« Absence de spécialisation », « maillage territorial faible et disparate », « moyens très en deçà des besoins », « manque de suivi ». Dans un rapport d’évaluation remis le 6 juillet à la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) dresse un « bilan mitigé » des centres régionaux du psychotraumatisme (CRP).
Créées dans le cadre d'une réflexion sur la prise en charge du psychotraumatisme à la suite des attentats de 2015 et dans la foulée du « Grenelle des violences conjugales », ces structures, chargées de la prise en charge des personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique (TSPT) et adossées à un hôpital, sont coordonnées par le centre national de ressources et de résilience (CN2R), constitué lui aussi à la suite des attentats de 2015.
15 CRP ouverts sur les 100 prévus
Depuis, sur les 100 structures prévues au départ, 15 CRP ont ouvert sur le territoire, et 10 seulement sont opérationnels, déplore le HCE. Et, « tous présentent des délais d’attente conséquents », pouvant atteindre un an pour les traumas complexes. « Dans nombre de CRP, les équipes sont trop réduites pour répondre à la demande croissante de prise en charge. Les listes d'attente continuent de s'allonger et en conséquence le risque d'aggravation du syndrome post-traumatique », tacle le rapport.
Ces centres doivent remplir trois missions : soigner, former des professionnels (soignants, personnels du médico-social, de la justice et des forces de l'ordre…) et constituer un réseau de prise en charge. Dans les faits, par manque de moyens, « aucun n'assure ces trois missions en même temps », constate auprès de l’AFP Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE.
Leur cahier des charges est « ambitieux », mais leur budget (500 000 euros) « insuffisant pour répondre aux trois missions confiées », est-il relevé. Le HCE regrette que le manque de moyens pousse les CRP à une orientation vers le secteur libéral, « ce qui pose un problème majeur de financement, notamment pour les patientes en situation de précarité économique », poursuit le rapport.
Surtout, le HCE reproche aux CRP de ne pas se focaliser sur les femmes victimes de violences (conjugales, sexistes et sexuelles) et de ne pas leur proposer un accompagnement spécifique. Dans ses recommandations, le HCE plaide pour « rendre toujours prioritaire l’accès aux CRP pour les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles ».
Un dispositif pour tous les psychotrauma
Ce recentrage sur les seules femmes de victimes de violences ne répond pourtant pas à la vocation initiale du dispositif, axé sur les psychotraumatismes. « Le cahier des charges des CRP, qui a servi de base pour l’appel à projets et la sélection des dossiers, précise qu’ils doivent intervenir pour tous types de psychotraumatisme et à tous les âges de la vie », rappelle le Pr Thierry Baubet, responsable du CRP Paris Nord (hôpital Avicenne) et co-directeur du conseil scientifique du CN2R.
Il juge « surprenant » que cette évaluation ne prenne en compte que l’angle des violences sexistes et sexuelles. « Les femmes sont un des publics mais pas le seul. Sont aussi ciblés les enfants, les victimes d’accidents, d’attentats, de guerre, de la traite, les personnes avec des parcours migratoires traumatiques, etc. », poursuit-il.
Ce dispositif centré sur les psychotraumas fait sens selon lui. « Pour tous les types de traumatisme, il existe un noyau commun de compétences centrales partagées que sont les techniques de soins des troubles post-traumatiques. Il existe aussi des savoirs spécifiques pour les différents publics (femmes, migrants, etc.), mais cette question ne peut pas être portée par les CRP, dont la vocation est tout public », insiste le psychiatre.
Pour prendre en compte l’ensemble des besoins de publics spécifiques, les CRP sont invités à animer des réseaux de partenaires. « Les soignants des CRP n’auront jamais le niveau de compétences sur les violences faites aux femmes que peuvent avoir les Maisons des femmes, par exemple, qui offre un accueil pluridisciplinaire », souligne le Pr Baubet.
Selon le rapport du HCE, une femme victime de violences sur cinq développe un TSPT. Mais les psychotraumatismes ne sont pas les seules conséquences des violences. « Après des violences sexuelles, on voit énormément de dépression, d’addictions, de comportements suicidaires, même en l’absence de troubles post-traumatiques », rappelle le psychiatre, inquiet que l’évaluation des CRP à travers le seul prisme des violences faites aux femmes ne concoure à une « sorte de concurrence victimaire »,qui hiérarchiserait l'intensité des traumas. Et de rappeler que 1,9 à 2,5 % de la population, selon les estimations, souffrent de TSPT.
À cet égard, le manque de moyens des CRP et leur nombre insuffisant sont un constat partagé par le psychiatre. « La prise en charge d’un trouble psychotraumatique simple, sans complications ou comorbidités, prend au minimum une semaine de travail à temps plein d’un psychologue. Or, chaque CRP ne compte que deux ou trois psychologues et n’est donc dimensionné pour ne traiter qu’environ 120 patients par an. C’est évidemment insuffisant », juge-t-il.
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