« Dans notre pays, chez les jeunes de 15 à 25 ans, le suicide est la deuxième cause de mortalité après les accidents de la voie publique. Devant le cancer ou les maladies chroniques. Sans dramatiser, c’est une réalité de santé publique qu’il convient d’avoir à l’esprit pour mieux accompagner ces jeunes en situation de souffrance », indique le Pr Philippe Duverger, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU d’Angers. Selon ce spécialiste, la situation de ces jeunes s’est aggravée récemment. « Depuis l’épidémie de Covid, plusieurs enquêtes régionales et nationales ont montré la réalité d’un mal-être profond chez de nombreux adolescents, avec de grandes détresses pouvant amener à des passages à l’acte suicidaire. »
Ces enquêtes ont notamment été menées par Santé publique France. « Elles montrent, chez les 11-18 ans, une forte augmentation des passages aux urgences pour des raisons psychiatriques ; avec une hausse de + 30 % de passages aux urgences pour des passages à l’acte suicidaire chez les 11-25 ans. Dans le même temps, on a constaté, dans nos services, une augmentation du nombre de jeunes hospitalisés pour ces mêmes raisons », précise le Pr Duverger. Ces chiffres fluctuent avec le calendrier des vacances scolaires.
Pour autant, les pathologies psychiatriques ne sont pas en recrudescence. « On ne voit pas davantage de schizophrénies ou de troubles bipolaires. En revanche, on rencontre un plus grand nombre de jeunes avec éprouvant des fragilités émotionnelles, des troubles anxieux, des refus scolaires anxieux, des troubles des conduites alimentaires, des addictions aux écrans ainsi que des idées ou des comportements suicidaires. On voit des jeunes se replier sur eux-mêmes, désinvestir le champ scolaire en ayant du mal à retrouver du sens à ce qu’ils font », indique le Pr Duverger.
Médications en forte hausse
Face à ces jeunes en souffrance, il semble important de répondre par des soins plutôt que par des traitements. « Aujourd’hui, la réponse est trop souvent limitée aux seuls médicaments psychotropes, comme le montre le récent rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (Hcfea) », souligne le Pr Duverger. Sorti en mars, celui-ci souligne qu’entre 2014 et 2021, la consommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de 48,54 % pour les antipsychotiques, 62,58 % pour les antidépresseurs, 78,07 % pour les psychostimulants, 27,7 % pour les anticholinergiques, 9,48 % pour les dopaminergiques, 155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs. Chez les enfants seulement, entre 2010 et 2021 les consommations ont augmenté de +35 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques, de +179 % pour les antidépresseurs, de +114 % pour les antipsychotiques et de +148 % pour les psychostimulants. « Pour la seule année 2021, l’augmentation est de +16 % pour les anxiolytiques ; de +224 % pour les hypnotiques ; de +23 % pour les antidépresseurs, et de +7,5 % pour les antipsychotiques », indique le Haut conseil. Ce phénomène de surmédication ne concerne pas des cas isolés mais bien des dizaines de milliers de jeunes. Ces niveaux d’augmentation sont sans commune mesure, de 2 à 20 fois plus élevés, avec ceux observés au niveau de la population générale.
Quels signes doivent alerter ? Il faut être attentif à tout changement brutal et inattendu de comportement, selon le Pr Duverger. « Il s’agit de jeunes qui vont refuser d’aller au collège ou au lycée, arrêter des activités habituellement bien investies, se replier dans leur chambre ou sur les écrans, ne plus avoir d’appétit. Ou développer des troubles du sommeil, qui sont un bon indicateur de la montée de troubles anxieux », explique-t-il, en précisant que « les jeunes filles sont plus enclines à verbaliser leurs souffrances. En hospitalisation, on retrouve 80 % de filles. Chez les garçons, il y a souvent une forte réticence à se plaindre, à verbaliser sa souffrance ce qui, selon eux, serait une sorte d’aveu de faiblesse. Et ce qui est compliqué, c’est le fait que, chez eux, les signes avant-coureurs sont souvent moins nombreux ou visibles et les passages à l’acte souvent plus brutaux. »
Ces jeunes, dans leur immense majorité, ne veulent pas mourir. « Ils veulent juste en finir avec cette souffrance qui, disent-ils, leur prend la tête. Après une intoxication volontaire médicamenteuse, quand ils se réveillent le lendemain à l’hôpital et qu’ils constatent qu’ils sont toujours en vie, ils sont heureux de voir qu’on est là pour s’occuper d’eux, pour s’intéresser à eux », indique le Pr Duverger.
Exergue : « il semble important de répondre par des soins plutôt que par des traitements »
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