En 2022, 76 000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie. Parmi elles, 37 % ont été placées à l’isolement, soit 28 000 personnes ; 11 % ont été sujettes à la contention mécanique, soit 8 000 personnes. Des taux proches de ceux des années passées qui traduisent la difficile réduction de leur usage en France, selon une étude publiée dans le dernier bulletin Questions d’économie de la santé de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).
La réduction du recours à l’isolement et à la contention, autorisé seulement lors d’une hospitalisation sans consentement, est un objectif énoncé en 2011 puis fixé dans la loi de modernisation du système de santé de 2016, et repris dans la feuille de route ministérielle santé mentale et psychiatrie de 2018. Après plusieurs rebondissements, l’encadrement de ces mesures a fini par se stabiliser dans la loi du 22 janvier 2022, qui rend obligatoire leur contrôle par un juge des libertés et de la détention (JLD) au bout de 72 heures pour l’isolement et de 48 heures pour la contention. Mais cet objectif se heurte au manque de moyens de la psychiatrie.
D’après ce « panorama inédit » de l’Irdès, en 2022, ce sont donc 27 762 personnes qui ont été isolées, soit 37 % des patients hospitalisés sans leur consentement, et 10 % de tous ceux hospitalisés à temps plein (avec et sans consentement) en psychiatrie, ou encore 52 personnes pour 100 000 habitants. La contention a concerné 7 979 personnes (contre 10 000 en 2021), soit 3 % de tous les patients hospitalisés à temps plein et 15 personnes sur 100 000 habitants. La contention et l’isolement ont aussi touché respectivement 0,9 % et 0,3 % des patients en soins libres, dans le cadre de mesures d’urgence transitoires. Si la comparaison avec l’étranger est fragile (tous les pays ne recensent pas ces mesures, ou pas de la même façon), « la France semble se situer au-dessus de la médiane pour le recours aux mesures d’isolement et surtout de contention », lit-on.
La justification médicale en question
L’étude, menée par les spécialistes Coralie Gandré et Magali Coldefy, dessine un profil type : dans les deux tiers des cas, il s’agit d’hommes, d’âge médian 35 ans, dont plus d’un quart présente une vulnérabilité socio-économique, avec une hospitalisation de durée plus longue que les autres patients, précédée d’un passage par les urgences, reflet de soins plus intensifs et d’une situation de crise. Par ailleurs, dans plus de la moitié des cas, ces mesures touchent des patients souffrant d’un trouble psychotique, suivis de ceux atteints de troubles bipolaires ou d’un épisode maniaque ou de troubles de la personnalité et du comportement. Cela s’explique par le sens même de ces mesures : d’après les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé, elles ne peuvent être mobilisées que pour prévenir une violence imminente ou répondre à une violence immédiate, non maîtrisable, avec un risque pour l’intégrité du patient ou celle d’autrui. « Cela invite néanmoins à interroger les alternatives qui auraient pu être déployées ou qui n’ont pas fonctionné », lit-on.
En outre, ces mesures semblent s’appliquer à d’autres populations de manière plus controversée : ainsi les « séjours pour déficiences intellectuelles et trouble du développement psychologique pour lesquels l’hospitalisation psychiatrique n’est pas le mode de prise en charge recommandé, sont surreprésentés dans les séjours associés à des mesures de contention et d’isolement ». De même, sont surreprésentés les détenus et les patients ayant des antécédents de séjours en unité pour malades difficiles (UMD), ce qui suggère « que ces mesures sont mises en œuvre pour répondre à des exigences de sécurité non justifiées par des motifs purement cliniques » pour les premiers, ou « traduisent une méfiance des équipes soignantes » à l’égard des seconds.
Variations entre les établissements
Les autrices soulignent enfin de grandes variations (du simple au double) de recours à ces mesures entre les 220 établissements qui assurent des soins sans consentement, variations qui « dépassent les différences de besoins de soins des populations prises en charge ». Le taux moyen national de recours y est de 30 % pour l’isolement, et de 8 % pour la contention mécanique. Mais 11 établissements n’utilisent jamais l’isolement, 32 jamais la contention : ce sont souvent des structures de taille réduite, rassemblant des équipes pluridisciplinaires. « Une autre réponse à la prévention de la violence est possible », commentent ainsi les autrices. À l’inverse, 14 établissements utilisent la contention pour plus de la moitié de leurs séjours, et 18 la contention dans plus de 20 % des séjours. « Plus l’établissement est de taille importante, plus il peut être compliqué de mettre en place une politique volontariste de réduction de ces pratiques, partagée par l’ensemble des acteurs ».
Deux études plus qualitatives, Plaid-Care et Ricochet, doivent préciser les déterminants des variations du recours à l’isolement et à la contention. Les leviers sont connus pour le faire baisser : inscrire ces objectifs dans les outils d’animation des politiques locales et d’évaluation de la qualité des soins, former encore et toujours à la gestion des situations de crise, diffuser les innovations organisationnelles qui fonctionnent, développer les dispositifs extrahospitaliers comme les équipes mobiles de crise, les maisons de répit ou le soutien à domicile. Au préalable, concluent les autrices, « il est nécessaire de donner les moyens aux équipes soignantes d’atteindre ces objectifs dans le contexte démographique défavorable » que connaît la psychiatrie publique.
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