroit pour faire les devoirs, ni d’espace à eux. Et le fait de ne pas avoir de cuisine peut aussi affecter l’alimentation et la nutrition », explique la Dr Vandentorren, en ajoutant que le fait de changer régulièrement de structures peut provoquer une « instabilité résidentielle » et entraîner des « fractures de vie très fortes et déstabilisantes pour l’enfant. »
Interactions sociales et familiales
« Le logement structure les expériences de vie et a une influence importante sur les interactions familiales. Or, la qualité de ces interactions est fondamentale dans la sécurisation du développement psychologique de l’enfant », indique la chercheuse. Pour l’enfant, une situation de sans-abrisme ou de mal logement peut compliquer toute invitation au domicile, pour un certain nombre d’événements qui structurent la vie sociale, comme la célébration des anniversaires avec ses camarades d’école. « Cela peut créer des phénomènes d’évitement chez l’enfant, qui va cacher ses conditions de logement car il va craindre les moqueries que cette situation peut provoquer », indique la Dr Vandentorren.
Une prise en charge adaptée
Selon elle, il faut que les médecins au contact des enfants soient sensibilisés à l’importance des déterminants sociaux, dont fait partie le logement, et plus généralement aux inégalités sociales de santé, et n’hésitent pas à poser des questions sur l’environnement de vie de ces jeunes patients. « Certains praticiens ont parfois peur de poser ces questions, car ils savent qu’ils n’auront pas forcément de solutions à proposer en retour. Mais c’est important de savoir, quand on soigne un enfant, qu’il vit dans un hôtel social ou une structure d’hébergement d’urgence », souligne la chercheuse, en insistant sur le fait que ces populations sont souvent éloignées des structures de santé, de prévention ou de soins classiques.
« Il ne faut pas être dans une position de jugement. On voit des mères qui font parfois des kilomètres pour ramener leurs enfants dans un service de PMI [lire aussi p. 39] où elles ont été prises en charge de manière satisfaisante, raconte-t-elle. Ces dispositifs jouent un rôle crucial auprès de ces populations, tout comme le médecin généraliste et tout professionnel de santé, dès lors qu’un lien de confiance a été établi. »
Exergue : « promiscuité, humidité, mauvaise ventilation et mauvaise isolation ont des conséquences directes sur la santé »
Entretien avec la Dr Stéphanie Vandentorren, coordinatrice d’un programme sur les inégalités sociales de santé à Santé publique France et chercheuse à l’Inserm
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