LE QUOTIDIEN : Estimez-vous que les pistes présentées lors des assises de la pédiatrie sont à la hauteur des besoins observés dans le champ de la santé mentale ?
Pr BRUNO FALISSARD : Le renforcement des maisons des adolescents (MDA), l’augmentation de 30 à 50 euros des séances de Mon soutien psy, la promotion du rôle des infirmiers, psychologues, orthophonistes, éducateurs, la revalorisation des psychologues dans les centres médico-psychologiques sont des pistes intéressantes. Mais sur le fond, cela ne changera rien. Il faut repenser en profondeur la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, car les pédopsychiatres ne sont et ne seront pas assez nombreux ces 20 prochaines années, compte tenu de l’évolution démographique. Les assises restent dans le « syndrome de la rustine ».
Par exemple, il est question de renforcer « le socle des missions des MDA », dans le cadre d’une révision de leur cahier des charges. Mais si l’on veut qu’elles deviennent un acteur essentiel du système de soins de la santé mentale, il faut expliciter clairement qu’elles sont en première ligne, tandis que les centres médico-psychologiques (CMP) interviendraient au second niveau. Au passage, qu’en est-il des enfants ? Le document du ministère ne mentionne pas les « maisons de la famille et des enfants ».
Le rapport suggère de revaloriser les infirmiers, psychologues, orthophonistes, éducateurs, et d’encourager les innovations organisationnelles.
Augmenter la rémunération des infirmiers et psychologues est une évidence, sinon, on ne peut recruter (pour rappel, la cible de 400 ETP supplémentaires dans les CMP infanto-juvéniles, fixée lors des Assises de 2021, est loin d’être atteinte, avec seulement +94 ETP recensés à date, NDLR).
Les innovations organisationnelles… C’est du jargon administratif. Néanmoins, il y a urgence à repenser les soins de premier recours en santé mentale, et cela se fait dans tous les pays. Il faudrait aller vers une démédicalisation, mais en trouvant des compromis. Dans un rapport daté de mars 2024 de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées (SFPEADA), nous proposons que le premier niveau concerne la médecine générale, mais aussi et surtout l’école, ainsi que les MDA, maisons de la famille et des enfants et maisons des 1 000 premiers jours.
Dans quelle mesure ces structures doivent-elles être médicalisées ? Nous devons en discuter. On pourrait imaginer la supervision d’un pédopsychiatre pour discuter des cas les plus compliqués. Surtout pour les adolescents (moins pour les enfants), qui préfèrent parfois échanger avec un soignant (infirmier en pratique avancée, par exemple) autre qu’un psychiatre en première intention. Une alternative serait que le premier contact soit psychiatrique, éventuellement par téléphone via une ligne de premier recours, et qu’en 15 minutes, il puisse y avoir une orientation vers la MDA ou le CMP en fonction de la gravité. Des expérimentations sont en cours en France ; en tant que société savante, nous attendons les retours d’expérience.
Nous tenons dans tous les cas à garder le secteur, qui garantit un minimum d’équité dans l’accès aux soins ; mais en le repositionnant en deuxième ligne. Quant aux centres experts, c’est le miroir aux alouettes. La santé publique veut qu’on ne dépiste que ce pour quoi on peut proposer un soin en aval. La priorité est donc de reconstruire l’offre de soins, faute de quoi cela crée des frustrations. D’autant qu’étant donné la nature de la nosologie en psychiatrie, on ne peut affirmer que les centres experts établissent des diagnostics avec certitude.
Nous suggérons donc que les acteurs de niveau 3 (qui comptent aussi les unités spécialisées et les services des CHU) ne se cantonnent pas à un simple rôle d’expertise mais s’engagent également eux-mêmes dans le soin. Ils peuvent aider pour les situations complexes face auxquelles le secteur se sent désemparé.
Vos propositions de refonte de la pédopsychiatrie sont proches de celles émises par la Cour des comptes au printemps 2023.
Mais elles ne se fondent pas sur les mêmes bases, et la différence est de taille ! La réflexion de la Cour est menée par des administratifs. Nos propositions sont assises sur des bases scientifiques et prennent en compte les changements sociétaux, les savoirs que convoque la pédopsychiatrie, les soins qu’elle propose et les soignants. On ne peut réorganiser le système indépendamment des soignants qui le font vivre, sinon, ils partiront. Les pédopsychiatres voient leur métier changer. On ne peut les soumettre à des injonctions : il faut échanger et trouver des compromis. Par exemple, prioriser le temps de diagnostic, d’évaluation et de réévaluation des prises en charge, mais aussi permettre une activité psychothérapeutique limitée, car les collègues souhaitent continuer à suivre des patients.
Qu’attendez-vous du Conseil national de la refondation sur la santé mentale qui s’ouvre en juin ?
Nous y serons, dans un esprit constructif. Mais ce n’est pas là que les choses se jouent. En revanche, sur le terrain, il y a des signaux positifs : la présentation de notre rapport a donné lieu à des échanges avec le ministre de la Santé Frédéric Valletoux et le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, le Pr Frank Bellivier, et nous observons une augmentation du nombre d’universitaires (PU-PH, professeurs des territoires, MCU-PH, chefs de cliniques) en pédopsychiatrie depuis deux ans.
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