Les troubles minéraux et osseux de la maladie rénale chronique (TMO-MRC) incluent l’ostéodystrophie rénale (ou atteinte osseuse) et les calcifications vasculaires. Ils résultent des désordres phosphocalciques dus à l'urémie chronique. Ainsi, les patients insuffisants rénaux, a fortiori les transplantés rénaux et les dialysés, ont un risque de fracture bien augmenté, de 30 à 80 % selon les études, comparés à des populations non urémiques (1). « La MRC s'accompagne de perturbations du métabolisme phospho-calcique, qui découlent directement de la diminution progressive du nombre de néphrons fonctionnels, explique le Pr Marie-Hélène Lafage-Proust, (rhumatologue à St-Etienne et spécialiste de l’os et de la maladie rénale chronique) entraînant une surcharge en phosphate, principalement issue de l'alimentation. Afin de prévenir l'installation de l'hypophosphatémie, l'os synthétise le Fibroblast Growth Factor 23 (FGF 23), qui est une hormone phosphaturiante. Tant qu’il y a suffisamment de néphrons fonctionnels pour excréter le phosphate alimentaire dans les urines, la phosphatémie demeure sous contrôle. Cependant, l'augmentation du FGF 23 sérique reflète la réduction progressive de cette fonctionnalité des néphrons et accompagnera l’élévation inéluctable de la phosphatémie. »
Cette surcharge en phosphate joue par ailleurs un rôle crucial dans la morbi-mortalité cardiovasculaire, surtout dans les stades avancés de la MRC, car elle exerce une toxicité vasculaire. En outre, l’excès de FGF 23 qu’elle induit est directement responsable de l’hypertrophie ventriculaire gauche.
Double peine
De plus, le FGF 23 exerce une action « anti-vitamine D » car il détruit le calcitriol, responsable de l’absorption intestinale du calcium, ce qui représente une double peine pour le patient insuffisant rénal. En effet, le rein étant la principale source de synthèse de calcitriol, les patients urémiques voient cette capacité de synthèse réduite du fait de l’altération de la fonction rénale.
De ce fait, la réduction de l'absorption digestive du calcium conduit à une hypocalcémie, qui, combinée à l'hyperphosphatémie, entraîne une hyperparathyroïdie secondaire. « Il en résulte une stimulation de la résorption ostéoclastique et un hyper-remodelage osseux majeur, poursuit Hélène Lafage-Proust. Cette hyperparathyroïdie secondaire est modérée dans les stades précoces. Cependant, chez les dialysés, la PTH sérique peut atteindre 800-1 000 pg/ml, voire plus, alors que la normale est inférieure à 65 pg/ml. Cette amplitude souligne l'importance des perturbations dans le métabolisme calcique chez l’insuffisant rénal. »
Enfin, à un stade ultérieur, cette hyperparathyroïdie secondaire évolue vers une hyperplasie sévère des glandes parathyroïdes puis leur autonomisation, d’où une hypercalcémie, nécessitant l’emploi de médicaments spécifiques de l’hyperparathyroïdie (agonistes des récepteurs du calcium qui contrôlent la synthèse de la PTH par les glandes parathyroïdes), ou en cas d’échec, une intervention chirurgicale pour réduire les glandes parathyroïdes. « Cependant, alors que certains patients présentent un hyper-remodelage osseux caractérisé par un excès d’ostéoclastes et d’ostéoblastes, d’autres ont plutôt un hypo-remodelage osseux (anciennement appelé ostéopathie adynamique), sans hyperparathyroïdie majeure, du fait d’une résistance osseuse à la PTH par perte de ses récepteurs ostéoblastiques, fait remarquer la spécialiste. Ainsi, pour présenter un remodelage osseux normal, certains patients nécessitent d’avoir une PTH sérique plus élevée que la normale. A cela peuvent s’ajouter, de façon plus rare, des troubles de la minéralisation, avec un collagène synthétisé par les ostéoblastes qui ne va pas se minéraliser, aboutissant à une ostéomalacie. »
En résumé, la fragilité osseuse induite par l’ensemble de ces facteurs associée à la maladie cardiovasculaire potentielle, distingue l’ostéoporose de l’insuffisant rénal de celle liée, par exemple, à la ménopause. Par conséquent, « prudence dans l'administration de suppléments de calcium, avertit Marie-Hélène Lafage-Proust, car une administration trop faible ou excessive de calcium peut stimuler l'hyperparathyroïdie d'une part ou contribuer aux calcifications vasculaires et favoriser l’hypo-remodelage d'autre part. »
Comment évaluer le risque fracturaire dans la MRC ?
Pour évaluer le statut osseux dans la MRC, des avancées significatives ont été réalisées au cours des dernières années. « Les données récentes ont montré que la densité minérale osseuse (DMO), évaluée par la DXA, pouvait prédire le risque de fracture chez l’insuffisant rénal, quel que soit le stade de la MRC, de manière similaire à la population non urémique, explique Marie-Hélène Lafage-Proust : une DMO basse est associée à un risque accru de fractures chez l’insuffisant rénal ». Cependant, comme dans la population non urémique, la DXA a une bonne sensibilité mais une spécificité moindre. Des recherches tentent d'améliorer la prédiction en extrayant un maximum d'informations de la DMO, grâce à des techniques telles que le Trabecular Bone Score (TBS), l’analyse de la macroarchitecture du col fémoral (3S Shaper®) ou l'IRM, ou en combinant DMO et facteurs de risque cliniques comme le score FRAX®, par exemple, qui quantifie le risque individuel de fracture sous forme de probabilité de fracture à 10 ans.
L’intérêt d’un traitement précoce
Sur le plan thérapeutique, l'idée générale est de considérer la MRC comme un facteur de risque d'ostéoporose, bien qu’elle ne soit pas mentionnée dans l'outil FRAX®. « Les médecins sont encouragés à être attentifs aux patients présentant des stades débutants de la maladie rénale, fait remarquer Marie-Hélène Lafage-Proust, car c'est à ce stade que le traitement peut être le plus facile, mais aussi parce que dans les stades sévères, seul le dénosumab peut être prescrit. » La décision de traiter dépend de l'évaluation préalable du type d'ostéodystrophie rénale et des troubles du métabolisme calcique. Peu de nouveautés ont été publiées concernant le traitement de l'ostéoporose dans la MRC. Une méta-analyse publiée en 2022 portant sur 10 000 patients avec MRC de stade 2 à 5 incluant dialysés et transplantés rénaux (2) a montré que le raloxifène, le dénosumab, et le tériparatide étaient efficaces dans la prévention des fractures. La question actuelle est le potentiel risque de dégradation du DFG chez les patients insuffisants rénaux exposés aux bisphosphonates, modeste mais significatif, rapporté dans une seule étude mais pas dans d’autres. Enfin, en dessous de 30 ml/min de DFG, le denosumab est généralement la seule option disponible, sous grande surveillance, du fait du risque majeur d’hypocalcémie, d’où l’intérêt de traiter dès les stades légers d’insuffisance rénale chronique.
La biopsie osseuse a-t-elle vécu ?
Dans la problématique du diagnostic de l’ostéodystrophie rénale, comme l’ostéoporose de la MRC diffère en termes d'ostéopathie sous-jacente, il est nécessaire d’évaluer le remodelage osseux avec des marqueurs biologiques. Il y a une quinzaine d’années, seule la PTH était dosée, et la biopsie osseuse était de mise pour le diagnostic de l’ostéodystrophie rénale. Depuis, des marqueurs du remodelage indépendants du débit de filtration glomérulaire (DFG) osseux ont été testés, notamment la phosphatase alcaline osseuse. Mais cette dernière n'évalue que la formation osseuse. Un marqueur de résorption ostéoclastique désormais validé est la phosphatase acide tartrate résistante 5b (TRACP5b), mais non disponible en routine pour l’instant. « Au final, la biopsie osseuse reste indispensable dans moins de 5 % des cas en centre spécialisé, estime le Pr Lafage-Proust, notamment lorsque la suspicion d'ostéomalacie est forte et que les marqueurs ne permettent pas un diagnostic suffisamment discriminant. »
D’après une interview du Pr Marie-Hélène Lafage-Proust (CHU de St-Etienne).
Références :
(1) Hansen D, Olesen JB, Gislason GH, et al. Risk of fracture in adults on renal replacement therapy : a Danish national cohort study. Nephrol Dial Transplant. 2016 Oct;31(10):1654-62.
(2) Chen CH, WC Lo, PJ Hu, et al. Efficacy of Osteoporosis Medications for Patients with Chronic Kidney Disease: An Updated Systematic Review and Network Meta-Analysis; Front Pharmacol 2022; 11: 822178
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