La première observation d'allergie alimentaire au pignon de pin a été rapportée en 1958 par Santos et Unger (1) et la deuxième (souvent considérée comme la première) par Aaron Fine (2). Bien que le pignon de pin soit de consommation assez courante, en particulier au sud de l'Europe, on ne recensait en 1998 que 9 observations dans la littérature (3). Depuis 20 ans, les observations se sont multipliées, mais on peut toujours considérer le pignon de pin comme un allergène émergent et souvent méconnu (4).
Claudia T., enfant unique, est une fillette Andorrane âgée de 6 ans. Elle présente depuis l'âge de 3 ans des épisodes récidivants de wheezing associé aux infections virales d'octobre à janvier. En dehors de ces épisodes, son état respiratoire est excellent, en particulier à l'effort et par temps froid, puisqu'elle pratique le ski sans gêne appréciable à partir du mois de janvier-février. Les parents signalent trois évènements cliniques qui font suspecter une allergie alimentaire.
À l'âge de 4 ans, pendant l'été, au cours d'une promenade en forêt de pins, la famille récolte des pignes de pin sur le sol pour en retirer les pignons et les consommer : c'est une habitude culturelle très répandue dans le pays. Après avoir consommé un ou deux pignons, elle développe un œdème des lèvres et un prurit bucco-pharyngé, une urticaire du visage, un œdème oculaire puis une gêne respiratoire. Quelques minutes plus tard, elle présente des nausées et des vomissements, à l'issue desquels les symptômes cliniques disparaissent, sous antihistaminiques et corticoïdes par voie orale. À l'époque, elle ne reçoit pas d'adrénaline.
Un an plus tard, après avoir consommé un gâteau de confection locale contenant des pignons, elle développe à nouveau en quelques minutes un syndrome d'allergie orale (SAO) avec prurit des lèvres, du palais et de la luette, une gêne respiratoire et un angio-œdème du visage. Les symptômes disparaissent à nouveau après des vomissements.
Le dernier épisode d'anaphylaxie a lieu un an plus tard, alors qu'elle est chez une parente ne sachant pas que l'enfant avait déjà présenté des symptômes allergiques après l'ingestion de pignons de pin. Après avoir consommé un plat assaisonné d'une sauce préparée avec des pignons écrasés, selon une recette locale, elle développe les mêmes symptômes que lors des deux épisodes précédents, toujours régressifs après des vomissements.
L'anamnèse familiale montre une atopie biparentale (rhinite allergique). Le développement staturo-pondéral de l'enfant est excellent (20 kg pour 114 cm). Son examen clinique est rigoureusement normal.
La peau de l'enfant réagissant au phosphate de codéine (4 mm x 20 mm) et au chlorhydrate d'histamine (4 mm x 20 mm), les prick tests (PT) vis-à-vis des allergènes usuels sont uniquement positifs et phléole (3 mm x 15 mm) pour les pollens de graminées fourragères, dactyle (4 mm x 25 mm) [résultats donnés selon la taille de l'induration de la papule/érythème en mm]. Le PT vis-à-vis du pollen de pin (Pinus sylvestris) est négatif. Les PT contre 30 aliments usuels sont tous négatifs, sauf pour le pignon de pin (15 mm x 35 mm) avec pseudopodes et prurit (figure 1). Il n'existe pas de réactivité croisée vis-à-vis des Légumineuses (cacahuète et lupin) ou des fruits à coque comme l'amande, la noix, la noisette, la noix du Brésil, la noix de cajou, la noix de pécan et la pistache.
Le dosage des IgEs confirme les résultats des PT montrant des taux significatifs pour l'âge vis-à-vis des pollens de dactyle (2,80 UI/mL) et de phléole (2,24 UI/mL) et, surtout, une forte positivité contre le pignon de pin (90,10 UI/mL). Les taux d'IgE contre les acariens, Alternaria, le pollen de pin et l'arachide sont indétectables.
L'exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) montre un syndrome obstructif modéré (Vems et DEP diminués de 20 %-25 % par rapport aux valeurs attendues) totalement réversible après l'inhalation de 2 bouffées d'un bronchodilatateur de courte durée d'action (B2CA).
Des épisodes d'anaphylaxie à prendre au sérieux
Cette fillette âgée de 6 ans présente une allergie au pignon de pin se manifestant par des épisodes d'anaphylaxie, survenant très rapidement après l'ingestion. Cette observation ayant été recueillie avant l'établissement des consensus sur la gestion de l'anaphylaxie – proposés au cours des 15 dernières années – n'avait pas, à tort, motivé à l'époque un traitement par l'adrénaline intramusculaire. Toutefois, le tableau clinique était particulier, avec des symptômes digestifs (nausées et vomissements) qui précédaient à chaque fois une amélioration rapide des symptômes systémiques. Une éviction stricte des pignons fut conseillée.
Une trousse comportant des corticoïdes et de l'adrénaline injectable fut prescrite, ainsi qu'un plan d'action en cas de nouvel épisode. Il n'y eut pas de récidive de l'allergie à la pigne de pin. Dans ce cas, comme dans ceux de la littérature, il n'existait pas de sensibilisation au pollen de pin. Devant l'existence d'un syndrome broncho-obstructif et de symptôme respiratoire automnaux et hivernaux, sachant que l'asthme (ou ses équivalents) est des facteurs de risque de gravité de l'anaphylaxie, un traitement de fond par corticoïdes inhalés fut prescrit.
Une allergie au fruit et non au pollen
La pigne de pin ou pignon est le fruit du pin qui appartient à l'ordre des conifères. Cet ordre comporte plus d'une centaine d'espèces poussant en Europe, surtout dans les pays méditerranéens, mais également au Mexique et aux États-Unis. Les principales d'entre elles sont Pinus pinea (Europe), Pinus edulis (États-Unis), Pinus cembra (Europe centrale). La période de pollinisation est variable selon les régions, le plus souvent de mars à juillet. Le pollen du pin est un « pollen lourd », jusqu'à 200 microns ou davantage (figure 2), donc peu susceptible d'être aéroporté. Une étude effectuée dans la région Bordelaise où le pin maritime (Pinus pinaster) est très présent, a montré que la sensibilisation à ce pollen était présente chez 1,9 % de la population étudiée (personnes adressées en consultation de pneumologie-allergologie), surtout (3 %) chez les sujets atopiques. La sensibilisation au pollen de pin s'intégrait toujours dans le cadre d'une poly-sensibilisation, chez des patients atteints d'asthme et/ou de rhinoconjonctivite. Ce groupe d'individus n'a pas de phénotype particulier et il n'a jamais été observé à notre connaissance de mono-sensibilisation ou de mono-allergie au pollen de pin (5).
Le fruit ou pomme de pin, en forme de cône, comporte des écailles ligneuses avec, à leur face supérieure, deux graines ou pignons (figures 3 et 4). On dénombre environ 100 pignes (pignons) pour une pomme de pin. Après avoir rompu l'écorce, on trouve un fruit oblong, riche en graisses (60 %), contenant aussi des protéines (15 à 30 %), des glucides (15 à 30 %) et des fibres. Une huile peut être obtenue par pressage.
Les premières observations ont été des cas isolés (1, 2) puis des séries de cas de plus en plus nombreux ont été rapportées. Jusqu'en 1996, on pouvait estimer (in 6) que moins de 10 cas avaient été publiés (1-3, 6-8). Après 1990, des séries de 3 à 5 cas ou davantage ont été rapportées (6, 8-12).
Sauce au pesto
En 2012, la plus grande série personnelle décrite est celle de Moreigne et Bourrier (13) qui ont rapporté 10 observations d'allergie alimentaire au pignon de pin colligées pendant une période de 8 ans, chez des enfants âgés de 18 mois à 17 ans. Le diagnostic était basé sur une histoire clinique évocatrice, des PT et des dosages d'IgEs positifs. Les 10 enfants avaient présenté leurs premiers symptômes le plus souvent entre 5 et 8 ans, la plus jeune ayant développé un angio-œdème à 18 mois en suçant un pignon. Huit enfants sur 10 avaient des antécédents atopiques. L'aliment déclenchant était le pignon cru dans 7 cas et, dans deux cas, le pignon était présent dans une sauce Pesto. Dans cette série, les PT étaient fortement positifs avec un extrait commercial (induration de 6 x 8 mm à 15 x 17 mm) ainsi que les dosages des IgEs (0,56 Ku/L à > 100 Ku/L) [13]. Deux enfants étaient sensibilisés à plusieurs fruits à coque. Dans le cas où il fut réalisé en raison d'antécédents d'allergies multiples, le test de provocation par voie orale (TPO) fut positif pour une dose cumulée de 1,941 grammes (13). Contrairement à de nombreux cas publiés dans la littérature où les symptômes sont qualifiés de très sévères à sévères, ils étaient moins intenses dans cette série : urticaire, angio-œdème, douleurs abdominales ou SAO. Cette différence peut être expliquée par un recrutement différent, une analyse sémiologique homogène et rigoureuse et/ou d'une surestimation possible des symptômes d'anaphylaxie de grade 2 par certains auteurs. Comme dans notre observation, les symptômes digestifs sont notés et le tableau clinique peut s'améliorer après la survenue de vomissements, lorsque l'allergène est présent dans l'estomac, avant son passage systémique. Peut-être s'agit-il aussi d'un phénotype particulier d'allergie alimentaire ?
Un phénotype particulier d'allergie alimentaire?
En 2014, Pralong et al. (14) ont fait état de 20 cas signalés au Réseau d'Allergo Vigilance du CICBAA (Centre d'investigations cliniques et biologiques en allergologie alimentaire) entre 2002 à 2013. Ces 20 patients âgés de 2 à 63 ans (médiane : 20 ans) étaient atteints d'anaphylaxie, 10 fois de grade 3 (choc anaphylactique) et 10 fois de grade 2 (dyspnée avec ou sans angio-œdème ou urticaire). Il s'agissait plus souvent de sujets de sexe masculin (13 sur 20). Le pignon de pin avait été consommé 6 fois sous forme crue et 14 fois de façon masquée dans un plat (pâtisserie, salades, assaisonnement de pâtes). C'est donc une allergie qui touche les sujets jeunes puisque 14 patients avaient moins de 20 ans (11 ans en moyenne). Pralong et al. (14) indiquent aussi que la sensibilisation au pignon peut être facilitée par une pollinose au pollen de pin, mais cela n'était pas le cas chez notre patiente. L'analyse de la littérature montre d'ailleurs que la sensibilisation au pollen de pin est extrêmement rare chez les patients ayant une allergie alimentaire au pignon.
En Espagne, l'allergie au pignon de pin est le plus souvent une isolée, 70 % des observations correspondant à des mono-sensibilisations, responsables de symptômes sévères dans 80 % des cas (12). Dans l'étude de Cabanillas et al. (12) des protéines de 6 kDa (albumine) et 50 kDa (vicilline) ont été purifiées et identifiées. Dans un cas anecdotique, une patiente atteinte d'un syndrome œuf-oiseau s'était sensibilisée en grignotant les pignons dont elle nourrissait ses perruches (15) !
Des pignons non comestibles
Plusieurs publications concernent le « Pine mouth syndrom » ou « pine mouth » caractérisé par la survenue d'une agueusie avec goût amer et métallique dans la bouche, survenant quelques heures après la consommation de pignons d'origine américaine ou asiatique, et persistant pendant 8 à 15 jours, puis disparaissant sans séquelle (16-19). Les pignons de ces pins (en particulier Pinus armandii et Pinus massionana) ne sont pas comestibles. Cette cacogueusie est une métallogueusie (sensation d'amertume métallique dans la bouche), parfois associée à des douleurs abdominales, une diarrhée (16), une sécheresse buccale et une sensation de gonflement amygdalien (18). Flesh et al. (19) ont recensé dans les centres français anti-poisons 3 111 cas d'amertume buccale faisant suite à l'ingestion de pignons entre le 13 mars 2008 et le 31 janvier 2010. En 2009, la fréquence de ce symptôme augmentait à partir de mai pour atteindre un pic de 697 cas en août. Les pignons crus et cuits étaient en cause. La toxine qui serait présente dans des variétés de pins non comestibles n'est pas correctement identifiée. En pratique, il faut absolument éviter de consommer les pignons collectés dans la nature.
Pneumopédiatre allergologue
(1) Santos IM, Unger I. Severe allergic reaction to pignolia nut. Ann Allergy 1958;16(4): 459-61.
(2) Fine AJ. Hypersensitivity reaction to pine nuts (Pinon nuts, Pignola). Ann Allergy 1987;59(3):183-4.
(3) Rubira N, Botey J, Eseverri JL, Marin A. Allergy to pine nuts in children. Allerg Immunopathol (Madrid) 1998;30(7):212-6.
(4) Dutau G, Lavaud F. Le pignon de pin : allergène nouveau ? Allergène émergent ? Rev Fr Allergol 2014;54(2):41-3.
(5) Nocent C, Raherison C, Portel L, et al. Étude de la sensibilisation au pollen de pin maritime (Pinus pînaster) dans la région bordelaise. Rev Fr Allergol 2005; 45(4):298-302.
(6) Pétrus M, Faucié J, Bouchet H, Dutau G. Allergie au pignon de pin : trois nouvelles observations et analyse de la littérature. In Dutau G : « Actualités en allergologie et en pneumologie pédiatrique ». Collection « Références en pédiatrie », Elsevier Édit., Paris, 2002:145-53.
(7) Armentia A, Quintero A, Fernández-García A, et al. Allergy to pine pollen and pinon nuts: a review of three cases. Ann Allergy 1990;64(1):49-53.
(8) Nielsen NH. Systemic allergic reaction to pine nuts. Ann Allergy 1990;64(2 Pt 1):132-3.
(9) Roux N, Hogendijk S, Hauser C. Severe anaphylaxis to pine nuts. Allergy 1998; 53(2):213-4.
(10) Rubira N, Botey J, Eseverri JL, Marin A. Allergy to pine nuts in children. Allerg Immunol 1998;30(7):212-6.
(11) Novembre E, Mori F, Barni S, Ferrante G, et al. Children monosensitized to pine nuts have similar patterns of sensitization. Pediatr Allergy Immunol 2012;23(8): 762-5.
(12) Cabanillas B, Cheng H, Grimm CC, et al. Pine nut allergy: clinical features and major allergens characterization. Mol Nutr Food Res 2012;56(12):1884-93.
(13) Moreigne M, Bourrier T. Allergie au pignon de pin chez l’enfant. Rev Fr Allergol 2012;52(3):250.
(14) Pralong P, Moneret-Vautrin DA, Pirson F, et al. Anaphylaxie au pignon de pin : à propos de vingt cas déclarés au Réseau Allergo Vigilance. Rev Fr Allergol 2014, 54(2):61-65.
(15) Jansen A, Vermeulen A, Dieges PH, van Toorenenbergen AW. Allergy to pine nuts in a bird fancier. Allergy 1996;51(10):741-4.
(16) Munk MD. Pine mouth (pine nut) syndrome: description of the toxidrome, preliminary case definition, and best evidence regarding an apparent etiology. Semin Neurol 2012;32(5):525-7.
(17) Hampton RL1, Scully C, Gandhi S, Raber-Durlacher J.Cacogeusia following pine nut ingestion: a six patient case series. Br J Oral Maxillofac Surg 2013; 51(1):e1-3.
(18) Ballin NZ. A trial investigating the symptoms related to pine nut syndrome. J Med Toxicol 2012;8(3):278-80.
(19) Flesch F, Rigaux-Barry F, Saviuc P, Garnier R, et al. Dysgeusia following consumption of pine nuts: more than 3000 cases in France. Clin Toxicol (Phila) 2011; 49(7):668-70.
(20) Van de Scheur MR, Bruynzeel DP. Acute anaphylaxis after pine nut skin testing. Ann Allergy Asthma Immunol Off Publ Am Coll Allergy Asthma Immunol 2004; 92(1):93.
(21) Tosca MA, Olcese R, Ciprandi G, Rossi GA. Acute anaphylactic reaction after prick-by-prick testing for pine nut in a child. Allergol Immunopathol 2012; 41(1):67.
(22) Bouvier M, Halpern SJ, Brunet JL, Berard F. Allergie sévère au pignon de pin chez l’adulte avec réaction systémique au prick-test. Rev Fr Allergol 2012;52(3):254.
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