Les patients suivis par le pôle psychiatrique Paris Centre et filmés par le réalisateur Nicolas Philibert dans le film documentaire « La machine à écrire et autres sources de tracas » (sorti le 17 avril) deviennent des personnages à part entière. Le spectateur les connaît du premier volet du triptyque du réalisateur de « Sur l’Adamant », du nom d’un centre de jour édifié sur la Seine.
Alors en plein tournage, le réalisateur apprend qu’un petit groupe de soignants, dénommé l’orchestre, s’est donné pour mission de porter secours à tel ou tel patient quand l’un d’entre eux a un problème domestique. Un bon moyen de leur rendre visite pour non seulement réparer les objets, mais aussi restaurer les âmes.
L’Orchestre à l’œuvre
Pourquoi avoir appelé cet atelier « l’orchestre » ? Walid, un soignant, explique qu’il s’agit d’un acronyme né d’une réflexion commune : « Ça signifie : organisation, rénovation, collectif, habitations, échange, services, travaux, réparation, entraide. C’est drôle, car ce nom a un signifiant très différent de ce qu’on fait. À l’interphone, on se présente comme “l’orchestre” et pas comme l’hôpital de jour ».
Le plus emblématique des patients, Patrice, vient tous les jours à l’Adamant, s’asseoir à « sa » table et se lance sans tarder dans l’écriture d’un poème en alexandrins. De retour chez lui, il s’installe devant sa machine à écrire et retranscrit le poème du jour. Cette pratique quotidienne semble être ce qui le tient depuis des années. Chez lui, plus de huit mille poèmes s’entassent dans des chemises. Mais voilà qu’un jour sa machine à écrire se bloque. Les jours passent, les manuscrits s’accumulent. Patrice est dans tous ses états. Le réalisateur raconte malicieusement : « Walid et Goulven proposent alors de faire un saut chez lui, sans garantie de réussite : trentenaires l’un comme l’autre, ils n’ont vu de machine à écrire qu’au cinéma. Ils acceptent que je les accompagne. Les voilà bientôt à l’œuvre. Je filme et engrange une belle séquence ». En la démontant, avec beaucoup de bon sens, ils parviennent à relancer la machine.
Ce silence, cet ennui, c’est comme la mort blanche, pas comme la mort noire, définitive
Muriel, patiente
Autre personnage rencontré sur l’Adamant, Muriel, qui débarque un jour complètement démunie. Son lecteur CD ne fonctionne plus. Sans sa musique, dans le foyer d’accueil où elle vit, les journées sont interminables. Le silence l’insupporte et l’angoisse. Pour tromper l’ennui, elle allume la radio, mais aussitôt celle-ci « l’insulte ». Elle se sent menacée. Walid et cette fois Jérôme, un autre membre de l’orchestre, lui proposent de venir y jeter un coup d’œil. La chambre est minuscule : 9 m2. Un lit, une chaise, une table, et cette mini-chaîne qui fait des siennes. Dans ce silence pesant pour elle dans son immense solitude, Muriel est allongée telle une madone sur le lit en attendant l’arrivée de l’orchestre. Devant Nicolas Philibert, elle décrit « une mort blanche », à bien distinguer de « la mort noire », la définitive. Là encore, les deux soignants trouvent la solution après avoir nettoyé la tête de lecture et passé un coup de chiffon doux sur les CD. S’ensuit une conversation à bâtons rompus autour d’un café qui donne non seulement un rayon de soleil à l’ennui de Muriel, mais aussi des perspectives. Pourquoi ne pas acheter des posters pour agrémenter ce mur blanc tellement triste ?
Une sensibilité à fleur de peau
Chez ces personnes, la sensibilité est toujours à fleur de peau. Le moindre grain de sable dans leur quotidien bouscule leur vie. Les soignants, dont le rôle aussi est de faire le lien avec la réalité, l’extérieur, avec des interlocuteurs importants comme la curatrice de Muriel ou le médecin d’un autre patient, ont bien compris que ce coup de pouce matériel est primordial chez ces patients.
J’ai mal à la côte ouest. J’ai pris un Doliprane.
Frédéric, patient
Parfois, l’orchestre intervient à plusieurs reprises chez un même patient très en difficulté. Ainsi en est-il de Frédéric, dont l’appartement est tellement encombré qu’il n’a même plus la place de dessiner ou de peindre, son occupation favorite. Frédéric nous raconte son parcours de patient, mais aussi de personne qui a essayé de s’insérer dans la société. Il a appris son métier de dessinateur à l’École des arts appliqués et y est rentré en septembre 1975 : « J’ai loupé glorieusement le BTS. C’est grâce à cet échec retentissant que je suis devenu dessinateur de bandes dessinées ». Mais très vite resurgit la maladie. En montrant l’image célèbre d’Harold Lloyd s’accrochant à l’horloge, il commente amèrement : « Il s’accroche au temps qui pour moi à cette époque était en miettes, je prenais des amphétamines. »
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