« C’est toute la société qui doit changer. Nos ambitions sont grandes et le temps est court », a déclaré le Pr Thierry Baubet, en amont du colloque de rentrée de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). C’est avec détermination que le collège directeur a présenté ce 4 octobre son bilan d’étape et ses perspectives d’ici à la fin 2025, six mois après son installation quelque peu chaotique.
Alors que toutes les trois minutes, un enfant est victime d’inceste ou de violences sexuelles, l’enveloppe budgétaire allouée – 600 000 euros pour cette année, avec éventuellement des rallonges accordées par projet – n’a rien de comparable avec les quatre millions débloqués par Adrien Taquet lors de la création de la Ciivise en 2021. Ses 35 membres sont bénévoles, ainsi que le collège directeur, composé du Pr Thierry Baubet, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent (Avicenne, AP-HP), co-directeur du Centre national de ressources et résilience (CN2R), la magistrate Maryse Le Men Régnier, présidente de France Victimes, et Solène Podevin Favre, à la tête de l'association Face à l'inceste.
La suspension des poursuites disciplinaires pour les médecins en bonne voie
Mais la Ciivise compte bien concrétiser les 82 mesures proposées en décembre 2023. « Un nombre qui dit bien le retard pris par la France dans la protection de l’enfance. Il est temps de passer d’une culture silence à une culture du repérage et de l’accompagnement », commente Maryse Le Men Régnier.
Parmi ces 82 mesures, 41 ont été acceptées, 17 rejetées, et 24 soumises à expertise lors d’une réunion interministérielle qui s’est tenue fin 2023. « Nous avons prononcé un avis sur chacune de ces mesures et nous serons fixés sur un arbitrage gouvernemental d’ici un mois », fait savoir Solène Podevin Favre. Parmi celles très attendues pour le corps médical, la question de la suspension des procédures disciplinaires pendant l’enquête pénale à la suite d’un signalement effectué pour suspicion de violences sexuelles contre un enfant. La Ciivise le demande depuis mars 2022. « La Haute Autorité de santé a été saisie, c’est en cours d’expertise », indique Maryse Le Men Régnier. Le sujet fait consensus, contrairement à la possibilité d’établir une obligation de signalement pour les soignants qui fait encore débat, ou encore de rendre ces crimes imprescriptibles, indique le Pr Baubet.
En plus des mesures déjà émises, et dont la mise en place demandera du temps, reconnaît-elle, la présidence renouvelée de la Ciivise entend explorer d’autres axes de travail, à commencer par les violences sexuelles sur les enfants en situation de handicap. Un groupe de travail spécifique réfléchit par exemple à des outils pour les non-verbalisants, ou à des contrôles des lieux et professionnels qui peuvent les prendre en charge (par exemple, les transports sanitaires). Un deuxième groupe se penche sur les enfants des Outre-mer, un troisième sur la cyberpédocriminalité qui concerne tous les enfants, et non seulement les adolescents. D’autres réflexions portent sur les violences sexuelles entre enfants ou la prostitution des mineurs. La promesse de nouvelles recommandations ? « Nous indiquerons dans un rapport publié fin 2024 nos idées pour l’après-2025 », précise le Pr Baubet.
Oreille tendue vers la parole des enfants et adolescents
Si le collège ne maintient pas les réunions publiques, il se donne comme mission d’écouter et de donner à entendre la parole des mineurs. Un premier projet consiste à écouter les adolescents et jeunes majeurs victimes d’inceste qui sont allés en justice, pour recueillir leur regard sur le parcours qu’ils ont eu (en lien avec l’Université Sorbonne Paris Nord).
Pour connaître les propositions des jeunes sur la prévention et plus largement sur son travail, la Ciivise va lancer début 2025 des ateliers participatifs réunissant à chaque fois une centaine de collégiens et lycéens dans les académies d’Aix-Marseille, Créteil, La Réunion, Lille et Nantes. Enfin, une quinzaine de jeunes déjà engagés dans l’action collective seront invités à co-constuire les propositions de la Ciivise (un groupe miroir), sur la base d’un appel à projets.
« La priorité reste le repérage, l’accompagnement et la prise en charge immédiate des victimes d’inceste », insiste Maryse Le Men Régnier.
Des Français mal informés
La mission de la Ciivise se justifie d’autant plus que les Français pensent savoir, « alors que les confusions sont très nombreuses, ce qui est la pire des situations », indique Solène Podevin Favre, citant une enquête réalisée par Harris interactive du 13 au 17 septembre, auprès d’un échantillon de 1 042 adultes. Plus de 80 % des répondants sous-estiment le nombre de Français victimes de violences sexuelles dans l’enfance (5,5 millions). Et seulement six Français sur 10 savent que les auteurs sont en majorité des membres de la famille ou des proches. Les risques d’internet sont méconnus : jusqu’à un tiers des personnes s’estimant bien informés pensent que les menaces sont plus élevées dans les lieux physiques, or elles sont aussi importantes en ligne. Alors que les garçons sont autant touchés que les filles par les violences sexuelles sur internet, l’idée d’une plus grande vulnérabilité des filles persistent.
En 2024, le collectif féministe contre le viol a reçu plus de 1 200 appels de victimes soit autant que les années précédentes, malgré l’absence de campagne, ce qui reflète un besoin d’accompagnement encore non satisfait. « Il est regrettable que les affaires de pédocriminalité fassent grand bruit à la faveur d’une affaire médiatique, puis retombent dans le silence dès qu’on arrête d’en parler », conclut le Pr Baubet.
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