Manque d’études
Aujourd’hui, le trouble bipolaire de type I à l’adolescence, défini par l’existence d’au moins 1 épisode maniaque ou mixte, est clairement reconnu par les cliniciens. Cependant, encore insuffisamment d’études avec une méthodologie rigoureuse le caractérisent, notamment concernant le devenir à l’âge adulte.
En revanche, chez l’enfant prépubère, le concept de trouble bipolaire pédiatrique donne lieu à de nombreuses publications depuis les années 1990, malgré l’existence de controverses à son sujet. Il est également intéressant de constater qu’aux États-Unis le diagnostic posé de trouble bipolaire a été multiplié par 40 en dix ans chez le sujet jeune (1). Il paraît donc indispensable de distinguer diverses problématiques pour des questions de validité clinique : le trouble bipolaire de type I de l’adolescent (ou phénotype étroit) et les troubles dits bipolaires de l’enfant (ou phénotype intermédiaire, large). Pour éviter les confusions, certains préconisent même de qualifier ces derniers phénotypes de dysrégulation émotionnelle sévère (2).
Particularités cliniques à l’adolescence
Le trouble bipolaire de type I de l’adolescent est caractérisé par la présence d’au moins un épisode maniaque ou mixte (coexistence de symptômes de la lignée maniaque et de la lignée dépressive). Sur le plan épidémiologique, une étude fait particulièrement référence : une prévalence vie entière du trouble bipolaire I de 0,1 % est retrouvée (3). Le sexe ratio est de 1.
Le tableau clinique d’un épisode maniaque ou mixte à l’adolescence, bien qu’étant cliniquement proche de la sémiologie observée à l’âge adulte, présente cependant certaines particularités, pouvant être à l’origine d’errances sur le plan diagnostique et par conséquent également sur le plan thérapeutique. La fréquence des symptômes psychotiques est notable : dans 30 à 70 % des cas selon les études. Ces signes psychotiques comprennent principalement des idées délirantes avec une thématique congruente ou non à l’humeur, des hallucinations plutôt psychosensorielles et des troubles du cours de la pensée (incohérence, relâchement des associations, persévérations, barrages,. Par conséquent, le diagnostic différentiel entre un épisode maniaque ou mixte et un épisode délirant aigu témoin d’un trouble schizophrénique demeure délicat à cet âge.
La tonalité euphorique classique se manifeste souvent de façon plus modérée, ou bien se trouve être remplacée par une irritabilité, une agressivité voire de la violence au premier plan. Des conduites de transgression ou de défi font parfois partie intégrante du tableau clinique. La désinhibition sexuelle constituant classiquement le tableau clinique rend l’adolescent particulièrement vulnérable, en favorisant des comportements à risque et en mettant l’adolescent, ainsi que ses partenaires, en danger. Dans certains cas, le viol peut ainsi venir révéler un état maniaque à l’adolescence. D’autre part, la fréquence d’une dimension psychotique associée à ce climat de désinhibition sexuelle peut être à l’origine d’idées délirantes à thématique sexuelle et/ou être source de fausses allégations d’abus sexuel. Il n’est pas rare qu’au cours d’un épisode maniaque survenant à l’adolescence soient formulées des allégations d’agressions sexuelles, que ces dernières aient réellement eu lieu ou soient le fruit d’une construction délirante. Les conséquences médicales et les implications médico-légales de telles allégations sont majeures et importantes à connaître[4].
Groupe homogène
Un groupe clinique homogène avec symptomatologie sévère.
Étant donné les recommandations récentes de la littérature internationale, nous avons choisi dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de la Pitié-Salpêtrière d’étudier un groupe clinique homogène avec symptomatologie sévère. Ainsi, notre étude porte sur le devenir psychosocial et psychiatrique d’une cohorte de 80 patients adolescents hospitalisés pour un épisode maniaque ou mixte, après en moyenne 8 ans d’évolution (PHRC, 2006).
La description rétrospective de l’épisode index décrit l’échantillon clinique d’un point de vue sociodémographique et phénoménologique (5). Ainsi, le sexe ratio est proche de 1, l’âge moyen est de 15,7 ans (de 12 à 19 ans), le niveau socio-économique est essentiellement bon et moyen, et une origine migrante est retrouvée dans environ 40 % des cas. Des antécédents psychiatriques personnels sont retrouvés dans 87,5 % des cas (épisode psychotique aigu 16 %, épisode dépressif 42 %) et des antécédents psychiatriques familiaux dans 63,8 % des cas. L’échantillon est caractérisé par une très grande sévérité clinique, une proportion élevée de symptômes psychotiques (62,5 %) et une durée d’hospitalisation longue (moyenne = 80,4 jours) (contrairement aux études américaines où les hospitalisations sont très brèves, en moyenne de trois à cinq jours pour des raisons essentiellement économiques). Une bonne amélioration symptomatique est constatée à la sortie. Plus d’épisodes maniaques que mixtes sont diagnostiqués chez les adolescents migrants et chez ceux présentant un retard cognitif. Se pose alors la question de l’influence de facteurs culturels sur la phénoménologie, ou bien l’hypothèse d’un diagnostic clinique d’épisode mixte moins bien posé. Le sexe féminin et la sévérité des symptômes à l’entrée seraient corrélés à une meilleure amélioration clinique. En revanche, la présence de symptômes psychotiques et l’absence d’insight seraient corrélées à une durée plus longue d’hospitalisation.
Nous avons aussi cherché à décrire la prise en charge thérapeutique pharmacologique de ces patients au moment de l’épisode index (maniaque ou mixte). Le traitement de première intention comprend un thymorégulateur (sels de lithium ou carbamazépine ou valproate) dans 82 % des cas (6). La réponse thérapeutique est d’emblée bonne dans 80 % des cas. On retrouve des combinaisons de molécules (notamment antipsychotiques classiques ou atypiques et thymorégulateurs) dans la majorité des cas. Les adolescents présentant des symptômes psychotiques (62,5 %) au cours de cet épisode maniaque (ou mixte) sont plus fréquemment traités par des sels de lithium. Cela s’explique sans doute par la reconnaissance d’après diverses méta-analyses de la littérature de l’efficacité thérapeutique des sels de lithium chez l’adulte dans cette indication [7].
Devenir
Devenir à l’âge adulte : diagnostic de schizophrénie dans un tiers des cas ?
Après en moyenne huit ans d’évolution de la maladie, nous avons étudié la stabilité du diagnostic psychiatrique pour 55 patients (20 ont été perdus de vue et 5 ont refusé de participer à cette étude) ; 35 patients devenus adultes conservaient un diagnostic vie entière de trouble bipolaire ; 8 avaient changé de diagnostic pour un trouble schizoaffectif et 11 pour une schizophrénie. La mortalité et la morbidité sont apparues sévères puisqu’un sujet est décédé et 91 % des sujets ont présenté au moins une rechute. Les patients sans rechutes (n = 5) et ceux qui témoignaient d’un meilleur niveau de fonctionnement social (n =19) appartenaient tous au groupe de sujets qui maintenait un diagnostic vie entière de trouble bipolaire. Ces données en rejoignent certaines de la littérature, mais toutes ne sont pas comparables étant donné l’hétérogénéité de critères d’inclusion concernant l’âge (enfants et/ou adolescents), le phénotype clinique (trouble bipolaire de type I ou trouble bipolaire non spécifié selon le DSM IV), les troubles comorbides (trouble hyperactif avec déficit de l’attention, abus de substance). Une autre étude portant sur un échantillon clinique homogène d’adolescents présentant un trouble bipolaire de type I avec une symptomatologie sévère retrouve des résultats proches de ceux exposés ici quant au devenir. En effet, une évolution vers un trouble schizophrénique est retrouvée dans 18 % des cas et une stabilité diagnostique de trouble bipolaire dans 82 % des cas (8).
Ces données suggèrent que les épisodes maniaques et mixtes de l’adolescent nécessitent souvent une hospitalisation prolongée pour consolider l’amélioration en phase aiguë. Contrairement aux données de la littérature sur les formes moins sévères, des transitions du diagnostic vie entière vers les troubles du spectre de la schizophrénie sont fréquentes.
Références
1.Moreno, C., et al., National trends in the outpatient diagnosis and treatment of bipolar disorder in youth. Arch Gen Psychiatry, 2 007. 64 (9) : p. 1032-9.
2.Leibenluft, E., et al., Defining clinical phenotypes of juvenile mania. Am J Psychiatry, 2 003. 160 (3) : p. 430-7.
3.Kim-Cohen, J., et al., Prior juvenile diagnoses in adults with mental disorder: developmental follow-back of a prospective-longitudinal cohort. Arch Gen Psychiatry, 2 003. 60 (7) : p. 709-17.
4.Nicolas, J.D., et al., Manie et désinhibition sexuelle chez l’adolescente : intrications médico-légales et thérapeutiques. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2 005. 53 : p. 142-148.
5.Brunelle, J., et al., Phenomenology, socio-demographic factors and outcome upon discharge of manic and mixed episodes in hospitalized adolescents: A chart review. Eur Child Adolesc Psychiatry, 2 009.
6.Consoli, A., et al., Medication use in Adolescents Treated in a French Psychiatric Setting for Acute Manic or Mixed Episode. J Can Acad Child Adolesc Psychiatry, 2 009. 18 (3) : p. 231-8.
7.Bauer, M.S. and L. Mitchner, What is a "mood stabilizer"? An evidence-based response. Am J Psychiatry, 2 004. 161 (1) : p. 3-18.
8.Carlson, G.A., E.J. Bromet, and S. Sievers, Phenomenology and outcome of subjects with early- and adult-onset psychotic mania. Am J Psychiatry, 2000. 157(2): p. 213-9.
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