En France, au moins 30 000 cas d’embolie pulmonaire (EP) sont observés chaque année. Chez 1 à 3 % des survivants, la persistance d’une obstruction artérielle pulmonaire cicatricielle associée à des anomalies des petits vaisseaux pulmonaires peut conduire à une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (HTP-TEC), complication encore assez méconnue, cause de handicap, d’insuffisance cardiaque droite et de mort prématurée en l’absence de traitement.
Une complication rare d’une maladie fréquente
« L’HTP-TEC est liée à la persistance et à l’organisation fibreuse de caillots au sein des artères pulmonaires après un ou plusieurs épisodes d’EP, symptomatiques ou non. En l’absence d’une prise en charge adaptée, elle est responsable d’une insuffisance cardiaque droite susceptible de mettre en jeu le pronostic vital. Son incidence exacte après une EP n’est pas connue, mais elle est estimée à environ 1 à 3 %, explique le Pr David Montani (CHU Bicêtre, Paris). La difficulté dans cette maladie réside dans le fait que dans environ 50 % des cas, on ne retrouve pas d’antécédent d’EP aiguë lorsque le diagnostic est réalisé. Soit parce que l’EP est passée inaperçue soit parce qu’il y a d’autres mécanismes impliqués (thrombose in situ). » Son diagnostic est donc assez difficile d’autant que les symptômes sont aspécifiques : dyspnée d’effort, malaise… « Par conséquent, il est essentiel d’évoquer le diagnostic d’HTP-TEC chez un patient présentant une dyspnée inexpliquée, qu’il ait, ou non, des antécédents d’EP », souligne le spécialiste.
Dépistage et diagnostic dans le réseau français de l’hypertension pulmonaire
« Dépistage, diagnostic et prise en charge d’une HTP-TEC doivent être pratiqués dans un centre de référence ou de compétence de l'HTP », souligne le Pr Montani. Le réseau français de l’HTP comprend le centre de référence (service de pneumologie, Hôpital Bicêtre) et plus d’une vingtaine de centres de compétences couvrant l’ensemble du territoire français.
« L’échographie cardiaque est utilisée comme examen de dépistage de l’hypertension pulmonaire (HTP) mais la confirmation diagnostique d’une HTP impose la réalisation d’un cathétérisme cardiaque droit, geste invasif qui doit être réalisé par une équipe ayant l’expertise dans cette maladie », insiste le Pr Montani
« Le dépistage de l’HTP-TEC repose dans un premier temps sur la scintigraphie pulmonaire de ventilation perfusion. C’est un examen essentiel puisque, quand elle est normale, elle permet d’éliminer le diagnostic d’HTP-TEC », indique-t-il. En revanche si elle est anormale, il faut poursuivre les investigations. Elles seront alors complétées par un angioscanner pulmonaire avec reconstruction de la vascularisation pulmonaire et parfois par une angiographie pulmonaire, afin de réaliser une cartographie des obstructions et orienter la stratégie thérapeutique.
Chirurgie, angioplastie pulmonaire, médicaments : les options thérapeutiques se multiplient
La chirurgie, l’endartériectomie pulmonaire, n’est pratiquée que dans un seul centre en France (chirurgie thoracique, Hôpital Marie Lannelongue, Le Plessis Robinson). Elle est très efficace en cas d’obstruction proximale (localisée sur les grosses artères pulmonaires). Elle a longtemps été la seule option thérapeutique.
Depuis 2014, un traitement médical, le riociguat (Adempas) a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) chez les adultes présentant une HTP-TEC en classe fonctionnelle NYHA II à III inopérable, ou persistante après traitement chirurgical. Puis l’angioplastie pulmonaire à ballonnet (BPA) est également venue élargir les options de traitement pour les patients présentant une obstruction distale inopérable (localisée sur les artères pulmonaires de petite taille).
La stratégie thérapeutique est adaptée à chaque patient et chaque situation, en prenant en compte la localisation des lésions, la sévérité de l'HTP et les comorbidités. Cela se fait dans le cadre de réunion multidisciplinaire du centre de référence de l’HTP, regroupant spécialistes de l’HTP, chirurgiens, médecins interventionnels, radiologues.
Résultat, « aujourd’hui nous sommes dans des stratégies combinant les différentes options thérapeutiques (chirurgie et/ou angioplastie et/ou traitement médical). Cela a été à l’origine d’avancées majeures ces dernières années, avec la possibilité de normaliser ou quasi normaliser l’hémodynamique des patients avec HTP-TEC », commente le Pr Montani.
Angioplastie pulmonaire par ballonnet versus traitement médical
Les deux options de traitement des HTP-TEC inopérables — BPA et traitement médical — n’avaient jamais été comparées. C’était l’objet de l’étude Race, coordonnée par le Dr Xavier Jaïs à Bicêtre (1).
Cette étude multicentrique a inclus une centaine de sujets atteints d’HTP-TEC inopérables et naïfs de tout traitement. Ils ont été randomisés entre angioplastie et traitement médical (riociguat). Le critère de jugement principal était l’amélioration hémodynamique évaluée par les résistances vasculaires pulmonaires (RVP) au repos à 26 semaines. Les critères secondaires étaient : la distance de marche parcourue en 6 minutes, la classe fonctionnelle NYHA, le taux de NT-proBNP, le délai avant aggravation de l’HTP ainsi que la sécurité d’emploi.
« Entre janvier 2016 et janvier 2019, 105 patients ont été randomisés dans 14 centres appartenant au réseau français de l’HTP. À 26 semaines, les RVP diminuaient en moyenne de 59 % dans le groupe angioplastie contre 32 % dans le groupe riociguat (p < 0,0001). La distance de marche parcourue en 6 minutes augmentait de 50 mètres dans le bras traité par angioplastie et de 44 mètres dans le bras riociguat (différence non significative). À 26 semaines, 88 % des patients du bras angioplastie s’amélioraient d’au moins une classe fonctionnelle NYHA, contre 49 % dans le bras riociguat (p < 0,0001). Enfin, la réduction du taux de NT-proBNP était plus importante dans le bras angioplastie (p <0,0001) », résume le Dr Jaïs (CHU Bicêtre, Paris).
« Concernant la sécurité d’emploi, plus d’évènements indésirables graves (50 % vs 26 %) et d’évènements indésirables liés au traitement (42 % vs 9 %) étaient observés dans le bras angioplastie. Aucun décès n’était à déplorer dans les 2 groupes », expose le Dr Jaïs.
À 26 semaines, les patients du bras riociguat qui restaient symptomatiques et avaient des RVP > 4 UW, bénéficiaient d’un traitement par angioplastie et réciproquement. Une nouvelle évaluation complète était réalisée 6 mois plus tard, soit 12 mois après l’inclusion.
« Les résultats de l’étude Race montrent que le traitement par angioplastie entraîne une baisse plus importante des RVP que le traitement par riociguat mais il est associé à une fréquence plus élevée d’évènements indésirables graves, note le Dr Jaïs. Les résultats du suivi à 12 mois donneront des informations importantes sur la combinaison séquentielle du riociguat et de l’angioplastie et son impact sur les évènements indésirables graves. »
« Destination 2024 » : dépistage, évaluation et traitement
L’objectif du projet Destination 2024 (5 M€) est d’améliorer toutes les étapes de la prise en charge de l’HTP-TEC (diagnostic précoce, évaluation de la sévérité, traitement). Le fruit de ces travaux devrait révolutionner le pronostic de l’HTP-TEC et permettre des avancées dans le domaine de la médecine de précision cardiovasculaire. Plusieurs résultats de ces recherches seront en effet probablement généralisables à d’autres maladies causées par des obstructions vasculaires chroniques.
Ce projet porté par le Pr Marc Humbert est coordonné par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (Hôpital Bicêtre) en partenariat avec l’Université Paris-Sud, l’Inserm, l’Hôpital Marie Lannelongue plus 3 entreprises privées.
Entretien avec le Pr David Montani et le Dr Xavier Jaïs (Centre de référence de l’Hypertension Pulmonaire, Inserm U999, CHU Bicêtre, Paris
(1) le Dr Jaïs et al. Late Breaking Abstract - Balloon pulmonary angioplasty versus riociguat for the treatment of inoperable chronic thromboembolic pulmonary hypertension: results from the randomised controlled RACE study. ERS 2019. European Respiratory J 2019; 54: RCT1885; DOI: 10.1183/13993003.congress-2019.RCT1885
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