LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Quelle est la situation sur le front des résistances ?
DR JEAN-FRANÇOIS BERVAR – Il est clair que nous faisons face à une menace, liée à la diffusion de bactéries multirésistantes. Les mécanismes s’étendent, avec l’apparition de nouvelles enzymes, comme la métallo-bêta-lactamase dite NDM1, détectée pour la première fois à New-Delhi, dans une souche de bacille Gram négatif. Dans ces conditions, nous sommes devenus très vigilants vis-à-vis des patients hospitalisés après avoir été admis dans un établissement étranger dans les mois précédents. Il faut cependant également signaler que, parallèlement, certaines difficultés semblent régresser, comme les staphylocoques résistants à la méticilline.
Quels sont les principes de « repérage » des patients à isoler à l’hôpital ?
En France, les seules recommandations systématiques de dépistage des patients porteurs de BMR concernent les soins intensifs et la réanimation. Les patients admis dans ces services font l’objet d’un dépistage systématique des BMR (redéfinies dans les recommandations 2 010 de la Société d’Hygiène Hospitalière), et sont isolés jusqu’à l’obtention d’un résultat négatif. En dehors des structures de réanimation, il n’existe que des pratiques propres à tel ou tel établissement. Ainsi, dans la clinique de pneumologie du CHRU de Lille, nous isolons les patients préalablement hospitalisés dans des régions à risque jusqu’à preuve qu’ils ne sont pas porteurs d’une BMR. Nous isolons par ailleurs systématiquement les patients chroniques, par exemple atteints de mucoviscidose ou insuffisants respiratoires qui ont une antériorité de portage de BMR, ainsi que les patients qui ont séjourné en réanimation, chez lesquels nous refaisons les prélèvements de dépistage.
Comment s’effectue en pratique l’isolement d’un patient porteur d’une BMR, ou suspecté de l’être ?
Avant d’envisager l’isolement proprement dit, il faut rappeler que le respect des précautions standard (hygiène des mains, de la tenue, règles de port des gants, constitue la pierre angulaire de la lutte contre les infections liées aux soins. L’isolement d’un patient est une véritable chaine, impliquant non seulement le personnel du service d’accueil du patient, mais tout l’hôpital. Dans le service d’accueil, le patient est naturellement seul en chambre. Outre les consignes d’hygiène des mains et d’habillage, il requiert une stratégie de d’organisation des soins. On verra ainsi les patients immunodéprimés en premier, puis les patients « tout-venant », et enfin, les patients porteurs de BMR. A l’échelle de l’hôpital, la chaine doit être maintenue, en particulier lors des examens. Autant que faire se peut, les examens chez ces patients doivent être reportés en fin de programme, et impliquent le respect, par le personnel, des précautions complémentaires spécifiques, une désinfection de contact des installations et du matériel utilisé. Ceci passe par une information préalable des différents intervenants, notamment par une signalétique efficace, à type de logo, sur les demandes d’examens.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans cette chaîne ?
L’isolement bien mené est très efficace. Mais il est consommateur de temps et d’espace, et il faut évidemment craindre les ruptures de chaîne. Or, les occasions sont nombreuses, tant dans le travail des infirmières que dans celui des médecins. La présence d’un seul médecin de garde la nuit, par exemple, comporte clairement un risque de rupture de barrière. Et l’on note au passage qu’il ne faudrait surtout pas que les médecins considèrent qu’ils sont moins à risque de transmission que les infirmières. En pratique, le risque de transmissions croisées est d’autant plus important que la charge de travail est élevée, notamment de décembre à février, dans les services de pneumologie.
Quels progrès peut-on espérer dans la mise en ouvre de cette stratégie d’isolement ?
L’objectif est toujours de réussir à mettre en place des mesures d’isolement strictes, sans qu’elles constituent un frein aux soins. L’équation peut se révéler difficile à résoudre. Des résultats ont d’ailleurs été publiés, montrant que le niveau de surveillance d’un patient isolé est en fait un peu inférieur à celui d’un patient non isolé (1). Pour tendre vers un isolement compatible avec les meilleurs soins, la première condition est de mettre en place une signalétique efficace et adaptée, et des protocoles homogènes au niveau local, voire au-delà. Aujourd’hui, on constate que même au sein d’une même structure hospitalière de grande taille, les protocoles manquent déjà d’homogénéité.
Et en dehors de l’hôpital ?
Il n’existe pas de recommandations sur les précautions lors du retour à domicile. En fait, les bactéries multirésistantes, mutées, ont une capacité infectante réduite. L’entourage, sauf en cas de « fragilité » particulière, n’est donc pas a priori à risque de contracter l’infection. L’exemple type est celui des patients atteints de mucoviscidose, infectés par des souches multirésistantes de pyocyaniques, et qui ne sont jamais stérilisés. Or, on ne constate pas d’épidémie dans leur entourage. Naturellement, si cet entourage comporte une personne immunodéprimée, des précautions seront prises. Mais d’une manière générale, le risque pour une population saine est extrêmement faible, et le retour à domicile ne fait l’objet d’aucune consigne particulière. Par ailleurs, un problème concret dont il faut se préoccuper est celui du transfert vers les unités de soins de suite. À la différence du retour à domicile, où le patient côtoiera des personnes a priori saines, le transfert en soins de suite signifie que des personnes fragiles vont être exposées. En principe, les mesures à prendre sur le plan de l’isolement, sont donc mêmes qu’à l’hôpital. Mais les places en soins de suite sont déjà rares. Et le risque existe, de dérives consistant à ne pas déclarer qu’un patient est porteur d’une BMR. Globalement, donc, nous avons besoin d’une politique d’éducation plus marquée à l’isolement, et de moyens en conséquence.
D’après un entretien avec le Dr Jean-François Bervar, CHRU de Lille.
(1) Abad C et al. Adverse effects of isolation in hospitalised patients: a systematic review. J Hosp Infect. 2 010 ; 76 : 97-102
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