Un drone survole l’hôpital Esquirol à Saint-Maurice (94), qui garde de son histoire une architecture asilaire. Après la péniche de l’Adamant, centre de jour, le réalisateur Nicolas Philibert pose sa caméra au cœur des consultations psychiatriques des unités Averroès et Rosa Parks du pôle Paris Centre.
« Averroès & Rosa Parks est un prolongement de Sur l’Adamant. Comme si après avoir filmé ce qui est sur le devant de la scène, je montrais les coulisses, les soubassements. L’ambiance de l’hôpital est plus sévère, les patients qui ont échoué là traversent un moment dans lequel ils sont plus vulnérables. (…) Mais il s’agit de la même psychiatrie ou plutôt ce qu’il en reste : cette psychiatrie qui s’efforce encore de prendre en considération la parole », explique Nicolas Philibert (Être et avoir, La maison de la radio, etc.).
Sorti le 20 mars, le film donne ainsi à voir le temps long des consultations, ou plutôt des échanges entre un soignant et un patient. « Si la maladie mentale est une pathologie du lien, filmer des entretiens me semblait un bon moyen de montrer comment les soignants essaient d’accompagner ceux qui en souffrent et de forger avec eux les appuis qui pourront les aider à se relever », argumente Nicolas Philibert. Chaque conversation est unique, selon les personnalités en présence et les problématiques très vastes que charrie la psychiatrie. Il est question d’hébergement pour le premier patient à qui l’on propose un appartement partagé, de foyers de vie ou de famille d’accueil pour ce jeune de 34 ans qui se débat avec son addiction aux toxiques, ou encore de la rue pour cet homme hospitalisé depuis un an qui ressasse sa déception d’adolescent de ne pas être footballeur professionnel. D’autres patients évoqueront le travail, la famille, la recherche de vérité, ou leurs peurs existentielles (la mort, la guerre, la contamination au plomb…). Le rythme du film (2 h 23) laisse le temps aux personnalités de donner à voir leurs univers. Les gros plans donnent aux visages une beauté cinématographique.
De maladie ou de traitement, il est en revanche très peu question. Les pathologies sont à peine citées, les thérapeutiques, seulement évoquées. Les soignants interrogent, demandent comment ils peuvent aider. L’impératif est de garder le contact, y compris (surtout) lorsque les délires ou l’agressivité menacent le fil de la conversation.
La souffrance en filigrane
Le réalisateur ne filme pas frontalement la crise de la psychiatrie. Les soignants semblent avoir tout leur temps. Des patients émane une grande confiance, certains percevant avec une grande acuité leur besoin de soins (comme ce professeur de philosophie « exalté », désireux de refonder l’Éducation nationale).
Pourtant pointent dans les interstices des discussions ou, plus clairement, lors des réunions soignants-soignés des souffrances liées au parcours psychiatrique lui-même, qui court parfois sur des décennies. « Quelle est la manière de ne pas revenir ici ? », demande un patient instamment. « Vingt ans que je suis en psychiatrie. Les hôpitaux, c’est destructif (sic) », témoigne une autre qui aspire à se soigner, c’est-à-dire « faire comme les autres ». « Ça fait un an que je suis là ; je commence à déprimer. L’ambiance à l’hôpital n’est pas bien », se plaint un troisième. « Dès qu’on peut proposer un autre accompagnement, on le fait. Mais il faut parfois un temps pour que ça se reconstruise », temporise un des médecins psychiatres.
L’une des dernières séances montre une femme âgée brûlée au troisième degré dont les angoisses semblent inapaisables. « Merci de vous être occupés de moi, même si vous m’avez oubliée », souffle-t-elle, depuis une solitude abyssale qu’aucune parole ne semble pouvoir apaiser.
En avril, sortira La machine à écrire et autres sources de tracas, le dernier opus du triptyque de Nicolas Philibert sur la psychiatrie, qui suivra les soignants bricoleurs – relevant toujours du même pôle psychiatrique Paris Centre – au domicile des patients.
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