Dépendance
La dépendance n’est pas une fatalité du vieillissement, ce dernier n’étant pas une maladie. La dépendance est sous-tendue par des pathologies dont l’incidence augmente avec l’avancée en âge. Les premières causes de dépendance sont les démences dont les trois plus fréquentes sont respectivement la maladie d’Alzheimer (plus de deux tiers des cas), la démence à corps de Lewy et les démences vasculaires. Le syndrome confusionnel, surtout dans sa forme « hyperactive », peut également compromettre le maintien à domicile. Rappelons-le, le syndrome confusionnel est une urgence gériatrique qui sauf exception, est toujours d’origine organique.
Les autres causes bien connues de dépendance sont les pathologies de l’appareil locomoteur (arthrose, ostéoporose), les pathologies neurologiques (atteinte cérébrovasculaire, maladie neurodégénérative [syndrome parkinsonien], atteinte neurologique périphérique [polyneuropathie]).
Peur de tomber
Les grandes insuffisances « viscérales », à leur stade avancé sont des causes fréquentes de dépendance à domicile : l’insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire évoluée. Toutes ces pathologies cardiorespiratoires, de part leur retentissement systémique (hypercatabolisme) limitent les déplacements du sujet âgé, aggravent la sarcopénie physiologique et induisent un cercle vicieux de déconditionnement physique. Il convient de prévenir l’aggravation de ces pathologies et de savoir proposer des interventions « lourdes » lorsque le senior est physiologiquement encore en bonne santé et que le risque anesthésique est encore acceptable (valvuloplastie pour un rétrécissement aortique serré par exemple).
D’autres causes moins connues de dépendance sont la dépression (sous-diagnostiquée et de présentation souvent atypique chez la personne âgée), la douleur chronique et les conséquences psychologiques des chutes (peur de tomber). Cette crainte de chuter ne doit pas être banalisée car elle est directement responsable d’un double cercle vicieux de déconditionnement physique et de la désadaptation posturale. Cette désadaptation posturale (ou syndrome post-chute) correspondrait à une sidération des réflexes de la marche aboutissant à une bascule postérieure du centre de gravité à l’origine d’une rétropulsion et d’une peur du vide antérieur (image classique du « véliplanchiste »). L’intérêt de l’individualisation de ce syndrome est sa possible réversibilité par une prise en charge rééducative précoce et intensive. En l’absence de rééducation, la désadaptation posturale peut entraîner une évolution vers un état grabataire définitif.
Pathologies psychiatriques
Certaines pathologies psychiatriques peuvent limiter le maintien à domicile. Il s’agit notamment des Symptômes Comportementaux et Psychologiques des Démences (SCPD) qui peuvent émailler de manière imprévisible l’évolution des démences : agressivité, agitation, cris, fugues. Il convient au maximum d’anticiper ces événements en donnant des explications à l’aidant, en évitant les imprévus, privilégiant une organisation de vie très « routinière ». Sur le plan médical, il faut rechercher et traiter un facteur déclenchant, discuter un traitement psychotrope à dose minimale efficace de courte durée (neuroleptiques) et éviter toute prescription de molécules aux propriétés anticholinergiques.
La « rupture du pilotis social » est une cause bien connue d’impossibilité de maintien à domicile d’un sujet âgé présentant une dépendance physique et/ou psychique. Une pathologie aiguë de l’aidant naturel (exemple : AVC) conduit fréquemment à une hospitalisation au Service d’Accueil et d’Urgence (SAU) du couple (aidant naturel et conjoint dépendant). Les conséquences d’une telle hospitalisation non programmée peuvent être dramatiques : infections nosocomiales, décompensation des comorbidités, complication de décubitus, dénutrition… Certains parlent d’un phénomène « d’hospitalo-dissolution » pouvant compromettre le pronostic fonctionnel voire vital, tout particulièrement chez les sujets âgés fragiles et chez les sujets déments.
Dans certaines situations, comme lors d’interventions chirurgicales programmées chez l’aidant naturel, il convient d’anticiper le devenir temporaire du conjoint dépendant (séjours temporaires dont les places sont malheureusement rares…).
GIR 1 à 4
Certaines étapes clef rendent le maintien à domicile difficile, même en présence d’aides techniques et humaines en place. Il s’agit notamment de la non-réalisation des transferts (lever du lit, lever du fauteuil), l’incontinence (notamment dans le lit conjugal) et chez les sujets déments, la non-reconnaissance du conjoint.
Pour le législateur français, la dépendance est définie par un groupe GIR de 1 à 4 sur la grille Autonomie Gérontologie Groupe Iso-Ressource (AGGIR) (allant de 1 à 6, 1 correspondant à l’état grabataire chez le dément et 6 à une autonomie fonctionnelle et intellectuelle). Ce sont les mêmes personnes GIR 1 à 4, qui peuvent bénéficier de l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) si elles ont plus de 60 ans et si elles sont domiciliées en France. En France près de 1 million de personnes âgées est dépendantes, dont la majorité vit à domicile (la moitié des personnes GIR2, près de 2/3 de sujets GIR3 et plus de 85 % des personnes GIR4 sont à domicile).
L’aidant informel
Certains disent que le « médicament » du sujet dépendant à domicile est l’aidant informel. L’aidant principal est dans 50 % des cas le conjoint, la femme dans 2/3 des cas, et un enfant dans 1/3 des cas. Les femmes âgées de 50 à 79 ans constituent la majeure partie (55 %) des aidants informels. Il faut donc protéger ces femmes âgées en anticipant les conduites à risque (surmenage, maternage, épuisement, voire abandon, négligence, maltraitance).
Les évolutions démographiques attendues pour les prochaines décades dans nos sociétés occidentales sont inquiétantes. Selon un scénario « central » (ni optimiste et ni pessimiste), le nombre de sujets dépendants entre 2000 et 2040 augmenterait de 50 % alors que pendant la même période le nombre de femmes âgées de 50 à 79 ans n’augmenterait que de 12 %. On s’attend donc dans les prochaines années à un déficit en aidants informels.
Conclusion
Les pathologies médicales et psychiatriques sous-tendant la dépendance, leur prise en charge doit être optimale, c’est-à-dire globale, médico-psycho-sociale et fonctionnelle. La prise en charge doit distinguer les pathologies chroniques (impact thérapeutique souvent modeste) des décompensations et pathologies aiguës (« bras de levier » thérapeutique avec réversibilité possible). Il convient autant de soigner que de guérir (« to care and to cure »). La prise en compte des spécificités sémiologiques et thérapeutiques du grand âge est essentielle. Enfin, la lutte contre « l’under-use » thérapeutique, forme sournoise d’iatrogénie où le sujet âgé n’a pas le traitement (ou l’accès au plateau technique) qu’il faudrait, simplement parce qu’il est « vieux » sur sa carte d’identité, doit être menée.
Pas de conflit d’intérêt déclaré
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