LE QUOTIDIEN : Que savait-on du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) lors de la seconde guerre mondiale ? Comment ces troubles étaient-ils perçus ?
JEAN-LUC LELEU : Les troubles psychiatriques étaient connus dans le contexte de guerre. On parlait à l’époque du « vent du boulet » pour évoquer les symptômes psychiques induits par les combats. Les travaux de Freud avaient déjà permis de mettre en évidence l’importance du psychisme.
Pendant la première guerre mondiale, qui a mis à rude épreuve les corps et les esprits, les premières études ont émergé. Ces travaux ont continué pendant la seconde guerre mondiale. Les Américains ont pris le problème très au sérieux, plus que les Britanniques et beaucoup plus que les Français et les Italiens.
Ce décalage relève d’une question de culture. Les armées continentales, à commencer par celles de la France et de l’Allemagne, ont une autre tradition militaire, une autre culture du combat au sol, avec une moindre prise en considération, une moindre empathie que les armées anglo-saxonnes.
On le voit notamment dans les statistiques médicales. Parmi les pertes rapportées par les forces engagées sur la moitié orientale du front de Normandie, les Britanniques en recensent 10 % relevant de raisons psychiatriques et jusqu’à 36 % pour la 1re armée américaine. En comparaison, la 2e division blindée française n’a recensé que 0,3 % de pertes psychiatriques en Normandie. Le problème a été tout simplement ignoré et n’apparaît pas dans les statistiques médicales.
Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui. Le SSPT est désormais connu. La césure se produira avec la guerre du Vietnam. Un taux de suicide énorme est alors observé parmi les vétérans américains, poussant les psychiatres à se pencher sur le phénomène. Les travaux se sont poursuivis pendant les conflits de décolonisation, et notamment par le Dr Louis Crocq pendant la guerre d’Algérie. Devenu plus tard médecin général des Armées, il a mis en place, après les attentats de 1995 et à la demande du président Chirac, les premières cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP). Ces recherches ont traversé tout le XXe siècle.
Comment ces troubles étaient-ils pris en charge sur le front ? L’approche anglo-saxonne a-t-elle entraîné des soins spécifiques ?
Quand les troubles étaient niés, les soldats déployaient des stratégies de fuite : la consommation de tabac et d’alcool, mais aussi la désertion, les automutilations ou la recherche de blessures pour être évacués, et même suicide. Côté américain en revanche, des unités dédiées ont instauré des protocoles avec une prise en charge précoce. Il fallait libérer la parole sans tarder. L’idée était aussi d’écarter, de mettre en sécurité les soldats, mais sans trop les éloigner du front. Des calmants étaient administrés si nécessaire, le but étant de leur accorder un moment de répit avant de les redéployer au front. C’était la mission de la médecine militaire.
Sur le plus long terme, on peut supposer qu’il est plus aisé de se rétablir quand on est vainqueur d’une guerre unanimement perçue comme juste. Contrairement à ceux du Vietnam, les vétérans de la seconde guerre mondiale sont reconnus positivement, leur sacrifice a un sens. Cela a pu avoir un impact sur la manière de surmonter les traumatismes.
Du côté allemand, comment la question était-elle traitée ?
Le sujet était plutôt nié. L’idéologie raciale et martiale de la dictature nazie était basée sur l’idée de l’Homme supérieur, qui ne doit pas connaître la faiblesse. À la culture masculiniste de l’homme résistant et vaillant au combat, valable dans toutes les armées du milieu du XXe siècle, s’ajoutent des idées eugénistes assimilant la faiblesse à une marque de dégénérescence. Ce postulat nourrit la médecine allemande sous l’ère nazie en niant les progrès établis pendant la première guerre mondiale.
Les psychiatres militaires allemands sont aussi dans le civil des sommités, enseignants dans les universités et impliqués dans des protocoles comme l’opération T4 (campagne d'extermination par assassinat des adultes handicapés physiques et mentaux, allemands et autrichiens, menée par le régime nazi de 1939 à 1941, NDLR) et même la Shoah. La psychiatrie militaire allemande récusait ainsi les névroses, voyant dans les patients atteints des lâches ou des asociaux.
Un début de remise en cause intervient dans les premiers mois de la guerre à l’est à partir de 1942. L’armée allemande enregistre des échecs militaires comme l'opération Barbarossa. Et des soldats ayant jusque-là fait preuve de courage sur le front commençaient à craquer, victimes d’usure. Cette situation va contraindre les autorités à réviser leur jugement, même si la culture militaire allemande restera ancrée dans cette vision eugéniste.
Quel sort était réservé aux soldats allemands souffrant de troubles psychiques ?
Les traitements étaient extrêmement brutaux, avec un recours fréquent aux décharges électriques sans consentement préalable. Les rapports allemands sur le sujet font état de tout sauf d’une quelconque empathie pour les patients. Les pratiques des psychiatres allemands étaient connues des soldats qui développaient une véritable crainte de passer pour fou et de subir les traitements. Le service psychiatrique de l’armée de terre s’étonna d’ailleurs en décembre 1944 du faible nombre de pathologies psychiques rapportées, attribuant ce « succès » à la pratique des électrochocs.
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