Les allergènes des poissons de mer (poissons bleus) et d’eau douce (poissons blancs) sont présents dans la chair des muscles. Les autres parties principales des poissons sont le squelette et la peau. Le tissu musculaire, ou sarcoplasme (nom commun : filets), est constitué de muscles striés (actine et myosine) dépourvus de tendons. Le sarcoplasme est entouré de tissu conjonctif (sarcolemme). Les muscles (myotomes), accrochés à la peau et au squelette, sont généralement blancs, mais certains poissons comme le thon ont des muscles foncés (rouges). Cette anatomie permet aux poissons des mouvements de flexion et de propulsion (1).
1. Épidémiologie de l'allergie au poisson
En France, le poisson est au troisième rang des aliments cause d'allergie alimentaire (AA), derrière l'œuf et l'arachide, mais il se situe au premier rang dans les pays forts consommateurs comme les pays Scandinaves et les pays Asiatiques, également forts consommateurs de fruits de mer.
Aux États-Unis, la prévalence de l'AA aux fruits de mer (poissons et coquillages) est estimée à 5,9 % : 2,3 % pour les fruits de mer (quels qu'ils soient), 2 % pour les coquillages, 0,4 % pour le poisson et 0,2 % pour ces deux catégories de fruits de mer (2). Elle est plus fréquente chez l'adulte que chez l'enfant (2,8 vs 0,6 % : p < 0,001) (2).
2. Allergènes du poisson
Les deux allergènes du poisson sont inscrits à la nomenclature sous le sigle Gad pour Gadus callarias (morue, angl. : cod, codfish) sont Gad c1 et Gad m1. D'autres allergènes sont identifiés appartenant aux parvalbumines du sarcolemme : Sal s1 pour le saumon (Salmo salar, saumon, angl. : salmon) et The c1 pour le merlan (Merlangius merlangus, angl. : pollack). La couleur rose-rouge de la chair du saumon est due à un pigment caroténoïde (astaxanthine) de la famille des xanthophylles (antioxydants) qui est présent dans sa nourriture, donc non synthétisée par l'animal (1).
Il existe des communautés antigéniques très souvent étroites entre les différents poissons : Gal d1 (PM 12 kDa), anciennement dénommé allergène M de la morue, est un l'un des responsables de ces homologies. Si les séquences d'acides aminés diffèrent selon les espèces, il existe globalement une homologie de l'ordre de 35-40 %.
La réactivité croisée de 9 poissons (morue, saumon, merlan, maquereau, thon, hareng, loup, flétan, carrelet) a été étudiée chez 10 allergiques aux poissons (8 cas d'anaphylaxies et 2 cas de syndromes d'allergie orale) et 10 témoins normaux, en utilisant plusieurs techniques (prick-test, immunoblotts, inhibition du Rast). Les réactivités croisées les plus importantes furent observées entre la morue, le saumon, le merlan le hareng et le loup (3).
La manipulation de poisson frais et sa cuisson libèrent des particules volatiles dont l'allergénicité persiste, même après chauffage à 100 °C pendant 10 minutes.
3. Symptômes et diagnostic
Les symptômes de l'AA au poisson sont variés : rhinite, conjonctivite, asthme, urticaire, nausées, vomissements. L'anaphylaxie est fréquente. Plusieurs cas de décès ont été rapportés (4-6). Chez les sujets ayant une AA au poisson, cette allergie se manifeste également par l'inhalation de particules allergéniques volatiles : manipulation de poissons frais (par exemple à l'étal d'un poissonnier ou à l'écaillage) ou par inhalation de vapeurs de cuisson (fritures).
Il est fréquent que les allergiques à un poisson le soient aussi à plusieurs autres poissons. Pour déterminer les poissons à exclure et ceux que le patient peut éventuellement tolérer, un bilan allergologique est indispensable, allant jusqu'au test de provocation par voie orale (TPO) [4].
Des anaphylaxies ont été décrites au cours d'une séance de prick tests (PT) lorsque ces derniers sont simultanément positifs pour les poissons testés (5). Pour autant, le fait d'avoir développé une anaphylaxie au poisson n'est évidemment pas une contre-indication à réaliser des PT (6). Lors d'une séance de PT, il ne faut pas tester plusieurs poissons ensemble, mais l'un après l'autre au cours d'une même séance (tant que les réactions sont négatives) ou bien de plusieurs séances. Ainsi, dans l'étude de Van Do et al. (3) le hareng et le loup contiennent les allergènes responsables de la plupart des réactions croisées alors que le flétan, la plie, le thon et le maquereau étaient les moins allergéniques dans cette étude.
L'allergie de contact par le baiser existe pour le poisson. Monti et al. (7) ont rapporté un cas d'urticaire et d'angio-œdème chez une fillette âgée de 2 ans, allergique connue au poisson, après un baiser donné par son grand-père qui avait consommé du poisson 2 heures plus tôt. Il s'agit là du syndrome de « kiss-induced allergy » qui a été également décrit pour l'arachide, le lait de vache, l'œuf, le kiwi, la pomme, et d'autres allergènes en particulier médicamenteux (antibiotiques).
4. Évolution
De Frutos et al. (8) ont montré que des allergiques au poisson pouvaient acquérir une tolérance transitoire, puis se sensibiliser à nouveau. À l'inverse, il est possible de guérir d'une allergie IgE-dépendante à plusieurs espèces de poissons même à 68 ans. Dans ce cas, quelques années après l'épisode allergique, le patient tolérait le flétan au cours d'un TPO ouvert (9). Huit mois plus tard, il consommait régulièrement du saumon, de la morue et du flétan…
5. Allergie isolée aux œufs de poissons
Un syndrome d'allergie orale (SAO) et une anaphylaxie ont été rapportés aux œufs de poissons auxquels les patients étaient allergiques, hareng et truite arc-en-ciel (10).
Une AA isolée aux œufs de truite sans allergie à la chair de truite ou aux œufs des autres poissons a été décrite par Escudero et al. (11) : PT (10 mm x 12 mm) aux œufs de truite, TPO négatifs pour les œufs de saumon, de caviar Beluga et de truite. Plusieurs protéines de 19 kDa, 26 kDa, et 110 kDa (vitellogénine ou lipovitelline) cette dernière semblant correspondre à celle de Mäkinen-Kiljunen (10).
Il faut rechercher une allergie aux œufs de poisson lorsque l'histoire clinique évoque une allergie aux fruits de mer, mais que les tests allergologiques sont négatifs.
Quelques cas d'allergie au caviar Beluga ou au caviar de saumon ont été rapportés, en particulier des anaphylaxies (12-14) Plusieurs allergènes sont en cause, en particulier la vitellogénine (14). Des contaminants peuvent aussi être responsables de symptômes allergiques comme la caséine dans le caviar de sériole (angl. : Kingfish) (15).
6. Scombroïdose (choc histaminique)
La scombroïdose est une intoxication alimentaire provoquée par des poissons avariés contenant de fortes quantités d'histamine (50 mg/100 g ou plus). Ces poissons sont surtout les Scombridés (thon, maquereau, sardines, saumon, espadon, etc.). La rupture de la chaîne du froid entraîne une prolifération bactérienne (entre 20 et 30 °C) qui favorise la transformation de l'histidine de la chair du poisson en histamine (16, 17).
Les symptômes, de survenue rapide après l'ingestion, sont de type histaminique : bouffées de chaleur, vertiges, flou visuel, céphalées, nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhée, urticaire et prurit généralisé, choc histaminique, détresse respiratoire. Le plus souvent ils sont légers à modérés ce qui explique que cette affection est sous-déclarée (16).
C'est un diagnostic différentiel de l'AA aux poissons. Ce diagnostic est orienté par la notion d'intoxication collective : plusieurs cas simultanés ou plusieurs cas successifs originaires du même lieu, restaurant le plus souvent.
7. Allergie à Anisakis simplex
Anisakis simplex est un nématode parasite des phoques et de leur chaîne alimentaire, en particulier les poissons, surtout ceux de haute mer (harengs, merlans, morues, maquereaux), et les fruits de mer (18,19). Après avoir consommé des poissons parasités, certains individus peuvent produire des IgE anti-Anisakis et développer des symptômes d'allergie à l'occasion d'une nouvelle consommation de poisson parasité. Cette allergie à Anisakis a surtout été décrite dans la Péninsule Ibérique (Espagne, Portugal), les Pays-Bas et les Pays Scandinaves (19). Sa prévalence est apparemment faible en France (19). La principale cause est la consommation de poissons crus ou peu cuits.
Avec la mode des sushis (poissons ou fruits de mer crus) le risque d'allergie à Anisakis peut être évoqué. Le risque de parasitose est réduit par l'éviscération précoce des poissons et leur lavage rapide (dans les trois heures suivant la mort, afin d'empêcher la migration du parasite dans les muscles). En France, les professionnels désirant vendre ce genre de produit sont dans l'obligation de faire un contrôle visuel (mirage) pour s'assurer de l'absence d'infestation visible par des parasites et un traitement par la congélation à − 20°C pendant au moins 24 h pour les produits à risque. Pour certains, la destruction des parasites nécessite une congélation à au moins − 20 °C durant au moins 72 heures.
(1) https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/zoologie-poissons-eau-… (consulté le 1er février 2019).
(2) Sicherer SH, Munoz-Furlong A, Sampson HA. Prevalence of seafood allergy in the United States determined by a random telephone survey. J Allergy Clin Immunol 2004; 114:159-64.
(3) Van Do T, Elsayed S, Floovaag E, et al. Allergy to fish parvalbumins: studies on the crossreactivity of allergens from 9 commonly consumed fish. J Allergy Clin Immunol 2005; 116:1314-20.
(4) Lopata AL, O’Hehir RE, Lehrer SB. Shellfish allergy. Clin Exp Allergy 2010 ; 40(6) : 850-8.
(5) Novembre E, Bernardini R, Bertini G, et al. Skin-prick-test-induced anaphylaxis. Allergy 1995; 50:511-3
(6) Gonzalez Galan I, Garcia Menaya JM, Jiménez Ferrera G, et al. Anaphylactic shock to oysters and white fish with generalized urticaria to prawns and white fish. Allergol Immunopathol (Madr) 2002; 30(5):300-3.
(7) Monti G, Bon fante G, Muratore MC et al. Kiss-induced facial urticaria and angioedema in a child allergic fish. Allergy 2003; 58:684-5.
(8) de Frutos C, Zapatero L, Rodriguez A, et al. Resensitization to fish after a temporary tolerance. Allergy 2003; 58:1067-8.
(9) Solensky R. Resolution of fish allergy: a case report. Ann Allergy Asthma Immunol 2003; 91:411-2.
(10) Mäkinen-Kiljunen S, Kiistala R, Varjonen E.Severe reactions from roe without concomitant fish allergy. Ann Allergy Asthma Immunol 2003; 91(4):413-6.
(11) Escudero R, Gamboa PM, Antón J et al. Food allergy due to trout roe. J Investig Allergol Clin Immunol 2007;17(5):346-7.
(12) Untersmayr E, Focke M, Kinaciyan T et al. Anaphylaxis to Russian Beluga caviar. J Allergy Clin Immunol 2002; 109:1034-5.
(13) Flais MJ, Kim SS, Haerris KE et al. Salmon-caviar-induced anaphylactic shock. Allergy Asthma Proc 2004;25:233-6.
(14) Perez-Gordo M, Sanchez-Garcia S, Cases B, et al. Identification of vitellogenin as an allergen in Beluga caviar allergy. Allergy 2008;63(4):479-80.
(15) Chen YH, Wu HJ, Tsai JJ, et al. Anaphylactic shock ccaused by a 33-kDa alpha S1-casein-like allergen in Kingfish-caviar. J Allergy Clin Immunol 2009;19(3):245-6.
(16) Sanchez-Guerrero I, Vidal JB, Escudero AI. Scombroid fish poisoning : a potentially life-threatening allergic-like reaction. J Allergy Clin Immunol 1997;100(3):433-4.
(17) Hungerford JM. Scombroid poisoning: a review. Toxicon 2010;56(2):231-43.
(18) Valls A, Pascual CY, Martin Esteban M. Anisakis allergy : an updatee. Rev Fr Allergol 2005;45(2):1008-13.
(19) Dupouy-Canet J, Touabet-Azouzi N, Fréalle E, et al. Incidence de l’anisakiase en France. Étude rétrospective 2010-2014. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/5-6/pdf/2016_5-6_1.pdf (consulté le 1er février 2019).
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