Ces jours-ci, un travail de recherche — plus fondamental que clinique — d’une équipe internationale emmenée par une jeune chercheuse française de l’université de Reims (Inserm P3Cell, UMR-S1250, Reims) a mis en évidence un fait extrêmement novateur. « Le polymorphisme du gène codant pour le récepteur nicotinique est impliqué dans le développement — ou pas — des lésions pulmonaires caractéristiques d’une BPCO. Et ce, indépendamment de l’exposition tabagique. L’expression de ce gène (rs169699968) vient favoriser, chez les fumeurs comme chez les non-fumeurs, le remodelage et l’inflammation pulmonaire. Et les modèles animaux montrent qu’il contribue directement au développement d’une BPCO, puisque les souris mutées développent spontanément remodelage et inflammation », résument les auteurs (1). Et l’on sait même comment… Ce travail poussé a en effet montré que « l’expression de rs169699968 dans les cellules épithéliales induit in vivo un remodelage et une inflammation médiées par la production de cytokines pro-inflammatoires, qui viennent décroître les entrées calciques et augmenter l’activité adénylcyclase au sein des cellules épithéliales. »
« Nous avons découvert que le gène rs169699968 est directement impliqué dans le développement de lésions pulmonaires caractéristiques de BPCO, indépendamment du tabagisme. Il agit en sensibilisant les poumons au stress oxydatif et aux blessures. Nous tenons donc là une nouvelle cible thérapeutique potentielle », résume Julie Routhier (Université de Reims, Inserm, P3Cell UMR S1250).
Un travail de pangénomique mais aussi sur cohortes humaines et modèles animaux
Ce travail, publié dans la prestigieuse revue Nature, est le résultat d’une vaste collaboration entre des équipes Inserm de Reims et des équipes de l’Institut Pasteur Paris (CNRS UMR 3571, Paris), de l’Institut Pasteur Lille (CNRS UMR9017, Inserm U1019), du Centre infection et immunité de Lille, du centre dédié au génome de l’université Mac Gill (Montréal, Canada), de l’Institut de behavorial genetics de l’université du Colorado (Boulder, Colorado, USA) et des départements de biopathologie et d’ORL du CHU de Reims.
Il est fondé sur une recherche pangénomique qui a mis en évidence que « le variant α5SNP du gène rs169699968 est associé à l’existence de lésions type BPCO, indépendamment de l’exposition tabagique et/ou à la nicotine. Et son implication va bien au-delà de son activité nicotinique (à savoir, faire pénétrer la nicotine en intracellulaire) », précise Julie Routhier. Après avoir testé et validé les conséquences de ce polymorphisme dans des cohortes de patients, les auteurs ont mené un important travail sur modèle animal, destiné à éclairer pourquoi et comment ce polymorphisme génétique influait la physiopathologie pulmonaire. « Nous nous sommes ensuite concentrés sur le remodelage épithélial, l’emphysème, l’inflammation, l’impact du stress oxydatif et la cicatrisation. Dans toutes ces situations, le variant α5SNP du gène rs169699968 était associé à des altérations pathologiques, à la fois dans les échantillons pulmonaires humains (anapathologiques), mais aussi dans des modèles animaux in vitro et in vivo », explique Julie Routhier. Les cellules épithéliales humaines pulmonaires, comme celles de souris transgéniques exprimant α5SNP, évoluent spontanément, sans même être soumises à un stress oxydatif ou à un apport en nicotine, vers un remodelage associé à une réduction d’expression des cytokines anti-inflammatoires, une réduction des cellules anti-inflammatoires, plus un emphysème modéré chez les souris (in vivo). « Ce phénotype de “BPCO modérée spontanée” a été observé chez des souris âgées. Néanmoins il a pu être confirmé chez des souris jeunes exprimant α5SNP après induction d’un emphysème (via élastase), note la chercheuse. Et ces lésions étaient encore amplifiées après exposition au stress oxydatif. Ce variant pèse donc probablement assez lourd — quand il est présent — dans le développement des BPCO et des emphysèmes pulmonaires. »
Une composante familiale qui doit être identifiée en clinique
La BPCO est très largement associée au tabagisme. Néanmoins, certains fumeurs, et même des gros fumeurs, ne développent pas de BPCO ; d’un autre côté, des non-fumeurs peuvent en déclarer une. Jusque-là rien de neuf : la vie est injuste. Ce travail révèle toutefois un fondement à ces différences de susceptibilité, qui sont donc, au moins en partie, portées par le polymorphisme de ce gène du récepteur nicotinique.
C’est pourquoi, sans aller jusqu’à tester les fumeurs pour leur conseiller, ou non, d’arrêter de fumer — ce qui serait délétère car les risques induits par le tabagisme ne se résument ni à la BPCO ni même à la sphère pulmonaire — on pourrait conseiller de façon plus agressive aux fumeurs ayant des antécédents familiaux d’arrêter le tabac de toute urgence. Ce travail vient en effet renforcer la sensation que certains pouvaient avoir eue en clinique. À savoir qu’il existait peut-être une composante familiale, héréditaire, au développement d’une BPCO. Donc, halte au tabac, et encore plus urgemment dans les familles touchées par la BPCO !
Un long travail de recherche ayant nécessité de réunir de multiples les financements
Cet important travail de recherche a mobilisé d’importantes ressources, humaines et pour les machines de séquençage. Les financements ont été multiples : Agence française de la recherche (programme Nicopneumotine), Inca (programme « tabac 2017 » et « BIO-Silc »), la Ligue (région Grand Est), l’ARC (programme Équipes), le CHU de Reims (programme Rinnopari), la Ville de Reims, le prix de la Chancellerie Sorbonne, un legs (Poix), Fondation pour la recherche médicale, Lions Club de Soissons et Crépy-en-Valois, Iresp (programme Pinacraecopd), Institut Pasteur, Inserm, CNRS, fonds du NIH (grants CA089392 and DA015663 to J.A.S.), investissements liés au Programme d’avenir (ref ANR-11-IDEX-0004-02), via la subvention allouée à l’époque à Uwe Maskos (Institut Pasteur, Paris et Département de biologie et microbiologie, Université de M’Sila, Algérie), lequel travaille en effet depuis fort longtemps sur les récepteurs nicotiniques et leurs effets en particulier sur diverses pathologies cérébrales (2) mais aussi, plus récemment, pulmonaires, notamment dans l’infection à Covid-19.
(1) J Routhier et al. An innate contribution of human nicotinic receptor polymorphisms to COPD-like lesions. Nature Communications 2021;12:6384 doi.org/10.1038/s41467-021-26637-6
(2) Nicotinic receptors in mouse prefrontal cortex modulate ultraslow fluctuations related to conscious processing. PNAS 2016 ; Early and progressive deficit of neuronal activity patterns in a model of local amyloid pathology in mouse prefrontal cortex. Aging 2016.
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