LE QUOTIDIEN : Quels thèmes avez-vous abordés lors de la journée de restitution de vos travaux ?
Pr MICHEL LEJOYEUX : La première table ronde était consacrée à la question des malades dits difficiles. Nous ne souhaitons pas attiser les polémiques autour de l’isolement et de la contention, des unités pour malades difficiles (UMD), ou des unités de soins intensifs en psychiatrie (Usip). Nous voulons aborder cette question du point de vue de la clinique, du patient et de l’organisation des soins, plutôt que des structures. Il s’agit de considérer qu’un épisode difficile fait partie d’un parcours psychiatrique.
Le mode majoritaire d’entrée dans le soin est aujourd’hui la crise. C’est notamment vrai pour les mineurs, qui viennent à nous après une tentative de suicide ou une prise de toxique. L’offre psychiatrique est réduite, l’accès aux structures, difficile et les délais s’allongent. Le manque de personnel et de lits créé ces situations de malades difficiles qui n’existeraient pas si les dotations étaient normales. Ce ne sont plus seulement les psychoses qui mettent en échec les institutions, mais aussi des troubles de la personnalité et les addictions.
Nous plaidons pour renforcer la psychiatrie publique, généraliste, plutôt que pour créer des couches d’hyper-spécialisation pour malades difficiles – loin d’être un groupe homogène. Sinon c’est sans fin : tous les malades risquent de devenir difficiles pour un secteur public dépassé.
La deuxième table ronde portait sur les relations entre psychiatre et psychologue dans le cadre des psychothérapies. Quel message retenez-vous ?
Encore une fois, nous ne voulons pas rouvrir les querelles de chapelle, mais promouvoir la coordination dans les parcours de soins. C’est assez naturel à l’hôpital, ça doit l’être encore plus en ville dans les réseaux de soins. Le patient a besoin d’un soin intégré associant psychiatrie et psychothérapie. En particulier en addictologie, où l’essentiel du travail repose non sur les médicaments, mais sur la psychothérapie. En pédopsychiatrie, dans 70 % des cas, les psychothérapies sont efficaces à condition que soient maîtrisés les facteurs causaux de la souffrance : les situations de maltraitance ou de harcèlement, les troubles des apprentissages.
Nous insistons sur l’importance de l’encadrement du titre de psychothérapeute pour lutter contre les dérives, thérapeutiques ou financières. Nous souhaitons aussi une évaluation et une hiérarchisation des techniques en fonction des situations, afin que les professionnels n’orientent pas les patients en fonction de leur obédience, mais des indications.
Quant au dispositif Mon soutien psy, les grands débats sont derrière nous. Il s’agit maintenant de renforcer la coordination entre psychiatre, psychothérapeute et généraliste pour qu’il n’y ait pas de concurrence entre les offres. Enfin, la commission nationale soutient l’émergence d’une compétence universitaire autour de la gérontopsychiatrie.
Quelles innovations sont attendues en psychiatrie, selon la troisième table ronde ?
Un volet concerne la neuromodulation, la sismothérapie, la stimulation magnétique transcrânienne ; l’autre, les médicaments, par exemple l’eskétamine qui serait probablement efficace dans la dépression. Mais l’accès aux psychotropes est compliqué, car le financement global des hôpitaux spécialisés n’en fait pas une priorité. Nous espérons des avancées concrètes pour améliorer l’accès à ces traitements innovants et coûteux.
Nous avons aussi évoqué les thérapies numériques, la réalité virtuelle, les serious games, qui soulèvent par ailleurs des questions de protection des données. Enfin les innovations se traduisent par le renforcement de la place des usagers, qui accueillent leurs patients et forment les soignants.
Comment envisagez-vous votre rôle à l’avenir ?
La commission nationale regroupe, depuis 2021, hospitaliers, universitaires, libéraux, psychologues, infirmiers, patients, directeurs, etc. Dans le dialogue avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et le ministère de la Santé, nous voulons porter la voix des professionnels et faire en sorte que les dispositifs et méthodes promus ne soient pas déconnectés de la pratique. Nous sommes le principe de la réalité. Nous avons par exemple co-porté le dispositif Mon soutien psy et poussé pour la prise en compte de la santé mentale lors des assises de la pédiatrie. Nous insistons aussi sur le fait que nous avons encore besoin du secteur, rénové : c’est un droit sociétal, notamment pour les plus vulnérables et précaires. Les innovations thérapeutiques doivent naître en son sein. Nous participons d’ailleurs avec la DGOS au jury du fond d’innovation organisationnelle en psychiatrie (Fiop).
Quelle que soit la future configuration politique, j’espère que la santé mentale restera une priorité. Les structures de psychiatrie privées et publiques doivent être renforcées. Plus que jamais la voix des professionnels devra se faire entendre.
*Les groupes de travail sont : psychiatrie générale et offre de soins, société, loi et prévention, psychiatrie et autres spécialités médicales (dont l’addictologie) et pédopsychiatrie.
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