Un livre blanc pour « répondre à l'urgence » : c’est l’ambition de la Fédération hospitalière de France (FHF) pour construire l’avenir de la psychiatrie publique, secteur en grande souffrance.
La psychiatrie publique subit un effet ciseaux. Les 230 hôpitaux publics qui assurent une activité de psychiatrie prennent déjà en charge 85 % des patients suivis en établissement (ambulatoire, visites à domicile, hospitalisation de jour, complète, secteur fermé), jouant un rôle « prépondérant », a expliqué le président de la FHF, Arnaud Robinet, lors d'une conférence de presse à l'hôpital de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Or, les besoins ne cessent de croître avec 13 millions de Français touchés par des troubles psychiatriques – dont trois millions souffrent de pathologies sévères. Le nombre de patients pris en charge à l’hôpital public a augmenté de 7 % entre 2014 et 2022. Parallèlement, le nombre de lits d’hospitalisation complète en établissement public a baissé de 15 % Pire, selon l’enquête menée par la FHF en juin 2023, plus d’un quart des postes de psychiatres sont vacants dans 40 % des établissements publics. Environ 25 % d’entre eux se déclarent en grande difficulté pour répondre aux besoins. En moyenne, 7 % des lits de psychiatrie étaient fermés en 2023.
Un quart des psychiatres en poste ont plus de 65 ans
C’est dans ce contexte que la FHF a formulé mardi des propositions détaillées pour le secteur, dans le sillage d’un groupe de travail placé sous la présidence de la Dr Sylvie Péron.
La démographie médicale extrêmement tendue en psychiatrie reste le premier défi, avec 30 % de postes vacants pour les PH à temps plein, 50 % pour les postes à temps partiel. Cette situation est aggravée par le vieillissement de la spécialité : un quart des psychiatres en poste ont plus de 65 ans ! Les établissements sont en proie aussi à des difficultés de recrutement de paramédicaux. D’autres difficultés s’ajoutent, comme le fait que cette spécialité est mal connue des étudiants en médecine, et parfois stigmatisée. Les contraintes liées à l’hospitalisation des patients en soin sans consentement ont engendré une diminution de l’attrait des jeunes. D’où l’urgence de soutenir les campagnes d’information au profit des métiers de la psychiatrie…
Côté formation, la FHF souhaite systématiser la réalisation d’« au moins un stage en service de psychiatrie durant l’externat » et laisser la possibilité aux externes de réaliser leurs stages hors CHU. Et pour les internes, la FHF recommande de mieux répartir les agréments de stages – il y a une trop forte concentration des internes dans les services universitaires – afin de favoriser leur implantation dans l’ensemble des services et établissements (dont dans les centres hospitaliers spécialisés). Pour les infirmiers, il faudrait renforcer le nombre d’heures de cours sur la psychiatrie et systématiser les stages dédiés.
Cartographie précise des besoins territoriaux
Autre requête : la FHF appelle les agences régionales de santé (ARS) à réaliser « une cartographie précise » des réalités territoriales pour définir des priorités de santé publique. L’objectif est aussi de renforcer le pilotage de l’organisation territoriale des soins, selon le principe de la sectorisation. Une priorité est de mobiliser les acteurs de terrain sur la base des travaux du projet territorial de santé mentale autour de solutions partagées.
Sujet sensible, le volet de la permanence des soins n’est pas éludé. En février, le ministre délégué chargé de la Santé Frédéric Valletoux avait dénoncé certains « dysfonctionnements » entre privé et public à la suite d’un suicide aux urgences psychiatriques de l'hôpital de Purpan. Le nouveau régime des autorisations précisé dans un décret du 30 décembre 2023 permet, selon la FHF, d’instaurer « un partage plus équitable des contraintes » afin de mettre en place une permanence de soins mutualisée et territorialisée. Il convient donc de « mobiliser des professionnels de ville » ou d’autres établissements pour renforcer les secteurs les plus en difficulté.
Autre nécessité : mieux structurer les liens avec les urgences générales, qui sont souvent « la porte d’entrée vers la psychiatrie », en y garantissant « la présence d’équipes psy », composée au moins d’infirmiers spécialisés.
Une équipe de soins de référence pour les malades complexes ?
Il est ensuite nécessaire de réaffirmer les prises en charge « incontournables » afin de concentrer les efforts vers celles-ci, plaide la FHF. Précisément, pour les malades les plus complexes, le livre blanc recommande d’identifier une « équipe de soins de référence » (équipe pluridisciplinaire de secteur) pour garantir la continuité des soins – aussi bien en intra-hospitalier qu’en ambulatoire. Cet objectif nécessite de dédier du personnel à la coordination (recours au « case manager », par exemple). Il est indispensable aussi d’identifier les patients qui ont les pathologies les plus invalidantes pour qu’elles ne subissent pas d’interruption de soins.
Outre la réaffirmation du secteur comme « socle de la prise en charge » territoriale, la FHF préconise de mettre l’accent sur l’ambulatoire, quitte à rénover la carte sectorielle. « La reconfiguration ne doit pas être systématique, mais pensée selon la pertinence des flux des personnes sur le territoire », peut-on lire. La FHF recommande à cet effet un renforcement du rôle des centres médico-psychologiques (CMP), par exemple en augmentant les plages d’accueil pour les soins non programmés et en garantissant un accueil sous 48 heures pour toute demande de soins nouveaux. Outre l’élargissement de cet accueil aux psychologues au sein des CMP, la FHF veut faciliter le recours aux infirmiers en pratique avancée (IPA) pour évaluer les patients en première intention « à la demande des généralistes par exemple ». Le développement d'équipes mobiles spécialisées, qui vont vers certaines populations âgées ou précaires pourrait aussi désengorger les services, avance-t-elle.
Côté carrières, il convient d’augmenter la rémunération des IPA et des psychologues, mais aussi valoriser les soignants qui travaillent dans les unités les plus difficiles.
Des généralistes pas assez formés
Au-delà, le renforcement des liens avec la médecine de ville est érigé en priorité. Cet objectif passe par les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) , grâce à la signature de partenariats avec la psychiatrie. La FHF pointe au passage « le manque de formation aux soins psychiatriques » pour les médecins généralistes, ce qui nécessite de renforcer leurs compétences dans la prise en charge des troubles mentaux. Le lien avec la ville devra être amélioré pour « anticiper au mieux la sortie des patients hospitalisés dès leur entrée dans le service ». À l'hôpital cette fois, la FHF appelle à mieux documenter les « écarts de pratiques » entre établissements, à préserver une offre de lits minimale en pédopsychiatrie, ou encore à préférer les chambres individuelles.
Un second volet de propositions sera publié au second semestre 2024. Il abordera la recherche en psychiatrie, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et les droits des patients.
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