Cartilage de croissance

Une traumatologie toujours en garde à vue

Publié le 08/11/2009
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DANS LA POPULATION pédiatrique, c’est-à-dire avant maturité squelettique complète, les lésions traumatiques (plus particulièrement fracturaires) des régions physaires, d’une part, sont fréquentes, d’autre part, imposent une grande circonspection dans leur prise en charge.

Les régions physaires des os longs sont les régions hébergeant le cartilage de croissance.

Le cartilage de croissance n’est pas retrouvé exclusivement au niveau de la plaque de croissance située à la jonction métaphyso-épiphysaire, mais également dans les centres d’ossification secondaires, et dans les apophyses pendant la période de croissance.

Il s’agit de zones histologiquement complexes faisant l’objet de recherches intensives afin d’en percer les mécanismes lésionnels intimes. En effet, l’extrême diversité évolutive de ces traumatismes, imposant une vigilance prolongée de la part du soignant, peut certainement bénéficier d’une connaissance approfondie de l’organisation de ses éléments cellulaires constitutifs.

Un édifice complexe.

Même si la physe (ou zone jonctionnelle discoïde de cartilage de croissance) constitue un sanctuaire tissulaire noble focalisant l’essentiel de l’attention du clinicien, la traumatologie de cette région ne se comprend qu’à la lumière de l’étude d’un ensemble plus global, la chondro-épiphyse. Cette unité anatomique structurale intègre l’épiphyse (porteuse des surfaces articulaires), le cartilage de croissance proprement dit, et la virole péri-chondrale.

Interposée entre l’épiphyse et la métaphyse, la physe est une région constituée de l’empilement de plusieurs couches tissulaires. La couche la plus proche de l’épiphyse est la zone germinative contenant des chondrocytes de réserve. La couche qui lui succède en direction métaphysaire est une couche proliférative, au sein de laquelle les cellules germinatives se multiplient et s’organisent en colonnes. La zone suivante dite hypertrophique héberge des chondrocytes augmentant de taille et évoluant vers l’apoptose. C’est dans cette région que se produit le front d’ossification, résultat d’une minéralisation de la matrice intercellulaire, dépendant d’un apport calcique circulatoire. Cette zone est par la suite remplacée par de l’os spongieux métaphysaire.

La virole péri-chondrale est la poursuite du périchondre épiphysaire, sertissant la physe de façon annulaire et se poursuivant par le périoste métaphysaire. Elle est riche en cellules souches mesenchymateuses.

L’épiphyse qui porte le cartilage articulaire comprend un ou plusieurs noyaux d’ossifications eux-mêmes entourés d’une physe finissant par les englober harmonieusement dans le massif épiphysaire définitif.

Le système de vascularisation de cet ensemble est complexe (artères épiphysaires, métaphysaires, de la virole) et joue un rôle crucial dans le développement harmonieux de cet édifice ou dans certains processus pathologiques susceptibles de le compromettre (traumatismes, ostéomyélite etc.).

Mécaniquement, le cartilage de croissance est une région fragile. S’ajoute à cette fragilité une vulnérabilité biologique d’autant plus marquée que la zone de cellules de réserve se trouve atteinte par le traumatisme. Suivant le mécanisme de propagation et de distribution de la lésion traumatique aux différentes couches de la physe, les conséquences déformantes seront variables. Elles résultent de phénomènes de stérilisation des cellules germinatives et se traduisent par des formations de ponts osseux intras-physaires (épiphysiodèse) susceptible suivant leur topographie sur la physe de produire des déformations axiales, articulaires ou des interruptions globales de croissance, provoquant en un raccourcissement.

Des classifications lésionnelles a visée pronostique.

Très tôt dans l’étude des lésions traumatiques de l’enfant, le besoin de classer les lésions initiales en fonction de leur avenir déformant avait été perçu. Dès le début du XXe siècle voire même la fin du XIXe, alors qu’apparaissaient les premières radiographies, des tentatives de classification ont été proposées. Celle qui a fini par s’imposer, du fait à la fois de sa logique, de sa simplicité et de sa fiabilité, est celle de Salter et Harris, formulée au début des années 1960, c’est-à-dire élaborée il y a près d’un demi-siècle. Elle distingue cinq types d’atteinte du cartilage de croissance : le type I est un décollement épiphysaire classique, c’est-à-dire que la solution de continuité se situe exclusivement sur le trajet du cartilage de croissance ; le type 2 emporte avec la zone épiphysaire un fragment métaphysaire également détaché ; le type 3 est une fracture articulaire dont le trait passe par le cartilage de croissance, plus particulièrement la couche des chondrocytes de réserve ; le type 4 croise le cartilage de croissance, réalisant une fracture métaphyso-physo-épiphysaire ; le type 5 implique un mécanisme traumatologique en compression, endommageant la zone germinale. Il a été reproché à cette classification de ne pas tenir compte de toutes les éventualités traumatiques possibles et de présenter quelques insuffisances pronostiques. Elle a donc été amplifiée par des modificateurs tenant compte du déplacement ou de l’énergie cinétique dissipée lors du traumatisme, tous deux paramètres pronostiques péjoratifs. Ces atteintes du cartilage de croissance représentent entre 20 et 30 % des fractures de l’enfant et se produisent pour les deux tiers d’entre elles au niveau des membres supérieurs.

Une démarche diagnostique hiérarchisée.

L’atteinte du cartilage de conjugaison chez un enfant récemment traumatisé est facilement diagnostiquée en présence d’une zone articulaire de toute évidence cliniquement tuméfiée et douloureuse, imposant des radiographies conventionnelles. Ce diagnostic est parfois plus difficile dans un contexte de polytraumatisé avec seuil de conscience amoindri. Le bilan radiographique doit comporter des clichés orthogonaux, éventuellement complétés d’incidences particulières ou comparatives avec le côté opposé. Certaines localisations imposent le recours au scanner (pilon tibial) afin de cerner la distribution spatiale exacte des traits et déplacements. L’IRM rend d’importants services analytiques, tant au stade aigu qu’ultérieurement pour analyser le cartilage de croissance et d’éventuelles zones d’épiphysiodèse (ponts osseux de stérilisation de croissance). L’avantage de l’IRM tient entre autres, à sa merveilleuse capacité à mettre en évidence les plages d’œdème médullaire, les irrégularités lésionnelles traumatiques du cartilage articulaire, les dégâts traumatiques associés des parties molles périsquelettiques. De tels atouts font de cette exploration l’une des plus performantes pour obtenir un bilan sans faille d’un traumatisme du cartilage de croissance. Enfin l’échographie aide parfois à distinguer une lésion ligamentaire pure (entorse) d’une atteinte propagée à l’articulation et au cartilage de croissance.

Une prise en charge individualisée.

Si une très vaste majorité (environ 98 %) de fractures de la région chondro-épiphysaire est traitée orthopédiquement, il importe de ne pas méconnaître celles qui relèvent d’un traitement chirurgical. Il s’agit généralement des lésions de type 3 ou 4 de la classification de Salter, c’est-à-dire d’atteintes pour lesquelles la réduction à ciel ouvert de la composante fracturaire articulaire est indispensable et doit se faire de façon anatomique.

Certaines localisations spécifiques sont particulièrement candidates à une réduction chirurgicale : les lésions de l’humérus distal, de la tête radiale, de l’épiphyse fémorale proximale, du fémur distal, du tibia proximal et du tibia distal. De telles lésions « vieillissent » vite, et il est préférable d’effectuer la chirurgicale dans les meilleurs délais.

Cette chirurgie se fait le plus souvent sous anesthésie générale et impose des règles strictes de respect de la zone de croissance. Après réduction anatomique à ciel ouvert, la fixation ou ostéosynthèse est confiée au matériel le moins agressif pour les zones de croissance, en général des broches. Ces fixations plutôt légères imposent de mettre en place une immobilisation plâtrée complémentaire afin de réduire tout risque de déplacement secondaire. En bref, les lésions de type 1 ou 2 ne justifient en général qu'un traitement orthopédique, la chirurgie étant exceptionnelle dans ces situations. Les atteintes de type 3 ou 4 relèvent en règle d'un abord chirurgical. Quant au type 5, il s'agit le plus souvent d'un diagnostic rétrospectif tardif.

Quelques lésions de physionomie particuliere.

Au membre supérieur, l'extrémité proximale de l'humérus (généralement le siège de lésions de type 2) justifie d'un traitement orthopédique en raison d'importantes capacités de remodelage et de la grande mobilité de l'articulation scapulaire sus-jacente. À l'extrémité distale de l'humérus, il convient de signaler la fracture du condyle latéral (lésion de type 4) imposant presque systématiquement un traitement chirurgical par réduction à ciel ouvert suivi de brochage. La tête radiale lorsqu’elle est peu déplacée relève d'un traitement orthopédique ; fortement déplacée, elle fait courir un risque de nécrose redoutable et nécessite donc une réduction suivie de fixation si possible à foyer fermé. L'extrémité distale du radius, fracture fréquente, est une indication de traitement essentiellement orthopédique (réduction + immobilisation plâtrée).

Au membre inférieur, quelques fractures méritent une mention particulière :

à l'extrémité proximale du fémur, l'atteinte traumatique, porteuse de risque de nécrose, est facilement distinguée d'une épiphysiolyse ; à l'extrémité distale du fémur, en dehors des cas instables, à fort déplacement justifiant réduction et brochage en croix percutané, le traitement orthopédique est le plus utilisé. Au tibia proximal il faut signaler l'avulsion de la tubérosité tibiale imposant sa fixation chirurgicale ; au tibia distal, trois variétés fracturaires à composante articulaire nécessitent de pas être méconnues (scanner au moindre doute), et conduisent à un traitement chirurgical (les fractures de Tillaux, de Mac Farland et les fractures triplanes).

Enfin, on ne saurait clore ce chapitre sans indiquer combien une prise en charge chirurgicale orthopédique pédiatrique spécialisée peut réduire le risque de lésions iatrogènes susceptibles de survenir dans ces situations.

Il importe également d'insister sur l'importance du suivi évolutif spécialisé de ces enfants traumatisés pour dépister des troubles de croissance (épiphysiodèse) à distance de l'accident, éventualité dont les parents devront toujours être informés.

D'après la conférence d'enseignement du Dr Richard Gouron, Amiens.

Pr Charles MSIKA

Source : lequotidiendumedecin.fr